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Le compositeur Tamer Karawan : La vie telle une note de musique

Yasser Moheb, Lundi, 18 février 2013

Auteur des musiques de plusieurs films et feuilletons sortis cette saison sur les écrans, le compositeur Tamer Karawan est à l’origine de nombreux succès tant auprès du public que de la critique.

visage

Il vient de reprendre son souffle, de faire le bilan et de réfléchir à l’avenir. Il vient de terminer depuis quelques jours la bande-son du nouveau feuilleton intitulé Zat (soi) signé par la réalisatrice Kamla Abou-Zikri, et celle du feuilleton Kaff afrit (point de basculement) du comédien Khaled Saleh. Et il se prépare à composer la musique d’un troisième intitulé Régl el-ghorab (pattes du corbeau) interprété par la jeune Emi Samir Ghanem.

Il a composé les musiques de Taraf talet (troisième partie), Charbat loz (jus d’amandes) et Zay al-ward (comme une rose). « C’était une période très chargée, mais qui m’a donné la chance de m’exprimer différemment à travers différents goûts et genres dramatiques. C’est là que je trouve la vraie jouissance de l’artiste ».

Mélomane averti, Tamer Karawan semble à l’aise chez lui, dans son univers familial de la ville du 6 Octobre. Dans sa pièce préférée, son bureau-studio, il nous confie : « C’est là que je passe des heures et des heures à écrire ma musique et à suivre tous les processus de mes oeuvres. C’est ici que toutes mes pièces prennent vie ».

Musique et mécanique : deux termes qui résument assez bien la vie et la carrière de ce compositeur musical déterminé, puisque l’enfance de Tamer Karawan est marquée par l’amour de la musique. Né au sein d’une famille mélomane, le petit Tamer reçoit de son oncle, le peintre et mélomane Chérif Karawan, ainsi que de sa grand-mère, le goût pour la musique, ensuite pour le cinéma.

Son grand-père, lui-même passionné de musique, lui achète un mélodica dès l’âge de 8 ans. Fan des musiciens de l’époque et des bandes musicales des feuilletons, Tamer pratiquera son hobby en jouant du piano. « Le piano s’est toujours trouvé une place majestueuse dans la maison de la famille, se souvient-il. Mon oncle et ma grand-mère jouaient toujours du piano et m’encourageaient à faire de même dans le but d’encourager ma passion pour la musique qu’ils ont remarquée avant que je ne m'en rende compte moi-même. C’était dans cette ambiance musicale que j’ai grandi ».

Une vocation artistique qui a été également soutenue à l’école, où il devient le pianiste principal de la troupe musicale scolaire. « Je n’oublierai jamais ces moments où je portais chaque matin — fièrement — mon petit accordéon, pour me mettre au milieu de la cour. Tout le monde saluait le drapeau. Je prenais cela très au sérieux. J’avais le sentiment que j’assumais une mission importante et patriotique à l’époque ! », se souvient-il en souriant.

Toutefois, encore enfant, les mathématiques et les sciences formaient presque tout son univers. Calme et studieux, le petit garçon rêvait depuis toujours de devenir médecin. Un objectif qu’il a changé pourtant au moment propice. « J’aimais bien les mathématiques. Je trouvais en elles la bonne façon de mener tous les domaines de la vie : calculer les choses et en déduire les résultats », s’explique Tamer Karawan.

« Pendant toute mon enfance, je n’ai pas cessé de rêver de devenir médecin par amour pour les sciences également. Cependant, j’ai changé d’avis après le baccalauréat de peur de passer encore huit années à étudier la médecine ! C’est pourquoi j’ai décidé de devenir ingénieur pour plonger dans les mathématiques ! ».

Après des études universitaires en génie mécanique à l’Université américaine du Caire, le mélomane et multi-instrumentiste se lance dans la composition musicale. « J’ai passé trois ans à travailler dans une grande société de production comme ingénieur et designer avant de décider — d’un jour au lendemain — de démissionner pour me lancer dans le domaine de la musique », avoue-t-il.

