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Namir Abdel-Messeeh : La passion de partager

Loula Lahham, Mardi, 29 mai 2018

Le réalisateur franco-égyptien Namir Abdel-Messeeh a remporté plusieurs succès, notamment avec son film La Vierge, les coptes et moi. Après avoir découvert l’hypnose, il devient thérapeute et anime des ateliers de développement personnel en Egypte.

Namir Abdel-Messeeh
(Photo : Loula Lahham)

« Je ne lâcherai jamais le cinéma, qui est mon métier d’origine. J’adore faire des films et inventer des histoires. Même si aujourd’hui je préfère l’enseigner et transmettre tout ce que j’y ai appris à des gens passionnés qui aspirent à raconter leurs propres histoires », déclare Namir Abdel-Messeeh, réalisateur francoégyptien de 43 ans. Est-il sur la défensive ? « Pas du tout, reprend-il. Je suis coach artistique. J’anime aussi des ateliers de développement personnel, d’écriture créative et de réalisation de films ». D’une manière générale, les choses tournent donc toujours autour du cinéma dans la vie de Abdel-Messeeh, qui dispose d’une formation solide dans le 7e art. « Je fais partie de la promotion de l’an 2000 de la Fondation européenne des métiers de l’image et du son, l’une des plus importantes écoles supérieures en Europe. Auparavant, j’avais obtenu un brevet de technicien supérieur en audiovisuel ».

Né en 1974 en France, Abdel-Messeeh a été confié jusqu’à ses 2 ans à sa tante maternelle habitant en Haute-Egypte. Le temps pour ses parents, installés en France depuis 1973, de stabiliser leur situation financière. « Ils sont partis de zéro, ils se sont construits seuls », raconte ce père de deux enfants. Et d’ajouter : « Ce qui explique pourquoi ma relation avec eux était compliquée. Mon père voulait absolument que ma soeur et moi soyons médecins ou ingénieurs. Quand je lui ai dit que je voulais faire du cinéma, ce n’était pas rassurant pour lui ».

Le réalisateur a, depuis, fait de sa famille l’une de ses principales sources d’inspiration. « Je partais de l’intime et du personnel, c’est un point de départ important pour aborder des sujets beaucoup plus vastes. En cherchant à offrir des films dans lesquels n’importe quel spectateur peut se trouver », affirme le cinéaste qui, en 2005 déjà, dans le court métrage Toi, Wagui

h, s’intéressait au parcours de son père, communiste, emprisonné sous Nasser au début des années 1960.

« Je ne sais pas si mes parents ont été contents de mes films, mais ils ont été contents de leur réussite et de l’accueil qui leur a été réservé », raconte Abdel- Messeeh, qui maîtrise couramment l’arabe, le français et l’anglais. Or, malgré son accent parisien, ses interlocuteurs devinent facilement ses origines égyptiennes à cause des traits de son visage, de ses cheveux noirs frisés et de son teint foncé, propres aux habitants de Haute-Egypte, sa région d’origine.

C’est dans le village d’Oum Douma, dans les environs de Sohag, à 450 km au sud du Caire, qu’a été tournée une grande partie de son film le plus important La Vierge, les coptes et moi, premier long métrage de Abdel-Messeeh, sorti en France en août 2011 et qui a été ensuite lauréat de plusieurs concours cinématographiques internationaux. Le réalisateur était rentré en Egypte pour réaliser un documentaire sur les apparitions miraculeuses de la Vierge Marie, surtout dans le quartier de Zeitoun, banlieue du Caire, puis dans différentes régions d’Egypte. Sa mère lui avait dit : « Il y a des gens qui la voient, il y a des gens qui ne la voient pas. Il y a peut-être un message dans tout ça ». Ainsi, il est parti à l’aventure et a fini par mettre en scène l’apparition, avec l’aide de sa mère, venue à son aide. Très vite aussi l’enquête lui servira de prétexte pour revoir sa famille et pour impliquer tout le village dans une mise en scène rocambolesque.

Mais, en fait, pourquoi ce film sur les apparitions de la Vierge ? « Il y a deux choses qui m’ont intéressé. La première, c’est que ce sujet m’a permis d’aborder plein de questions sur l’Egypte et, en particulier, des choses qu’on ne connaît pas forcément sur la foi et sur ce qui lie à la fois les chrétiens et les musulmans. La Vierge est une espèce de mère absolue pour tout le monde. Elle est aussi très respectée dans l’islam. Elle est un moyen de parler de quelque chose de commun à tous les Egyptiens. Cela faisait 15 ans que je n’étais pas retourné en Egypte. J’avais coupé les ponts avec ma famille et je cherchais un moyen d’y retourner. Tout à coup, (…) à travers ce film, j’ai eu un moyen de retrouver ma famille et de renouer un peu avec l’Egypte. Ce deuxième moteur est présent aussi dans le film. Enquêter sur les apparitions de la Vierge s’est révélé être un sujet très sensible. Mais la Vierge apparaît à des moments bien particuliers de l’histoire de l’Egypte … ».

