Voici la cinquième traduction du best-seller qui date de l’an 2010 Ayza atgawez (je veux me marier) écrit en arabe par Ghada Abdel-Aal, blogueuse et pharmacienne originaire du gouvernorat de Gharbiya. Après avoir été traduit vers l’italien, le hollandais, l’allemand et l’anglais, la maison d’édition française L’Aube publie la traduction de Marie Charton sous le titre La Ronde des prétendants. La jeune écrivaine, avec un style sarcastique et dans un dialecte égyptien, fait entendre sa voix hors des frontières égyptiennes. « Les traducteurs ont accompli une mission ardue. Pour la version anglaise, à titre d’exemple, il y avait plein de notes en bas de page. Durant mes voyages à l’étranger, j’ai remarqué que les lecteurs s’intéressaient à mon livre. Ils me posaient des questions pertinentes et riaient des situations évoquées. Cela signifie que le sens de l’humour passe bien dans les autres langues », estime Abdel-Aal. Le livre était à l’origine une compilation de billets publiés sur son blog du même titre « Wanna b a Bride ». Celui-ci a enregistré, à l’époque, 700 000 visiteurs en peu de temps. Ghada, jeune pharmacienne de Mahalla (ville du Delta), y évoque le quotidien d’une jeune fille qui rencontre toute une file de prétendants. Elle les ridiculise et dévoile, avec beaucoup d’humour, les défauts de chacun. En même temps, elle tourne en dérision les mariages arrangés et le statut de « vieille fille », au sein d’une société patriarcale. Elle se révolte contre les préjugés du passé, la mentalité masculine dominante, les agissements du régime au pouvoir.
Ghada Abdel-Aal porte dans les veines le caractère d’une jeune révolutionnaire comme pas mal d’habitants de Mahalla. Car cette ville industrielle du Delta est réputée pour son activisme et son caractère ouvrier ou syndicaliste. D’ailleurs, pendant la dernière bataille sur le projet de Constitution, la rumeur circule : Mahalla se proclame ville indépendante, dit-on. « Ma ville est assez rebelle. On a l’habitude des émeutes, des actes de violence, etc. J’espère que la situation ne s’aggravera pas avec les mesures prises par le régime actuel. On a besoin de preuves que le gouvernement est à même d’intégrer le peuple, de contenir ses aspirations. Il faut qu’il y ait une certaine entente », déclare-t-elle. Pendant le référendum, le gouvernorat de Gharbiya a affiché un « non » assez prompt, avec un taux de refus considérable parmi ses habitants. « Cela prouve l’éveil du peuple », évoque la jeune écrivaine.
A travers un billet d’humour publié dans le quotidien Al-Shorouk, Ghada Abdel-Aal aborde avec humour les propositions de l’assemblée constituante quant au statut de la femme. « J’ai l’impression que la révolution n’était faite que pour les femmes. Il n’était pas question de renverser un régime injuste ou d’instaurer une politique différente. L’essentiel, ce sont les femmes. Je ne savais pas à quel point nous, les femmes, étions importantes. Les responsables s’occupent bien de nous ; ils n’ont pas d’autres chats à fouetter ... Ils s’intéressent à nos habits, à nos allures, à l’âge du mariage … Il n’ y a que nous », ironise-t-elle.
Son histoire avec l’écriture sarcastique a commencé avec un premier blog Soussa al-mafroussa (Soussa en rogne). « L’idée de créer un blog est née du fait que je voulais partager mes idées avec les autres. A l’université, on n’avait pas d’activités culturelles ou artistiques, comme c’est le cas dans la plupart des universités en province. Je me sentais différente de mes amies à Mahalla qui éprouvaient une grande passion pour la mode et les accessoires. Moi, j’adorais la lecture. J’étais contente d’avoir cet espace de liberté sur Internet qui me permet de m’exprimer », raconte Ghada.
Après la mort de sa mère en 2003, Ghada Abdel-Aal a atteint l’âge de se marier. « Toutes les femmes de ma famille voulaient me trouver un époux à tout prix ». D’où la ronde des prétendants. « J’avais besoin de parler avec ma mère, de lui raconter ce que je vois, les prétendants que je rencontre. Que faire alors ? J’ai donc pensé à créer ce blog Wanna b a Bride juste pour partager ces rencontres inutiles et avoir l’avis du public. Je voulais savoir si j’avais raison ou tort de refuser ces prétendants. Car dans mon entourage, ça passait comme un acte de folie », souligne-t-elle.
Le blog a eu beaucoup de succès. Les lecteurs l’encourageaient à poursuivre ses textes humoristiques et poignants, notamment les filles. Quant aux hommes, ils étaient plutôt surpris de découvrir que ce blog est écrit par une jeune fille. « Quelqu’un m’avait dit que j’étais un garçon manqué ou un homme déguisé en fille. Et ce, à cause de mon humour hilarant qu’il jugeait propre au sexe fort », évoque-t-elle en rigolant. Les mots de compliment et d’encouragement ont poussé Ghada à étudier l’écriture du scénario, car on lui répétait souvent qu’elle avait un style très cinématographique. Alors, elle s’est rendue à l’Association des critiques du cinéma, au Caire, pour suivre des cours spécialisés.
