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Iman Ghoneim : La dame des grandes découvertes

Yasser Moheb, Mardi, 06 mars 2018

Professeure et géomorphologiste, Iman Ghoneim est la directrice de l'Institut de recherche sur la télédétection de l'Université de la Caroline du Nord aux Etats-Unis. A l'occasion de la Journée internationale de la femme, le 8 mars, portrait de cette femme dynamique et passionnée par son métier

La dame des grandes découvertes

Son bonnet-chapeau cerne son visage, tou­jours plein de fraîcheur, de vigilance et de sourire. La dureté de son travail et la bruta­lité des lieux où elle travaille n’ont jamais impacté sa féminité et sa douceur, celles d’une femme égyptienne, arabe et musulmane, qui ne renonce pas à son engagement moral, humanitaire, religieux et scientifique.

Déterminée, ambitieuse et passionnée, Iman Ghoneim a réussi en deux décades à devenir une grande figure féminine dans son domaine tant en Occident que dans le monde arabe.

L’Arabie saoudite, les Emirats, le Soudan et la Libye demandent ses services et accueillent ses recherches depuis des années, et sa patrie l’Egypte a eu finalement recours à ses exploits et ses découvertes dans le domaine de la télédétection.

Première géomorphologiste égyptienne spécialisée sur le plan international, elle a tant travaillé sur l’appli­cation des Systèmes d’Information Géographique (SIG), ainsi que sur la télédétection et l’exploration des eaux souterraines dans les milieux arides. « Spécialisée en télédétection, j’ai réussi à mener 77 recherches en Amérique, sur l’Egypte et les pays arabes, et à découvrir — avec mon équipe de recherche — une grande rivière située dans la zone frontalière entre l’Egypte et la Libye », explique modestement Iman Ghoneim. « Nous avons élaboré également une carte détaillée du bassin de l’ancienne rivière Tochka en Egypte, le deuxième plus grand bas­sin d’eau après le bassin du Nil », ajoute la géologiste, déclarant avoir travaillé également sur un projet utili­sant le système d’information géo-hydrologique pour l’exploration des eaux souterraines dans le nord des Emirats arabes unis et aux Etats-Unis, ainsi que dans la région de la mer Rouge en Egypte.

Mais, pourquoi une telle passion pour ce domaine assez difficile ? Dès le début de la conversation, Iman Ghoneim affiche la couleur : « Oui, j’aime ce que je fais et je l’ai choisi ! ». Et elle explique : « La télédétection s’intéresse à l’étude des ressources naturelles et des catastrophes à travers les satellites et les radars capables de détecter les ressources naturelles enfouies ». « Merci Dieu, j’ai réussi à aboutir — avec mon équipe de recherche — à la découverte d’un cours d’eau géant enterré dans les sables du désert, qui traverse 4 pays : la Libye, l’Egypte, le Soudan et le Tchad, reliant l’Afrique centrale à la côte méditerranéenne dans le golfe de Syrte. C’est un honneur pour moi de servir les gens à travers un domaine très peu connu », ajoute-t-elle modestement.

Si elle ne nie pas les difficultés du métier, elle ne se voit vrai­ment pas exercer une autre profession, puisque sa grande passion pour la géographie date de sa première enfance.

Fille du gouvernorat de Minya, ville natale de sa mère, et pas­sant la majorité de son enfance à Tanta, la famille Ghoneim appar­tient au monde purement scientifique et académique. Son père, né à Mansoura, est le Dr Mohamad Ghoneim, ancien doyen de la faculté des sciences à l’Université de Tanta, sa mère est une célèbre chercheuse et assistante à la faculté des sciences à l’Uni­versité de Tanta, et son petit frère, Ahmad, est ophtalmologiste et enseignant à l’Université de Tanta. Enfin, sa soeur benjamine est professeure à la faculté des sciences à Tanta, et aujourd’hui spé­cialiste en analyses médicales en Angleterre où elle accompagne son mari.

Mais comment pouvoir convaincre une telle famille et de tels parents scientistes d’étudier la géographie à la faculté des lettres ?! La tâche n’était pas si simple.

