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Nazli Kabil : Une vie au service des autres

Nada El-Hagrassy, Mardi, 02 août 2016

A près de 90 ans, Nazli Kabil continue à être active au Croissant-Rouge égyptien. Infirmière, elle a dédié sa carrière à la formation des nouvelles générations à même de prendre la relève. Les défis sont de taille, mais cette véritable Mère Teresa a l’habitude des conditions difficiles sur le terrain.

Nazli Kabil
Nazli Kabil.

« Je me souviens de ce jour comme si c’était hier », dit Nazli Kabil, doyenne des infirmières et membre du conseil d’administration du Croissant-Rouge égyptien, en montrant la médaille Florence Nightingale, décernée à des infirmiers, des infirmières et des auxiliaires de santé, originaires de plus de 16 pays, en reconnaissance de leur travail remarquable. Elle l’ac­croche toujours à sa blouse blanche, et la montre fièrement. « C’est l’ancienne première dame, Suzanne Moubarak, qui avait présenté ma candida­ture au haut comité de la Croix-Rouge à Genève, afin de valo­riser mes efforts à secourir les sinistrés du séisme qui a secoué l’Egypte en 1992 », dit-elle. D’ailleurs, Kabil continue toujours, à presque 90 ans, à se rendre dans les locaux du Croissant-Rouge, situés dans le quartier d’Al-Nahda, là où elle s’était entretenue avec la première dame, qui l’avait saluée d’une « voix douce, à peine perceptible ». L’infirmière nonagénaire supervise toujours avec le même enthou­siasme les services quotidiens offerts aux habitants. « Je suis la 26e personne de par le monde et la première Arabe à recevoir ce pres­tigieux prix qui équivaut au prix Nobel et qui récompense le cou­rage et le dévouement exception­nels de ceux qui portent secours aux victimes d’un conflit armé ou d’une catastrophe naturelle », sou­ligne aussi celle qui est nommée « la mère des infirmières » égyp­tiennes, d’une voix débonnaire qui lui ressemble, portant les signes du temps tout comme son visage, plein de rides.

Dans sa vie, tout pousse à croire qu’elle a été prédestinée à un par­cours exceptionnel. Son père, un marchand d’Al-Azhar, était un amoureux du travail social et de l’aide que l’on peut fournir aux plus faibles. Sa soeur aînée était pratiquement la première femme égyptienne à partir à l’étranger pour étudier la science de l’infir­merie. « C’est elle qui m’a encou­ragée à faire carrière dans ce domaine. Du coup, j’étais la pre­mière femme promue de l’Ecole d’infirmerie au Caire, devenue plus tard la faculté d’infirmerie dont j’ai moi-même participé à la fondation ». Sa spécialisation d’origine ? Les soins pour enfants. D’où son travail pendant de lon­gues années à l’hôpi­tal pédiatrique d’Aboul-Rich, là où elle a rencontré son mari le docteur Safwat Choukri, chef de service de pédia­trie (enfants préma­turés). A l’époque, l’infirmerie profes­sionnelle était encore à ses débuts en Egypte, d’où de mul­tiples carences en la matière qui posent toujours problème jusqu’à nos jours. « Cet état des lieux m’a de tout temps poussée à chercher des solutions permanentes. Et la plus logique a été de créer tout d’abord une véritable faculté d’infirmerie, permettant le développement de ce secteur », fait remarquer Nazli Kabil.

Ses efforts lui ont valu d’être nommée « doyenne du syndicat des Infirmiers ». « J’ai créé au fur et à mesure 27 facultés d’infirme­rie dans les 27 gouvernorats, afin de faire évoluer ce métier, en dehors de la capitale. J’organisais aussi des stages de formation, pour améliorer le niveau des infirmières dans les provinces, et les tenir au courant des dernières évolutions. Je prenais en considération leurs conditions de vie, sachant que je ne pouvais exiger d’elles de venir au Caire, c’était plutôt à moi d’al­ler vers elles », explique Nazli Kabil, avec un léger sourire sur les lèvres, en se rappelant ces jours de gloire. Une combattante acharnée qui sait prendre les choses en main.

Ainsi, elle fut choisie en 1997 comme la « mère idéale » par les infirmières d’Egypte qui ont voulu couronner son parcours. Ce mes­sage d’amour assez sincère venait à un moment très difficile de sa vie : son fils, médecin comme son père, fut atteint d’un cancer au stade final. Il en avait pour quelques mois, lui avait-on dit. Et la mère était com­plètement dévastée. « J’ai été jusqu’à demander à ces médecins traitants, qui étaient aussi des amis et collègues de son père, de lui sou­mettre de faux rapports et analyses pour qu’il ne doute de rien. Je ne voulais pas qu’il sache la vérité », raconte-t-elle.