Mais pourquoi quitter un métier stable pour un rêve encore incertain ? « C’était l’un d’innombrables profits que j’ai acquis de mes études de la mécanique, explique-t-il. Mes études d’ingénieur m’ont appris à calculer ma vie, puisque, lors de nos études diversifiées à l’Université américaine, on nous a appris la philosophie pour comprendre la logique des sciences. Je me souviens bien que l’un de mes professeurs, nommé Abdallah Stelzer, m’a appris, à travers les règles de Platon, que l’Homme doit avoir une mission dans la vie, apprendre pour transmettre ses connaissances à l’humanité et à tout son entourage. J’ai trouvé cette mission possible dans ma relation avec la musique plutôt qu’à travers la mécanique. C’est pourquoi j’ai décidé de quitter mon travail d’ingénieur pour de bon ! ».

Karawan suit alors des études supérieures de musique par correspondance avec la Royal Academy of Music, étudiant le piano, la partition et la musique orchestrale dont certains éléments se retrouveront dans ses compositions. Il ne cache pas sa joie de dépenser tout ce qu’il a gagné de son travail comme ingénieur sur son hobby et son futur métier. Il achète alors un ordinateur bien équipé, nécessaire pour étudier la musique, et se lance même dans l’étude du montage du cinéma à travers le système de montage Avid, en tant que connaissances indispensables — selon lui — pour tout compositeur musical professionnel.

Mélomane jusqu’au bout, il commence sa carrière en composant des morceaux que personne n’a jamais écoutés. Le hasard le conduit à poursuivre son rêve. « Sans parler du destin, je pense que mon parcours est fait d’une série de rencontres et d’opportunités qui me donnaient toujours un signe que j’ai choisi la bonne voie, la musique », confie-t-il sur son ton placide.

En somme, il mène une vie réglée comme du papier à musique. Il entend parler un jour d’une société anglaise qui recherche de jeunes monteurs spécialisés en Avid pour une bourse de formation et une offre d’emploi en Angleterre, pour 2 ans. « J’ai senti comme s’ils venaient me chercher, moi, pour me donner un coup de main vers la réalisation de mon but : devenir artiste », dit Tamer Karawan, en levant les yeux comme pour fouiller dans ses souvenirs.

Lors d’un séjour au Caire en 1998, il apprend de son ami, le jeune réalisateur et documentariste Tamer Ezzat, que le réalisateur Yousri Nasrallah prépare son premier long métrage, Al-Madina (la ville). « C’est Ezzat qui m’a présenté à Nasrallah, en lui proposant que je ferai la musique du film », souligne Karawan. « Encore inconnu comme musicien, le réalisateur m’a fait faire un test assez particulier, en me demandant de composer une musique pour deux scènes seulement. A partir de là, il jugera si j’étais capable de composer la musique avec le goût qu’il cherche ou pas ! J’ai réussi à faire ce qu’il attendait, et ces deux scènes lui ont suffi pour qu’il me confie la bande originale d’Al-Madina », confie-t-il.

Cette expérience lui a valu d’être licencié de sa société de montage, en raison de son absence due à la musique d’Al-Madina.

Il passe alors plus de 7 ans à travailler comme producteur et documentariste pour la chaîne Orbit, tout en signant la musique de quelques films. De Achan Rabbena yéhebbak (pour que Dieu te bénisse) de Raafat Al-Mihi, à Al-Agenda al-hamra (le petit cahier rouge) de Ali Ragab, en passant par quelques documentaires comme La Légende de Rose Al-Youssef de Mohamad Al-Qalyoubi en 2000 et Des femmes qui aiment le cinéma de Marianne Khouri en 2002, Tamer Karawan a composé des musiques universelles sans perdre l’identité de leur créateur.

