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Ahmad Mansour : Le citoyen d’Héliopolis

Lamiaa Al-Sadaty, Mardi, 12 décembre 2017

Architecte et passionné du quartier d’Héliopolis, Ahmad Mansour fait partie des fondateurs de l’initiative Héritage d'Héliopolis. Celle-ci vise à sauvegarder et revaloriser le patrimoine architectural de ce quartier, fondé il y a plus de 100 ans.

Ahmad Mansour
Ahmad Mansour, architecte et passionné du quartier d’Héliopolis. (Photo : Lamiaa Al-Sadaty)

La ville est son territoire. La rue, sa tri­bune. Et le quartier d’Héliopolis, son lieu de prédilection. L’architecte Ahmad Mansour fait partie de cette jeunesse consciente de l’importance du passé, permettant de construire un futur plus solide. Sans mémoire, l’être humain perd ses repères et toute conscience de son identité. Et comme la quête identitaire a dernièrement atteint son apo­gée en Egypte avec la révolution de janvier 2011, il était naturel de voir naître des mouve­ments de jeunesse qui s’investissent dans de nombreux domaines politiques, sociaux et cultu­rels. « Défendre le patrimoine d’Héliopolis fai­sait partie de la campagne électorale de l’acti­viste et politologue Amr Hamzawi lors des législatives de 2011, dans la circonscription d’Héliopolis. On lui avait proposé mon nom pour l’aider dans sa campagne, comme j’avais fait mon master sur Héliopolis en Belgique et que je suis un habitant du quartier », raconte Mansour, qui a obtenu son master en 2009, de l’Université Levain, en Belgique, le pays du baron Empain, fondateur d’Héliopolis.

La recherche de Mansour était centrée sur l’hippodrome ainsi que les zones aux alentours. « C’était l’entrée d’Héliopolis au début du XXe siècle. Un lieu d’amusement qui, au cours des années, n’a cessé de s’étendre pour inclure une salle de cinéma d’été en plein air et une autre, couverte, pour l’hiver, un parc d’attractions ainsi que le grand jardin du Merry Land. Celui-ci est devenu la destination favorisée de tous les habitants du quartier. Or, la destruction de la plupart de ces bâtiments a eu des répercussions sur les habitants et leur mode de vie. Mon objec­tif était d’expliquer comment revivifier ces endroits, ainsi que leurs fonctions, de manière à ce qu’ils répondent aux besoins des habitants d’aujourd’hui », explique Mansour avec beau­coup d’enthousiasme. Né dans le quartier, plus précisément à Roxy, le coeur vibrant d’Héliopo­lis, il se souvient encore des jours où il allait avec ses parents au jardin du Merry Land pour y passer la journée ou prendre le déjeuner à l’Am­phitryon ou au Palmyra, des restaurants en plein air à quelques pas. Tant de souvenirs qui l’habi­tent encore et ne font que consolider l’amour qu’il porte à son quartier, « unique ».

A son retour au Caire, Mansour a pris part à un projet de taille de l’Unesco, visant à déterminer les frontières du Caire antique, la dernière carte déposée à l’Unesco datant de 1948. « J’ai créé à l’époque la page Facebook Save Cairo, afin de sensibiliser les Egyptiens à leur patrimoine. Et j’ai été complètement pris par ce projet, lorsque j’ai reçu un appel de Hamzawi, alors candidat aux élections », se rappelle-t-il. Et d’ajouter : « Après avoir rencontré Hamzawi, mes amis et moi avons décidé de lancer une initiative sur l’héritage d’Héliopolis ». Une initiative sans chef, car les décisions sont prises par l’ensemble des membres sur la base de discussions et d’études. « Le patrimoine d’Héliopolis n’appar­tient pas à une seule personne, mais à tous ses habitants. C’est pourquoi il est impossible d’avoir un seul chef au sein de notre initiative ».

