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Moussa Touré : Le solitaire passionné

Soheir Fahmi, Lundi, 08 mai 2017

Moussa Touré est un célèbre réalisateur sénégalais très primé et dont les films ont un énorme succès à travers le monde. Rencontre à Louqsor avec le réalisateur de Bois d’ébène qui ne manque pas de verve et de projets.

Moussa Touré
Moussa Touré

« Je suis un homme de l’image et du silence. En fait, je suis un solitaire. C’est dans la solitude que je pense et crée mes films ». On a de la peine à le croire, en voyant Moussa Touré aller et venir, dire des boutades, s’amuser avec drôlerie et ne cesser d’être attentif aux uns et aux autres. Il a, en fait, besoin de ses moments de grande solitude pour se retrouver, et surtout retrouver en lui cette passion qui l’anime et qui en fait un mordu du cinéma. Ce parcours et cette aventure de sa vie qui a débuté très tôt à l’âge de 15 ans.

Aîné de 6 enfants d’une famille aisée, le petit Moussa, ainsi que les siens, se retrouvent dans une situation financière précaire à cause du décès du père. D’ailleurs, après cette époque de faste, de voitures, sa mère en conduisait une des fêtes quotidiennes à la maison, le petit enfant espionnait sa mère qui vendait ses bijoux pour subvenir aux besoins de ses enfants. « A cette époque, on n’écrivait pas les parts d’argent qui reviennent à chacun. Tout était oral, et du coup, on pouvait manipuler les choses ».

Moussa alors, encore gosse, cherche du travail. Son objectif est de nourrir sa famille. Sa mère, cinéphile mordue, l’emmène rencontrer Johnson pour travailler dans le cinéma. « Elle aimait tellement le cinéma et elle allait voir des films avec mon père. Après la mort de son mari, elle a continué son hobby préféré. Mais comme c’était mal vu, elle nous demandait de dire qu’elle était au marché. C’était amusant parce qu’on disait cela le soir, lorsqu’il n’y avait plus de marché ».

De toute manière, Moussa a également hérité des appareils photo de son père qui était photographe. Il a également hérité de sa grande taille. « Je suis le plus petit, mon père faisait 2,9 mètres et mes enfants sont très grands ». Il rit de bon coeur en ajoutant : « On appelait mon père et mon grand-père Sori le géant (Sori Ba Touré, Sori le géant éléphant) ». Moussa est fier de ses origines maliennes également. « Nous sommes des gens de la mer ». Cela se répercutera dans tous ses films.

Mais bien avant, à partir du moment où il découvre le cinéma, il comprend, mais surtout les personnes autour de lui qui découvrent son grand talent. Il part à Casenove et découvre son pays ainsi que le cinéma où tout d’abord il lui faut regarder les images et noter ce qu’il voyait et faire des remarques. Mais il détient un cahier également où il écrit un scénario. Très vite, il est remarqué à cause de sa réputation d’électro doué, et on l’engage dans un film que Truffaut est venu réaliser à Dakar. Mais le petit Moussa ne lâche pas non plus l’école. Il dit de lui-même, avec cette confiance qui transparaît dans ses actes et ses paroles : « Je fonctionne avec deux cerveaux, l’un pour le cinéma, et l’autre pour l’école ». Cependant, ses petits copains de classe ne découvrent rien de sa vie secrète qu’il cache bien jalousement. « Lorsque je m’absentais de l’école, je disais que ma mère était malade. Les vieux du quartier, eux, se rendaient compte et disaient à ma mère que le cinéma n’était pas une chose sérieuse ». La mère acquiesçait, mais le poussait à poursuivre son chemin.

Il est tellement doué que le gouvernement sénégalais lui propose une bourse pour la Russie. Mais il avait sa petite idée du cinéma russe de l’époque, où l’on ne parlait que d’espionnage, et il demande de partir en France, mais pas pour faire des études. « J’avais besoin d’être dans un laboratoire. C’était son rêve ». Son rêve se réalise, et il part dans les grands laboratoires Eclair, à Paris dans les années 1980 pour une année. Il est initié à l’étalonnage, mais il savait déjà monter un film. Et c’est sa grande force. « Je sais tout du fonctionnement d’un film ». Durant cette année, il ne se suffit pas d’apprendre, il écrit des scénarios. Il écrit un court métrage qu’il présente à la famille Schlumberger de Gaumont, et celle-ci s’enthousiasme pour le projet. Et c’est Toubab bi en 1992. C’est mon histoire. De retour de Namur, dans l’avion, le cinéaste Samba Félix Ndiaye lui confie : « Tu sais pourquoi ton film est bien, c’est parce qu’il te ressemble ». C’est la première fois qu’il se rend compte de cela, et il apprend à visionner ses films pour se connaître. D’ailleurs, il ne cesse de répéter : « Je suis un observateur, et c’est ma manière de faire du cinéma ».

Moussa Touré admire beaucoup John Ford pour sa direction des acteurs et de l’espace. Les producteurs du film à succès Trois Hommes et un couffin lui produisent en 1997 TGV, qui est un succès immense. Tellement grand qu’il en a peur, car ce n’était pas le cinéma qui l’intéressait, mais les films. Il s’arrête et reste dans son coin pendant 2 ans. Mais le numérique arrive. Et en tant que technicien, il s’en passionne et il observe comment cela marche. Il crée son premier documentaire Poussière de vie.

