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L'activiste Sara Aziz : Assez de corps et d’âmes blessés

Doaa Khalifa, Lundi, 17 juin 2013

A 24 ans, Sara Aziz décide de fonder le centre Safe. Sa mis­sion ? Lutter contre la plaie du harcèle­ment sexuel dans les familles, qui va jusqu’à l’inceste. Sa démarche apporte la délivrance à de jeunes filles téta­nisées dans un mutisme imposé.

Sara Aziz
Sara Aziz. (Photo: Bassam Al-Zoghby)

L’expérience traumatisante d’une adolescente de 15 ans, harcelée par son père pendant 6 ans, a changé la vie de Sara Aziz. La jeune fille lui a livré un témoignage poignant qui l’a marquée à vie, alors que Sara, elle-même, n’avait que 18 ans. Etudiante en commerce, elle découvre alors que de nombreux enfants sont victimes de harcèlement dans leur famille ou souffrent d’inceste. L’adolescente lui a confié son expé­rience pénible avec son parent, dans le quar­tier informel d’Akracha, près d’Abou-Zaabal (aux alentours de Hélouan, au nord du Caire). Sara Aziz faisait du bénévolat avec un groupe d’amis, travaillant dans les zones les plus démunies. Elle a été secouée par les propos de la fille, en émoi, et décide plus tard de suivre des cours sur le harcèlement sexuel, organisés par une université danoise à Alexandrie. « Je n’arrivais plus à dormir après avoir décou­vert qu’il existe des filles qui subissent ce genre d’agressions. Je voulais en comprendre la raison et comment la victime devait réagir. Sur 80 personnes participant au cours, seules 7 ont été diplômées. J’étais la plus jeune », raconte-t-elle.

Sara Aziz pense que tout être a des côtés positifs et d’autres néga­tifs, comporte en lui le bien et le mal, et que des choix sont ensuite faits. Petit à petit, elle apprend qu’il existe des cas d’atteinte à la pudeur parmi les classes sociales pauvres, mais aussi dans les plus riches. Elle décide alors de briser le silence et d’agir pour venir en secours à ces âmes affligées.

Après une expérience professionnelle cou­ronnée de succès dans une célèbre agence de tourisme, Sara Aziz surprend son entourage et décide de se consacrer à la lutte contre le har­cèlement sexuel. Son chef a tout fait pour l’en dissuader, mais c’est corps et âme qu’elle s’est sentie engagée pour cette cause. « Dieu m’a créée à cette fin, c’est la raison de ma venue au monde », déclare-t-elle. Sara fonde Safe en 2012, un centre pour sensibiliser les enfants et les parents au harcèlement sexuel. A 25 ans, elle regorge de plans et d’idées pour apprendre aux enfants comme aux parents à éviter le harcèlement et à soutenir les jeunes victimes.

Avec une équipe de 20 personnes, elle donne des cours aux enfants et aux parents, au siège du centre à Héliopolis, dans les garde­ries, aux écoles … De même, elle organise des colloques pour sensibiliser la population des gouvernorats de la Haute et de la Basse-Egypte ou même parfois à l’étranger, notam­ment en Afrique noire. Les membres de Safe, toujours très enthousiastes, croient dur comme fer à leur cause, déploient d’intenses efforts pour innover dans les moyens d’action. Dessins, couleurs, chansons, pancartes … tout est bon pour apprendre aux enfants à dire « Non », à savoir que leurs corps sont à eux et non à quelqu'un d’autre. Ils veulent créer toute une génération consciente de sa valeur et de son importance, parvenant à dire « Non » à la drogue, au harcèlement, aux relations illégitimes. « Il y a 30 millions d’enfants en Egypte, ils sont l’avenir », lance Sara Aziz.

A l’écoute d’histoires bles­santes, elle en a aussi d’autres plus optimistes à raconter. Elle a, par exemple, réussi à convaincre une mère d’agir et de renvoyer un père qui harcelait sa fille pendant des années. Elle raconte aussi, non sans enthousiasme, l’histoire d’une petite de 4 ans qui a rejeté les avances d’un voisin de 7 ans : il lui avait demandé d’ôter son pantalon, alors qu’ils jouaient ensemble.

De temps en temps, un événement se pro­duit, lui donnant plus de force pour suivre son chemin. Par exemple, lorsqu’elle pose une annonce sur Facebook pour un cours de sensi­bilisation destiné aux enfants, et qu’elle reçoit en 2 jours 46 candidats. « Les gens ont com­mencé à saisir l’importance de protéger leurs enfants contre ce genre d’agressions, surtout qu’on ne sait jamais d’où vient le danger », indique-t-elle.

