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Yara Chalaby : La princesse du désert

Amira Doss, Mardi, 11 juillet 2017

Yara Chalaby est la seule femme égyptienne à avoir participé et remporté des rallyes. Elle a réussi à s'imposer dans le monde masculin du sport automobile.

Yara Chalaby
Yara Chalaby.

Elle avale les virages, accélère, se rue sur les pentes sablonneuses, ressent le plaisir de la vitesse, réalise des cascades. Tout au long du parcours d’un rallye, elle se plaît à découvrir la puissance de son véhicule, mais aussi ses propres capacités. Yara Chalaby éprouve une attirance particulière et irrésistible pour ces reliefs de sable jaune et ocre. Elle aime faire sa propre piste dans cette immensité. Elle connaît son véhicule par coeur et pour elle, la peur, « il faut l’oublier ». Loin de la monotonie de la vie quotidienne, elle rêve tout haut, s’évade, défie ses propres limites et essaye de les dépasser. D’exploit en exploit, Chalaby adore les rudes épreuves et considère que « vaincre, sans péril, est une triomphe sans gloire ». Sa peur, elle sait comment la gérer et sa passion pour les autos est sa principale vocation. Difficile de la comparer aux autres femmes de son âge. Esprit sportif, ténacité, Yara Chalaby associe la rigueur et le sens de l’organisation à l’élégance. Sourire charmeur, yeux sombres et pétillants, cheveux longs et bouclés, elle dégage de la féminité. Loin des courses et des rallyes, elle attire les regards de par sa sveltesse, sa voix douce et sa confiance en elle-même. Yara Chalaby est la première et la seule femme égyptienne à avoir remporté un rallye. Elle est également la seule à avoir participé à des rallyes en dehors des frontières égyptiennes. Elle a été d’ailleurs classée première de sa catégorie, lors du Rallye des Pharaons en 2014, et première au niveau des courses nationales en 2016. Elle est aussi la seule femme égyptienne à avoir participé à des courses régionales, notamment aux Emirats arabes unis, au Qatar et au Maroc. Et ce n’est pas tout.