Comme membre du conseil d’ad­ministration du Croissant-Rouge égyptien, elle a pu s’investir davantage dans le travail social. Le séisme qui a frappé l’Egypte en 1992 lui a permis de le faire. Nazli Kabil devient chef d’équipe, char­gée de secourir les sinistrés. « On a enterré des morts, relocalisé des sans-abri dans la cité d’Al-Nahda, on a même aidé les orphelins à trouver des familles adoptives », ajoute Kabil. Et d’ajouter : « J’ai adopté un petit garçon, orphelin à cause du séisme. Aujourd’hui, il est devenu enseignant à la faculté de commerce, de l’Université de Zagazig. Ce jeune homme n’a jamais oublié ce qu’on a fait pour lui, il nous rend régulièrement visite, dans les locaux d’Al-Nahda, pour payer 100 L.E. tous les mois. Il me dit : prends cet argent maman, ça peut sauver d’autres jeunes garçons ».

Toujours dans les locaux du Croissant-Rouge à Al-Nahda, elle continue à superviser le travail, organiser des cours de soins d’ur­gence, tous les samedis et mardis. « Je leur apprends quelques soins de base, ceux que toute femme au foyer doit connaître, rien que pour soigner ses enfants ou son entou­rage. Je leur montre quelle sorte de médicaments on a besoin d’avoir à domicile. Vers la fin des cours, je choisis la plus intelligente, celle qui a assimilé le mieux mes instructions et je lui demande de transmettre ce qu’elle a appris à d’autres. J’envoie également une aide-soignante afin de vérifier si cette cheftaine a bien accompli sa mission, parmi les voi­sines », précise Nazli Kabil.

Outre les soins de base, les acti­vités du Croissant-Rouge égyptien s’étendent à d’autres aspects. Celui-ci orga­nise par exemple des cours d’analphabétisme au profit des habitants ; Kabil s’en occupe. « Le résultat est souvent assez satisfaisant, sauf cette fois-ci : 28 partici­pants doivent refaire les examens ». Et de pour­suivre : « L’été, on transforme les cours des maisons et les entrées des immeubles en bibliothèques de fortune. On couvre le sol de tapis bon marché, on place des tables basses par-ci et par-là, et on reçoit des enfants en vacances, lesquels s’amusent en lisant en groupe. On leur distribue des livres, en fonc­tion de leur âge, et on organise des concours de lecture entre eux. Les plus brillants reçoivent des prix ».

La joie de Kabil est encore plus grande, car c’est sa propre fille, Manal Safwat Choukri, qui s’oc­cupe essentiellement de cette der­nière activité. Diplômée de l’Uni­versité américaine, cette dernière a commencé par travailler dans une entreprise privée, elle touchait un salaire mirobolant, mais a tout lais­sé tomber pour le bénévolat.

De plus, le Croissant-Rouge a installé un jardin pour les enfants et un club pour les personnes âgées, toujours au sein de la cité Al-Nahda, aux alentours du Caire. Il fournit des allocations de pau­vreté aux plus démunis. Nazli Kabil a toujours une histoire à raconter sur chacune de ces activi­tés : Un jour, deux dames sont venues la voir au bureau. Il s’agis­sait de deux soeurs veuves, sans emploi. Leur père, travaillant dans un pays du Golfe, leur envoyait 600 L.E. par mois, loin de couvrir les coûts de la vie. « J’ai l’habi­tude de ne pas croire les gens ins­tantanément. Je dois faire mes recherches d’abord. J’ai donc payé moi-même une visite à domicile pour vérifier leurs dires. Lorsque je me suis rendue chez elles, j’ai découvert toute une autre réalité. Elles avaient un bel appartement, muni de poste de télévision, lave-vaisselle, etc. Ma réponse fut prompte : Le Croissant-Rouge ne vous offre rien, sauf vous aider à apprendre un métier ».

Nazli Kabil n’aime pas qu’on abuse de sa gentillesse, au bout de 75 ans de carrière. Le travail social lui a révé­lé les secrets de ce monde, parfois assez dur à supporter. Il lui a appris aussi d’essayer de faire d’une pierre plusieurs coups, car il s’agit d’une association qui dépend essentiellement des dons des indi­vidus. Donc, il faut par exemple apprendre aux gens à tisser des tapis traditionnels ou à faire de l’artisanat, ensuite mettre en place des points de vente pour écouler la marchandise et avoir une petite marge de profits. Mettre en pra­tique cette manière de penser et de voir les choses est à même de remédier aux problèmes de l’infir­merie en Egypte. Kabil n’a jamais oublié ses priorités. Il faut sans doute oeuvrer à améliorer l’image négative des infirmières dans la société, redorer le blason de cette profession en crise, sans omettre d’élever le niveau d’enseignement spécialisé.

Jalons :

Janvier 1926 : Naissance au Caire.

1956 : Diplôme d’Etat de l’infirmerie.

1974 : Directrice du département d’infirmerie,

auprès du ministère de la Santé.

1984 : Doyenne du syndicat des Infirmiers.

1982 : Le Prix d’Etat pour les sciences et les arts.

1997 : Nomination comme « mère idéale » des infirmières, à l’unanimité.

1997 : Médaille Florence Nightingale.

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