« Pour ma famille, c’était une vraie catastrophe », dit la géo­graphe déterminée en riant. « Une fois le baccalauréat en poche, j’ai tout fait pour convaincre mes parents de mon désir de devenir chercheuse dans le domaine de la géographie. Par contre, mon père a tout fait pour me dévier de ce chemin que j’ai choisi », se souvient Ghoneim.

Sa famille ne lui posait qu’une seule question : « Qu’est-ce que tu vas faire avec la géographie ?! ». Mais pour la jeune Iman, l’affaire est tout à fait différente. Pour elle, la géographie ne peut être vue comme une simple sous-rubrique du vaste champ des sciences sociales. Toutefois, elle trouvait que cette discipline s’in­terrogeait sur les liens unissant les hommes et l’espace terrestre.

« D’abord, mon père en tant que doyen de la faculté des sciences a demandé au doyen de la faculté des lettres toujours à Tanta de refuser ma candidature, mais il n’a pas réussi puisque mon dossier était conforme aux règles », raconte-t-elle. « Essayant alors d’aboutir à un compromis, mes parents m’ont forcée à joindre la section de langue anglaise à la faculté, étant donné que j’avais un assez bon accent puisque nous accompagnions mon père parfois dans des visites de recherches aux Etats-Unis ».

Cependant, le résultat était vite décevant pour cette famille d’académiciens, puisqu’Iman a échoué dans deux matières lors de sa première année universitaire : « Un séisme qui a frappé ma famille ».

Entêtée, la jeune passionnée de géographie a décidé de répondre à sa passion sans le dévoiler à ses parents. « J’ai décidé de repas­ser la première année universitaire en section de géographie, sans que ma famille le sache. J’ai réussi à supporter la charge de des­cendre chaque jour de ma maison pour assister aux cours de géographie, alors que mon père pensait que j’avais renoncé à mon rêve », dit-elle.

La grande surprise est venue à la fin de l’année : elle a réussi avec la mention excellent. Ce qui a fait naître des confrontations familiales assez rudes, mais qui se sont terminées au profit de la jeune géographe, puisqu’elle a terminé ses quatre années d’études avec la mention excellent. « L’année suivante, je suis devenue vite assistante en section de géographie, ce qui a prouvé à ma famille que j’avais raison dans mon choix. Je crois toujours que Dieu a créé chaque personne avec une chose qu’elle aime, et c’est à chacun de nous de connaître cette chose pour l’ex­ploiter positivement », indique Iman Ghoneim.

Mais comment faire ses preuves dans un domaine masculin, surtout qu’elle a choisi de se spécialiser en géomorphologie, cette discipline scientifique à part entière, dont le champ de recherche est l’ensemble des reliefs de la planète ?

Les géographes ne vivent pas enfermés dans un bureau. « Le géographe se présente avant tout comme une femme ou un homme de terrain, et c’est ce travail de terrain qui nourrit son expérience et son analyse », clarifie la géomorpholo­giste.

D’après elle, pour une fille née et élevée dans une ville de province, la difficulté de convaincre l’entou­rage, surtout les hommes, est multipliée par 100. « Il faut avouer que je travaille dans un milieu d’hommes », annonce-t-elle avec courage. « Je me souviens bien de mon voyage au Caire, cette capitale éblouissante pour nous les provinciaux, lorsque j’ai terminé mes études universitaires. J’ai essayé de convaincre un professeur dans l’une des deux grandes universités cairotes de superviser mon master et mon doctorat. Il m’a traitée avec une grande moquerie et nonchalance, et a refusé ma demande, tout en me conseillant de rentrer chez moi à Tanta et d’attendre un mari pour le servir comme femme au foyer ! ».

La jeune fan de géographie est rentrée en pleurant. « Pendant mon retour, les vieux hommes et femmes dans le train essayaient vainement de me tranquilli­ser. Néanmoins, ce grand choc m’a rendue encore plus déterminée ».