Mais 2004 reste l’année la plus chère et la plus décisive de sa filmographie, puisque le réalisateur Yousri Nasrallah lui confie le deuxième grand boom de sa carrière, à travers la bande musicale du film Bab al-chams (porte du soleil), salué de par le monde.

« C’est l’une des expériences qui me sont les plus chères, puisqu’elle m’a offert la première reconnaissance des critiques et des cinéphiles en tant que musicien », réplique Karawan. Encore une réussite signée Nasrallah-Karawan, qui s’est répétée plus tard dans les autres films du réalisateur : Guéneinet al-asmak (l’aquarium) en 2008, Ehki ya Shéhérazade (raconte Shéhérazade) en 2009, et finalement, Baad al-mawqëa (après la bataille), représentant l’Egypte à la compétition officielle du Festival de Cannes 2012 et dont la bande musicale a été louée par la critique internationale.

Selon lui, les bandes musicales sont — avec le montage — les battements du coeur de toute oeuvre dramatique. « C’est tout un monde et une science dont l’importance n’est pas saisie par d’aucuns », explique-t-il. La musique doit avoir un but dans l’oeuvre dramatique, un message, un sens, voire un itinéraire expressif, c’est ce que je cherche à discuter avec le réalisateur avant chaque expérience, mais malheureusement, certains cinéastes et producteurs ne travaillent pas ainsi, laissant la musique jusqu’à la dernière minute. C’est l’un des grands problèmes qu’envisage la composition des bandes musicales en Egypte ».

D’autres tourments ? Selon Karawan, il y en a plein. « Notre métier souffre encore. De même, un fossé sépare les différentes générations des compositeurs musicaux en Egypte. Depuis Andréa Ryder et Ali Ismaïl, seuls quelques noms ont émergé, tels que Omar Khorchid et Gamal Salama, suivis par Ammar Al-Chéreï, puis Omar Khaïrat et Yasser Abdel-Rahman. Notre génération renferme beaucoup de noms, mais notre métier manque toujours de reconnaissance et de soutien de la part de l’Etat ». Et de poursuivre : « Aucun organisme en Egypte ne renferme de département pour l’enseignement de la composition des bandes musicales aux intéressés. Ainsi, chaque réussite est le résultat de l’expérimentation du compositeur ».

Karawan partage sa verve et ses airs les plus chers entre le cinéma et la télévision. Il a signé toute une liste de grands succès à la télé, couronnés par les bandes musicales des feuilletons Magnoun Laïla (fou de Laïla), Ahl Cairo (habitants du Caire), et récemment Taraf talet (troisième partie), méritant ainsi le respect et l’appréciation des critiques.

Même avec une renommée de plus en plus accentuée, Tamer Karawan ne cesse de multiplier les efforts et d’accumuler les expériences professionnelles, faisant de son mieux pour réaliser ce qui lui plaît. « Beaucoup de mes amis et mes fans me demandent de publier mes compositions sur des CD, ou de les présenter dans des concerts ; ce que je prends bien en considération, et j’espère pouvoir le réaliser prochainement. D’ailleurs, je cherche actuellement à doubler mes expériences en travaillant dans des oeuvres d’une production arabe ou occidentale, dans le but de changer de styles de travail et de s’ouvrir sur d’autres cultures. Espérant que je réussirai à présenter quelque chose de nouveau » .

Jalons

11 février 1969 : Naissance au Caire.

1991 : Diplômé en génie mécanique de l’Université américaine du Caire.

1998 : Début de sa carrière musicale avec le film Al-Madina (la ville).

2005 : Composition de la bande musicale du film Laylat soqout Baghdad (la nuit de la chute de Bagdad).

2009 : Prix du Festival du film d’Alexandrie pour la musique du film Ehki ya Shéhérazade (raconte Shéhérazade).

2012 : Bande musicale du film Après la bataille représentant l’Egypte au Festival de Cannes.

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