Les membres de l’initiative ont comme déno­minateur commun le fait d’être tous des jeunes et des habitants amoureux de leur quartier. Ainsi, le groupe s’organise à partir d’émotions com­munes ressenties à l’égard de leur espace de vie. Les membres de l’initiative ont dégagé cinq axes sur lesquels est élaboré leur plan d’action : le patrimoine architectural et urbain, les espaces en plein air, le transport et la mobilité, les événe­ments culturels et le tri des déchets. « Pour lan­cer un projet fructueux, il faut une coopération entre trois éléments sociétaux : les ONG, les décideurs (représentants de l’Etat) et les inves­tisseurs », explique Mansour.

Mansour est bien placé pour faire l’intermé­diaire entre ces trois éléments. Dynamique, il sait comment se débrouiller malgré les obstacles imposés par la bureaucratie. D’abord, il a tenté d’enregistrer tous les bâtiments patrimoniaux et de procéder à leur restauration, tel le palais du baron Empain ou le palais de la sultane Malak. « Nous nous intéressons aussi au palais prési­dentiel. Nous aimerions qu’il soit transformé en hôtel, comme ce fut le cas autrefois, dans la mesure où il y aura une nouvelle capitale admi­nistrative et que le siège présidentiel va y être transféré ». Une revendication restant sans écho pour le moment. Cela n’empêche pas Mansour d’attaquer d’autres terrains : « Il y a un mois, six villas anciennes ont été démolies à la rue Zifta, une des plus belles rues d’Héliopolis. De quoi nous inciter à lancer ce que nous avons appelé Les yeux d’Héliopolis, qui consiste à prendre en photo toute destruction du patrimoine et à la publier sur notre page Facebook. Nous regrou­pons aussi ces attaques dans des fichiers pour les transmettre à la municipalité », souligne l’architecte, tout épris de sa cause.

A bientôt quarante ans, Mansour connaît par coeur toutes les places et rues d’Héliopolis, et ce, dans les moindres détails. Il entretient un amour sans mesure pour l’endroit qui était l’objet de quasiment toutes les histoires qu’on lui a racontées depuis son plus jeune âge. « Mon grand-père me racontait de nom­breuses histoires qui se déroulaient à Héliopolis. Parmi celles-ci, sa propre histoire d’amour avec ma grand-mère », raconte-t-il, tout fier de faire partie de la troisième génération de sa famille née dans ce quartier. Le cinéma Normandie et la piste de patins à roulettes de Roxy étaient les lieux favoris des couples dans les années 1940.

Ce sont ces liens affectifs que des personnes comme Mansour nourrissent pour le quartier et qui les conduisent à vouloir le défendre, le pro­téger et le revaloriser. « Nous avons pensé à créer des zones ouvertes pour les enfants, mais nous avons été confrontés au problème du main­tien », raconte Mansour. Un rêve qui se concré­tisera peut-être un jour malgré tout.

Le métro d’Héliopolis est un autre objet histo­rique cher aux habitants d’Héliopolis. Il a été créé en même temps que cette banlieue cairote et est aujourd’hui en voie de disparition. Mansour s’en préoccupe : pétitions, propositions visant à le rénover au lieu de le remplacer par des bus, tentative de convaincre les responsables de son utilité et de sa valeur patrimoniale et écono­mique. « L’infrastructure existe déjà, et en plus, la durée de vie du métro est de 25 ans, alors que celle des bus est de 7 ans. Le métro d’Héliopolis, qui était un moyen de transport interne au quar­tier, et le métro souterrain, qui est un moyen de transport externe, auraient pu faire un bon réseau », indique Mansour.