Yara est aussi la seule femme arabe choisie pour assister au stage mondial de formation des rallystes, organisé par la Fédération internationale de l’automobile. C’est au volant de sa 4x4 qu’elle illustre tout son talent. En tant que femme pilote, elle veut non seulement concurrencer, mais surtout marquer l’histoire des rallyes. Dans le monde arabe, on l’appelle « la princesse du désert », ou encore « la reine du sport auto ». Lauréate de plusieurs courses, elle a pu s’imposer au grand dam de certains hommes. « Je ne veux pas qu’un seul rallye résiste aux femmes. Un jour, il va falloir arrêter de dire que les femmes ne savent pas conduire ». Yara Chalaby roule dans ces monstres de puissance en toute aisance et fait tout pour prouver que le talent n’est pas une affaire de genre. « J’ai réalisé que ce monde des sports mécaniques est géré par des machos. Au début, on ne m’a pas prise au sérieux. Tout le monde, y compris ma propre famille, avait pensé que j’allais passer une journée au désert et revenir désespérée. Mais quand ils ont vu mes résultats, ils ont compris que ce sport va devenir ma passion ». Discrètement, Yara a appris à faire face à toutes sortes de dangers. « Il faut savoir gérer les détails techniques et mécaniques du véhicule, lire les cartes routières, le chronomètre et le décompte de kilomètres. Une seule erreur peut coûter la vie à un rallyste ». En effet, elle est bien placée pour le dire, car à sa première course, elle n’a pas réussi à atteindre la ligne de la fin et s’est perdue dans le désert, jusqu’à ce qu’une équipe de sauvetage vienne à son secours. « Je n’avais pas suffisamment d’expérience. Mon véhicule n’était pas assez équipé et le copilote n’était pas à la hauteur de cette dure épreuve. C’était une occasion pour tous ceux qui me sous-estimaient de prouver qu’ils avaient raison. Si le premier rallye a été pour moi une occasion de voir et de comprendre, le deuxième était pour gagner ». C’est à partir de ce moment-là que Yara Chalaby a réalisé qu’il fallait refaire tous ses calculs avant de passer au deuxième rallye et décider de faire bien mieux que jeu égal avec ses pairs masculins. Elle était résolue à devenir parmi les femmes pilotes les plus influentes dans le secteur automobile mondial. Cela étant, Chalaby a immédiatement montré ses talents, a appris la mécanique et a choisi un copilote professionnel pour monter à ses côtés. Bref, elle a opéré tous les ajustements nécessaires et est repartie à zéro. « Il est très difficile en Egypte de modifier un véhicule 4x4 pour l’adapter aux courses. On ne trouve pas d’ateliers spécialisés. J’ai dû chercher les designs sur Internet, puis demander à un artisan de fer forgé de me préparer les sièges spéciaux et les barres de toit. En plus, ce sport coûte assez cher. Car, il faut non seulement se procurer une 4x4, mais aussi participer à des stages internationaux, faire des commandes de tenues et casques nécessaires, etc. ». Et d’ajouter : « J’ai réalisé que le fait de commander ses accessoires à l’étranger reviendra trop cher ; donc j’ai dû les emprunter à d’autres pilotes qui m’ont précédée dans ce domaine ». Ces dépenses excessives ont obligé la jeune femme à chercher un métier stable, au revenu fixe, pour lui permettre d’assumer les frais de ce sport au budget énorme. Ainsi elle a décidé de faire partie de l’équipe de consultants techniques et de travailler comme développeur IT dans une banque. De quoi lui garantir une certaine stabilité financière. « Le gros de mon salaire est consacré à ce sport. Un rallyste a besoin d’un sponsor qui puisse l’aider à continuer son parcours ». En fait, ce n’est que plus tard que les sponsors commencent à s’intéresser à cette jeune femme. « Précisément lorsque j’ai commencé à réaliser des exploits, les responsables de la banque où je travaille m’ont proposé des offres de parrainage. Cela m’a permis de mieux m’investir dans ce sport et d’améliorer l’état de mon véhicule ».