En fait, ce qui était sensible, ce n’était pas tellement d’enquêter sur les apparitions de la Vierge, mais c’était d’en douter, comme dans une première partie du film. Comme l’indique le réalisateur, les coptes sont une minorité qui se définit aussi par son identité et par certains dogmes. Et mettre en doute le moindre des dogmes des coptes, c’est remettre en cause l’existence de la communauté. C’est ça qui rendait l’enquête difficile. Abdel- Messeeh dit : « De mon côté, je n’y allais pas pour dénoncer ou démontrer quelque chose, mais pour essayer de comprendre un phénomène ».

Notons que les premières apparitions de la Vierge ont eu lieu en 1968, quelques mois après la plus importante défaite militaire égyptienne. Gamal Abdel-Nasser avait annoncé sa démission, le régime risquait de s’effondrer et, avec lui, tout un mythe autour du monde arabe. A ce moment-là, comme souvent dans l’histoire des pays arabes, c’est la religion qui vient au secours des gens. Depuis, il y a eu entre 40 et 50 apparitions, qui ont eu lieu systématiquement à des moments de tension entre les chrétiens et les musulmans ou autres.

Le « Woody Allen copte » mérite bien le surnom que lui a attribué le quotidien français Le Monde. Son premier long film était, en fin de compte, pétillant d’autodérision et traitait sur un ton léger des questions existentielles en rapport avec la foi et l’appartenance identitaire. La Vierge, les coptes et moi a d’ailleurs été remarqué lors de plusieurs festivals, dont celui d’Ismaïliya, en juin 2012, où le long métrage a raflé les prix de la réalisation, de la critique et du meilleur documentaire. Quelques mois plus tôt, en octobre 2011, à Doha, capitale du Qatar, il avait obtenu le prix du meilleur film documentaire arabe.

La vie de Abdel-Messeeh a pris un important tournant lorsqu’il a découvert l’hypnose. « J’ai découvert l’hypnose grâce à un thérapeute hors du commun. Il m’a permis de faire ressurgir une part de moimême que j’avais enfouie, rejetée depuis mon enfance. J’ai appris à faire la paix avec elle. A l’aimer. A m’aimer ». Aujourd’hui, le réalisateur continue l’histoire de sa découverte de l’hypnose avec le même enthousiasme que celui qu’il a pour le cinéma. « Vous pouvez passer votre vie à vous cacher, à protéger vos blessures derrière un masque ou derrière un métier dans lequel vous vous surinvestissez. Vous maintenez une spiritualité de façade et jouez un bon rôle de mère ou de père et vous donnez l’illusion que vous maîtrisez votre vie. Et puis, vous traversez un drame, un deuil, une dépression et vous réalisez à quel point la vie est fragile et précieuse, et qu’il n’y a pas de temps à perdre pour vous reconnecter à ce qui vous anime profondément », dit Abdel-Messeeh.

Pour pratiquer sa nouvelle passion, Abdel-Messeeh s’est formé au métier de thérapeute. « J’utilise l’hypnose pour permettre cette reconnexion entre le conscient et l’inconscient. Pour aider les gens à accepter qui ils sont et à sortir de la plainte », indique-t-il. Il voudrait permettre de « trouver dans chaque expérience, même douloureuse, une occasion de grandir et d’aimer la vie ».

Enthousiaste et surtout porteur de plusieurs passions, Abdel-Messeeh est revenu en Egypte en 2017 pour transmettre un peu de ce qu’il a appris et permettre aux gens de se sentir mieux, que ce soit à travers les formations qu’il donne ou l’accompagnement qu’il propose. « Je me suis dit que cette petite voix à l’intérieur de moi, j’avais eu raison de l’écouter. Aujourd’hui, au Caire, j’anime des ateliers de formation dans les domaines du cinéma documentaire, de l’écriture artistique et du développement personnel. Les jeunes Egyptiens ont soif de ce genre de formations concises et pratiques », poursuit-il. « Qui suis-je ? », demande Abdel- Messeeh, tout en concluant : « Je suis tout simplement quelqu’un de passionné par le développement humain et animé par le désir de le partager et de le transmettre. Mes clients sont essentiellement des artistes, des enseignants et des journalistes ».

Jalons :

1974 : Naissance en France, au sein d’une famille copte originaire de la ville de Téma, en Haute-Egypte.

2000 : Diplôme de la Fémis.

2005 : Sortie de son film Toi, Waguih, 29 minutes.

2011 : Sortie de son film La Vierge, les coptes et moi, 87 minutes.

2012 : Nomination pour la meilleure fiction documentaire au Festival du film de TriBeCa2.

2012 : Troisième prix au Panorama Audience Award de la Berlinale.

2016 : Diplôme de praticien en thérapies brèves, ARCHE Formation.

2017 : Retour en Egypte et travail de thérapeute et de coach artistique.

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