Mais il faut absolument le noter, Touré fait des courts métrages ou des films de fiction avec cette même verve et cet acharnement pour son africanité. Né après les indépendances, il reste un révolutionnaire. L’influence de Senghor est indéniable. « Elle nous a permis un savoir sur nous-mêmes, sur les autres et sur le monde, la poésie, Baudelaire, Césaire et d’autres ». Le Festival des Arnèques au Sénégal, alors qu’il avait 15 ans, reste pour lui une référence. Ainsi que le Mali avec ses origines et tout ce que cela comporte.

A part ses 17 courts métrages où la mer est présente d’une manière ou d’une autre, il y a ses deux superbes longs métrages qui chevauchent entre le documentaire et la fiction, et où l’image nous obnubile longtemps après la projection du film. Nous parlons de La Pirogue et de Bois d’ébène. La mer reste au centre de ses intérêts, elle est porteuse de toutes les grâces et de toutes les disgrâces comme l’esclavage. Moussa s’acharne sur un sujet douloureux qui est le viol des femmes. Ainsi, nous sommes confrontés à un pan essentiel de la personnalité de Moussa Touré, riche de contours et de profondeurs. Bois d’ébène est fait de trois pages de scénario déjà découpé avant la réalisation du film. Le travail de documentation a été long et dense. A la fin d’un court métrage sur le viol, le grand réalisateur, Sissako, a pleuré d’admiration en public.

Plus de 2 millions de spectateurs ont vu Bois d’ébène à travers le monde. Histoire dure de l’esclavage, ce film poétique, malgré sa violence, vous prend aux entrailles. Projeté au Festival de Louqsor pour le cinéma africain en 2017 dans une version française sans traduction, il touche un large public de jeunes qui ne partent pas à la fin du film. Ils attendent le réalisateur pour lui communiquer l’intensité de cette histoire sur l’esclavage noir, qui reste présente malgré les années. Touré a également un projet difficile à réaliser, mais pour lui, rien ne semble impossible sur l’esclavage arabo-musulman. Bien avant, La Pirogue, qui traitait de l’immigration clandestine, avait eu un impact aussi fort. Il a fallu 15 ans de documentation avant de réaliser ce film.

Moussa Touré, qui aime bien qu’on l’appelle Moussa Moise Touré, comme le faisait sa mère, a compris que le cinéma existait pour laisser des traces. Il faut que cela fasse son chemin après sa mort.

Il reste le problème du visionnement des films dans son pays le Sénégal. Il n’existe pas de salles. Il l’a résolu en partie par un festival qu’il organise tous les ans et où il projette ses films en plein air. Il a une audience de 9 000 spectateurs par jour. Mais ce n’est qu’une solution partielle. Il a un autre projet qu’il a présenté aux maires des différentes villes et banlieues, qui est celle de construire quatre murs et de faire des projections simples sans climatisation ni salles sophistiquées. Trouver les moyens du bord pour le plaisir de tous.

Moussa Touré ne manque ni d’idées, ni de projets, il pétille de vie et de vivacité, et remplit l’espace de cette bonne humeur et de cet humour qu’il emmagasine pour ses moments de solitude et de réflexion dans sa maison dans la banlieue de Dakar.

Il est entouré d’une famille passionnée où 3 de ses 6 enfants, comme lui-même, sont férus de cinéma. Son fils aîné est son assistant. Il avait toujours eu la hantise de mourir de manière précoce comme son père. Est-ce pour cela qu’il ne voulait pas se marier ? Il papillonnait de gauche à droite, entouré de jolies filles qu’il oubliait dès qu’il était pris par le travail. Les relations n’avaient pas ainsi de suite. Lorsqu’il avait terminé son travail, « il avait plus besoin de paix que d’amour ». Mais le destin l’attendait au tournant. Il fait la connaissance d’une très belle jeune fille, et il demande à son père la permission de sortir avec elle. Le père accepte, mais lui demande simplement de prendre soin d’elle. Ils sortent ensemble, il en est amoureux, mais tient à la promesse qu’il a donnée à son père qui décède entre-temps. Il la demande alors en mariage. Touré parle avec discrétion mais amour de sa vie conjugale. Il note toutefois avec humour en chuchotant à sa femme : « Durant la cérémonie de notre mariage, les gens, surtout les femmes, sont venus non pas pour me voir, mais pour savoir qui tu es ».

Il rit et ne s’attarde pas trop sur sa personne. Dans sa simplicité et ses vêtements traditionnels éclatant de couleurs, il ne pense pas aux nombreux prix qu’il a récoltés dans les différents festivals, mais plutôt à l’avenir, à l’Afrique et à cette jonction qui est perdue entre l’Afrique noire et l’Egypte. Il reviendra en Egypte pour réaliser un projet, disons « des projets de rencontres entre nos deux pays qui appartiennent au même continent ». Et les histoires et les projets abondent au détour d’une promenade et au cours d’un dîner .

Jalons

1958 : Naissance à Dakar.
1997 : TGV.
2012 : La Pirogue.
2016 : Bois d’ébène.

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