Puis, le hasard fait son jeu. Ghada reçoit un jour un courriel de la maison d’édition Al-Shorouk. « C’était une formule très officielle, paraphée Dar Al-Shorouk. Une convocation qui m’a paru bizarre. C’est quoi une maison d’édition, déjà ? De tout temps, à Mahalla, je faisais des économies pour pouvoir visiter le Salon du livre au Caire et acheter tous les livres qui me plaisent. Je faisais ma sélection en fonction de l’auteur, sans accorder une attention à l’éditeur », dit-elle. Et d’ajouter : « J’ai demandé à un ami cairote s’il connaissait la maison d’édition Al-Shorouk. Alors il m’a crié au visage : Idiote. Fonce, vas-y rapidement ».
Avant de me rendre aux locaux de la maison d’édition, Ghada a consulté son site Internet. Et sur la liste des publications, elle a trouvé les noms de Zoweil, Heikal, etc. « Que me veulent-ils ? », s’interroge-t-elle.
L’idée était simple. Le directeur de la publication à l’époque, Seif Salmawy, voulait attirer une nouvelle génération, laquelle adopte un langage différent. Et pour ce faire, il a eu recours à des blogueurs à succès. « Ma petite famille était fière de moi, mon père, mon frère. Mais le reste de mon entourage n’avait pas lu le livre. Mahalla est toujours une communauté close dépourvue de toute activité culturelle. Je pense que c’était un plan prémédité de la part de l’ancien régime ; on a une ville à l’esprit révolutionnaire, donc si on cultive les habitants, on ne va pas s’en sortir », explique-t-elle. Puis elle reprend : « Je crois que ma mère n’allait pas être contente de ce bouquin. Comme toutes les mères, elle penserait que j’étais scandalisée », estime-t-elle, souriante, en imaginant la réaction de sa mère.
L’oeuvre a suscité des controverses. Certains lui reprochent de ne pas toucher profondément et sérieusement au problème du mariage. D’après eux, le style humoristique a affaibli la cause sociale. « Mais je m’en fous de la société ; ce qui compte pour moi est qu’une jeune fille qui passe par des expériences pareilles sache qu’elle n’est pas la seule à subir ce genre de situations. Qu’elle puisse en rire. En même temps, c’est mon style, j’aime bien. Je ne cherche ni à devenir la grande écrivaine de l’époque, ni à remporter les prix de l’Etat », souligne-t-elle.
Devenu un best-seller, l’ouvrage de Ghada est adapté à la télévision en feuilleton, dont elle a signé le scénario. Le blog, le livre, le feuilleton constituent un tournant dans la vie de la jeune pharmacienne. Elle a trouvé sa voie. « En province, on demande aux enfants de ne pas avoir de grandes ambitions, d’être pragmatiques. Moi en tant que fille, je suivais bien la recette. Depuis mes études primaires, je voulais devenir pharmacienne. A mes yeux, c’était le métier le plus adéquat. Je ne voulais pas faire médecine, car je n’aime ni le sang, ni le travail exhaustif. Etre pharmacienne me garantissait un travail reposant, un boulot qu’on effectue pendant un moment déterminé pour ensuite rentrer chez soi. Bref, le rêve d’une enfant qui se sent déjà vieille », dit-elle en rigolant. Puis elle ajoute : « J’ai été admise à la faculté de pharmacie sans jamais savoir si j’aime cela ou non ».
A Mahalla, cette jeune écrivaine dirige sa petite pharmacie et continue à écrire sur Facebook et dans la presse. Elle se lance dans des projets d’écriture de scénarios comiques et d’un nouveau livre sarcastique. Quant au blog, elle le laisse de côté. « Les années 2005 et 2006 constituaient l’âge d’or des blogs en Egypte. Après, beaucoup de blogueurs se sont tournés vers les réseaux sociaux : Facebook, Twitter, etc. Les blogs ne constituaient qu’une démarche vers le chemin de l’écriture. Aujourd’hui sur ma page Facebook, j’ai 6 500 amis, 88 000 abonnés, mes textes et commentaires sont devenus plus courts. Le fait de partager mes idées et d’échanger des avis est devenu beaucoup plus simple ».
Très attachée à sa ville natale, Ghada Abdel-Aal aspire à ouvrir une petite bibliothèque d’emprunt. « Je veux offrir aux habitants l’occasion de lire et d’apprendre. Mais c’est difficile de trouver des sponsors qui puissent soutenir mon projet. J’ai déjà lancé un appel sur Facebook pour collectionner des livres dans les différents domaines. J’ai collecté 1 500 ouvrages, jusqu’à présent. Car en province, on pense qu’il vaut mieux construire une mosquée qu’une bibliothèque », critique-t-elle. Ghada tente toujours de changer la donne. Elle ne s’en lasse pas. Forcément, elle va trouver les moyens de subvention nécessaires pour son projet. Elle est déterminée. « Je vais me débrouiller », conclut-elle.
Jalons :
21 décembre 1978 : Naissance à Mahalla.
2006 : Création du blog Wanna b a Bride.
2008 : Parution de son ouvrage publié par la maison d’édition Dar Al-Shorouk.
2010 : Prix du meilleur scénario du Festival du Caire pour la radio et la télévision pour le feuilleton Ayza atgawez.
2012 : Parution de la traduction française, La Ronde des prétendants, chez L’Aube.
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