Des cours, des préparatifs, des voyages de travail ou d’étude … Sara Aziz a beaucoup hésité avant de dire ce qu’elle faisait dans la vie, en dehors du travail. « Je reste avec mes amis de Safe pour organiser les prochains cours ou parler d’autres projets. Si non, je passe des heures à contempler la nature, notamment les oiseaux qui volent en rangs bien organisés », confie-t-elle.

Sensible, elle se défoule de temps à autre avec son amie proche, Héba, qu’elle qualifie de « don du ciel », son âme soeur qui « doit respecter et appré­cier son travail, sa vocation innée ».

« Je ne considère jamais les choses de la vie comme un fait accompli. J’ai la chance d’avoir une famille qui m’aime beaucoup et qui m’encou­rage. J’ai une mai­son, où je me sens en sécurité. Des amis qui me respectent et qui croient en ce que je fais. Je ne cesse de remer­cier Dieu pour tout cela », souligne-t-elle.

La vie de Sara Aziz est remplie d’activités sociales, mais elle ne s’intéresse que très peu à la politique. « J’ai signé évidemment la péti­tion du mouvement Tamarrod (rébellion) contre le président et les Frères musulmans », lance-t-elle, ajoutant pourquoi elle a décidé de se dresser contre la confrérie : « Les représentants de l’islam politique veulent que les filles se marient à 9 ans, c’est du harcèlement officiel ! Ces actes rétrogrades ne se retrouvent pas dans l’islam ».

Sara Aziz n’est pas du genre à baisser les bras. Elle est convaincue qu’il existe toujours quelque chose à faire : « Plusieurs enfants me blessent le coeur. Car leurs parents refusent d’admettre que l’agresseur est un proche ».

Aziz prépare une visite à Ezbet Al-Haggana (aux alentours de Madinat Nasr), avec une mission ardue : affronter le père d’une fille de 14 ans. « Il harcèle sa fille depuis ses 9 ans. Et son frère lui demande pourquoi pas lui aussi ? J’ai été traumatisée à l’écoute du témoignage de sa soeur la plus jeune. Elle lui a dit : tu dois endurer sans dire un mot, comme maman t’a dit », dit-elle. Une situation intolérable. Elle sera donc accompagnée d’un homme de reli­gion du quartier. « Je vais le menacer de faire appel à la police. Il faut tout faire pour sauver la fille », déclare-t-elle. L’expérience a réussi auprès d’autres pères, dont le dernier habitait dans le gouvernorat de Béni-Soueif.

Sara Aziz passe souvent des nuits blanches. De temps à autre, elle se livre sur papier signant des articles de presse pour confier ses peines. Elle doit exprimer ce qu’elle a sur le coeur. Dans une publication spécialisée, elle fait état de l’expérience d’une jeune fille, aujourd’hui âgée d’une vingtaine d’années : « J’étais sur mon nouveau puzzle. Mon oncle s’est approché de moi et m’a touchée d’une manière gênante. C’était comme s’il avait cassé une porte, je me suis sentie toute nue même s’il ne m’a pas déshabillée. Il a dit qu’il m’aimait bien et m’a demandé de ne jamais rien dire à personne ». La victime a appris à vivre dans la souffrance, jusqu’au cours sur le harcèlement donné par Sara. Elle lui a alors posé la question : « Vous me croyez, non ? Je n’ai rien fait. Je n’ai pas su dire non ». Sara a l’habitude de rencontrer ce genre de circons­tances. Elle a appris à réconforter la victime et à la déculpabiliser. Car rien n’est pire que le manque de sécurité chez soi. « Si je devais subir un harcèlement dans la rue, je retourne­rais chez moi, pousserais un long soupir et me jetterais dans les bras de ma mère. Mais dans le cas de toutes ces filles qui viennent vers moi, le harceleur est le père, le frère ou l’ami proche … ». Que faire alors ? Se rendre à un « centre de secours » à la recherche de l’appui de Sara Aziz et son équipe.

Jalons :

1987 : Naissance au Caire.

2009 : Diplôme de commerce.

2010 : Cours sur le harcèlement sexuel d’une université danoise à Alexandrie.

2013 : Etudes aux Etats-Unis.

2012 : Création du centre Safe

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