Quant aux risques, elle en a connu de tout genre. Un accident l’a obligée à rester assise dans une chaise roulante pendant six mois. Mais ceci n’a pas empêché cette jeune femme de faire ses preuves sur les pistes internationales. « Dans cet univers très machiste, il y a quand même celles qui ont brillé. Je n’ai pas voulu passer inaperçue ». Remarquée par ses résultats en championnat, elle est parvenue à se hisser au niveau mondial et n’a pas tardé à devenir un concurrent sérieux, enchaînant les victoires, réussissant à se classer parmi les femmes les plus importantes de ce sport et luttant pour des titres encore plus ambitieux. Chalaby ne laisse aucun détail au hasard. La préparation physique et mentale, et la concentration à chaque course sont un secret de réussite. Elle n’hésite pas non plus à préparer son équipe, à réviser les trajets et les repères et à effectuer toutes les vérifications techniques avant de se lancer dans le désert. « Dans ce sport, la mixité était impensable il y a quelques années. Nous passons parfois cinq nuits successives dans le désert et nous circulons plus de 500 kilomètres. Si la première fois, c’était impressionnant de conduire à cette vitesse, au fur et à mesure cela devient une chose normale. Je ne pense à rien sauf gagner. Remporter un championnat n’est pas comparable à terminer en deuxième place. J’ai appris que tout concurrent est à prendre en compte, que chaque détail est primordial et que le moindre écart peut entraîner la perte ». Au volant, elle fait preuve de sang-froid, malgré la vitesse extrême à laquelle elle conduit. « C’est seulement dans le désert que je sens que la vie a un goût différent. C’est vraiment l’expérience qui vous transforme à jamais. J’ai vu des paysages dont je ne pouvais imaginer l'existence en Egypte et à chaque fois, on découvre du neuf. Le Sahara est un monde exceptionnel, sans limites, qui vous dévoile à chaque fois ses secrets ». Ses yeux brillent dès qu’elle prononce le mot « difficile ». « Je n’aime pas les choses ordinaires, planifiées et tracées d’avance. J’aime me lancer dans l’aventure sans savoir au préalable ce qu’elle me cache en bout du chemin. Il m’arrive parfois d’être impressionnée par les résultats qui dépassent de loin mes attentes. Jamais je n’imaginais que j’allais être championne, ni même que j’allais participer à un rallye. Tout est arrivé par coïncidence. J’ai fait un premier pas et chaque étape me conduit vers la suivante, c’est ainsi que je découvre que rien n’est impossible ». Pour elle, la vie n’a rien en commun avec un long fleuve tranquille. Chalaby raconte qu’une fois en vacances au bord de la mer Rouge, elle prend son kayak et passe de longues heures au large. Le lendemain, elle découvre qu’il était possible de passer à l’autre rive : la Jordanie. De retour, elle a demandé les permissions nécessaires et organisé la première course de kayak entre les deux pays, laquelle dure neuf heures. Cet esprit incite Yara à secouer les eaux stagnantes. Elle ne rate pas une occasion pour mobiliser les jeunes à découvrir leurs talents. « Je donne parfois des séances de Life Coaching, on m’invite aussi à des cérémonies de fin de diplôme. Je tiens à répéter aux jeunes qu’au lieu de me poser la question : comment j'ai réalisé ces exploits, il faut poser la question à l’envers : pourquoi n’est-il pas possible de réaliser de tels exploits ? Qu’est-ce qui peut empêcher une personne d’atteindre ses objectifs ? La réponse : ne laisser personne vous faire croire que vos capacités sont limitées, ni vous persuader de renoncer à vos rêves ».

Aujourd’hui, Yara Chalaby aspire à féminiser le sport automobile. Elle vient de créer la première équipe de rallye, appelée Gazelle et composée uniquement de femmes, y compris la mécanicienne. « Je veux aider les filles à avoir plus confiance en elles-mêmes et à avoir la détermination d’aller jusqu’au bout. Je veux briser les stéréotypes qui disent que les femmes sont moins qualifiées que les hommes dans le sport automobile et les sports d’adrénaline. Au Maroc, il existe des rallyes à cent pour cent féminins ». Pourtant, elle regrette les restrictions sécuritaires imposées actuellement par l’Egypte en ce qui concerne l’organisation des rallyes. « Le désert égyptien est parmi les plus beaux du monde. De plus, un rallye est une occasion de promouvoir le tourisme dans le pays. Chaque équipe vient accompagnée de techniciens et de journalistes qui couvrent l’événement ». La championne n’a pas l’intention de rester les bras croisés. Elle participe à des rallyes partout dans le monde arabe, garde les pieds sur terre. Et organise son temps entre sa famille, son métier et son sport. Son mari est lui aussi pilote et comprend l’importance de ce sport pour sa femme. « Notre nuit de noces et notre lune de miel se sont déroulées dans le désert. Mon fils est lui aussi amateur du Sahara ». Et d’ajouter : « La vie est comme le désert, faite de pentes, de hauts et de bas. Il y aura tout le temps des obstacles à surmonter. Peu importe. On poursuit toujours son chemin ».

Jalons

1981 : Naissance au Caire.

2004 : Diplôme d’ingénierie civile.

2013 : Première participation à la course Al-Rémal, à Gouna.

2014 : Première Egyptienne à participer au Rallye international des Pharaons.

2015 : Participation au Rallye d’Abu-Dhabi.

2016 : Création de l’équipe Gazelle, composée uniquement de femmes.

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