Déjà mariée avec un collègue scientiste, Iman Ghoneim s’est servie d’une bourse pour partir en Angleterre, en 2002, où elle a reçu son doctorat de l’Université de Southampton. C’était là-bas que le célèbre savant, géographe et géologiste égyptien Dr Farouq Al-Baz a entendu parler d’elle et de son talent. De retour en 2002 en Egypte, le doctorat sous le bras, pour enseigner à l’Université de Tanta, elle a reçu un coup de fil de Farouq Al-Baz, lui demandant de le rejoindre aux Etats-Unis pour prendre part à certaines recherches. « J’ai refusé d’abord de partir, mais il m’a convaincue de rejoindre son groupe de chercheurs pour une seule année, ce qui m’a menée à passer 8 ans — entre 2003 et 2010 — dans le monde de ce génie, Farouq Al-Baz. Je l’ai rejoint dans ses recherches qui ont conduit à la découverte de la grande fosse potentielle (astropole) dans le désert près de l’Egypte », avoue-t-elle. Elle a alors décidé de continuer sa vie au pays de l’Oncle Sam et de rejoindre l’Université de Boston en tant que profes­seure adjointe au Centre de télédétection de cette université, avant de rejoindre l’Université de la Caroline du Nord pour travailler comme professeure agrégée au département de géographie et de géologie, puis comme directrice du Laboratoire des recherches en télédé­tection à l’université.

Aujourd’hui, elle avoue que cela n’a pas toujours été facile. S’imposer par le travail a été le fil rouge de toutes ses années d’apprentissage et de recherches. Elle concède que, dans la société occidentale et surtout américaine, une femme arabe et musulmane est constamment jugée. « Me tenir devant des cher­cheurs et des étudiants américains pour leur enseigner et leur donner mon savoir-faire n’était même pas dans mes rêves, moi, la simple jeune fille provinciale, venant d’une uni­versité gouvernementale. Mais grâce à mon assi­duité et à mes efforts sincères, j’ai réalisé un grand succès dans mon travail au point que mes étudiants et collègues m’ont décerné le prix du meilleur pro­fesseur à l’Université de Boston ».

Il y a un autre grand succès dont elle refuse sou­vent de parler. « Réussissant à transmettre à mes élèves que l’islam est une attitude et un comporte­ment et pas seulement une religion, je leur disais toujours que j’ai de beaux cheveux, mais que je porte ce voile par souci d’appliquer les enseigne­ments de l’islam avec un certain degré de modération. Ce qui a conduit l’une de mes étudiantes à lire sur l’islam, à devenir musulmane et à porter le voile, après avoir trouvé en moi — selon elle— le modèle d’une femme simple, qui a pu réunir la science et la modération religieuse. Cela m’a fait plaisir bien sûr, mais j’ai eu peur aussi qu’elles aient vu en moi ce que je n’ai pas vu », dit la scientifique sans pouvoir cacher son visage de rougir.

Et quand on demande à cette maman de deux jeunes filles, Salma, médecin de 24 ans, et Raghda, ou plutôt Didi, 22 ans, égyptologue, comment elle arrive à concilier sa vie profession­nelle et sa vie familiale, elle répond tout simplement : « Ce n’est qu’une question d’organisation ! Grâce à mes horaires fixes, je peux dégager tout le temps nécessaire pour ma famille. Et grâce à mon mari qui a décidé de faire un pas en arrière dans son domaine professionnel pour me laisser faire un pas en avant dans le mien, on a réussi tous deux à éduquer nos deux filles aux valeurs arabes et musulmanes. Il suffit de savoir qu’elles ne parlent que l’arabe à la maison, cette maison simple et purement égyptienne où l’on peut sentir l’odeur de la nourriture orientale et égyptienne en Caroline du Nord ! », conclut fièrement Iman Ghoneim.

Jalons

1997 : Licence en sciences du terrain de l’Université de Tanta.

2002 : Doctorat en géographie de l’Université de Southampton en Angleterre.

2003 : Début de carrière scientifique et académique aux Etats-Unis.

2010 : Professeure adjointe à l’Université de la Caroline du Nord à Wilmington.

2017 : Prix de meilleur professeur et enseignant de l’Université de la Caroline du Nord à Wilmington.

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