Il n’y a ni échecs définitifs, ni réussites faciles. Telle est la devise de Mansour. Malgré certaines déceptions, lui et les membres de son initiative passent d’un dossier à l’autre, dont le plus important, en ce moment, est celui relatif au parc du Merry Land. Ils ont ainsi organisé des mani­festations dans les rues principales du quartier et des réunions publiques, avec notamment le ministère de l’Environnement et les respon­sables municipaux. Une démarche plus ou moins réussie, cette fois-ci. « Le Merry Land est une propriété de la société Masr Al-Guédida. Une trentaine d’arbres ont été coupés à la suite de sa location par un investisseur qui cherchait à faire un parking souterrain. Aujourd’hui, le projet de rénovation est mis sous le contrôle du ministère de l’Environnement et nous allons bientôt revoir le parc d’autrefois », se réjouit Mansour.

Son enthousiasme est non seulement dû au fait que le quartier d’Héliopolis est pour lui syno­nyme de souvenirs, mais aussi au fait qu’il a été invité à prendre part à la restauration de Ghernata, l’hippodrome, autrefois un lieu de divertissement, juste en face du Merry Land. Il tient à transmettre cet enthousiasme aux autres habitants du quartier sous différentes formes. « Des visites guidées, à pied ou à bicyclette, sont organisées de façon régulière, afin de faire mieux connaître aux gens leur quartier. Cette forme de mobilité au sein du quartier permet de réduire la consommation de pétrole et la pollu­tion, tout en gardant contact avec les autres habitants du quartier », explique Mansour. Il affirme que le projet marche bien, même s’il sort des sen­tiers battus. « Les habitants d’Hélio­polis ont le mérite d’être ouverts d’esprit et flexibles », explique Mansour. Ainsi, il n’hésite pas à se balader à vélo dans les rues du quar­tier avec des habitants de tout âge, échangeant aussi bien des histoires que des informations.

Un autre dossier sur lequel l’initia­tive travaille sérieusement est la création d’espaces culturels à Héliopolis et l’organisation annuelle d’un grand festival d’art avec des expositions et des concerts musicaux de tout genre, afin de renforcer les rapports entre l’espace et les habitants.

Le risque de disparition ou de transformation d’un quartier comme celui d’Héliopolis suscite des émotions fortes chez Mansour, comme chez de nombreux citoyens. « Ce n’est plus une ques­tion d’élitisme, mais plutôt de protection et de gestion des biens patrimoniaux. Héliopolis est un quartier unique. Le seul quartier d’Egypte qui reste jeune malgré son ancienneté », affirme Mansour. Et de poursuivre : « A comparer avec d’autres quartiers résidentiels, qui ont toujours abrité une certaine élite, comme Garden City ou Zamalek, le taux de jeunes à Héliopolis est élevé. Des jeunes mariés notamment cherchent encore à y résider. Pas loin du centre, Héliopolis est quand même une banlieue autonome, dotée de toutes sortes de services et de moyens de divertissement. Sans compter la structure sociale harmonieuse. Il suffit de se balader à Héliopolis pour se rendre compte du changement architec­tural survenu en Egypte au XXe siècle. Un vrai catalogue vivant ». Mansour défend la mémoire collective des habitants d’Héliopolis quant à leur quartier et cherche à la transmettre aux nouvelles générations. « Il faut avoir des histoires à racon­ter à ses enfants », dit Mansour, qui espère se marier et former une famille qui habitera tou­jours à Héliopolis. Ce serait la quatrième généra­tion des Mansour à y résider.

Jalons :

20 décembre1978 : Naissance au Caire, Héliopolis.

2001 : Diplôme des beaux-arts, section architecture.

2002 : Participation au projet de réaménagement du quartier copte avec l’architecte Mona Zakaria.

2006-2009 : Master « Où va Héliopolis ? », Centre Lemaire, Université de Levain, Belgique.

2010 : Coopération avec l’Unesco pour élaborer un plan de conservation du Caire antique.

2011 : Lancement de l’initiative Héritage d’Héliopolis.

2014 : L’initiative se transforme en ONG.

2017 : Chargé de cours d’architecture et d’art islamique à l’Université Misr International.

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