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Tareq Fahmi : Le Caire n'acceptera plus de mi-solutions

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 17 juin 2014

Tareq Fahmi, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, estime que l’Egypte n’acceptera plus les pressions des Américains en matière de démocratie.

Tareq Fahmi
Tareq Fahmi, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.

Al-ahram hebdo : Comment interprétez-vous la faible représentation améri­caine lors de la cérémonie d’investiture de Sissi et l’appel téléphonique d’Obama quelques jours plus tard ?

Tareq Fahmi: C’est un signe de la confusion qui domineles positions américaines envers la situation en Egypte depuis le 30 juin. Il est vrai que la représentation américaine à la cérémonie d’investiture, avec simplement Thomas Shannon, conseillé du secrétaire d’Etat John Kerry, était marginale si on la compare à l’in­vestiture du nouveau président ukrainien, il y a une semaine, et à laquelle a assisté le vice-pré­sident des Etats-Unis, Joe Biden. Quant à l’ap­pel téléphonique d’Obama, il n’est qu’un simple geste protocolaire. Toutefois, on ne peut pas mesurer l’avenir des relations égypto-améri­caines par ces deux gestes. L’essentiel est de savoir comment la position américaine va évo­luer sur le terrain. A mon avis, cette réticence américaine n’est qu’une bêtise, plutôt qu’une position officielle, puisque Washington n’a pas encore déterminé sa nouvelle approche des relations avec l’Egypte. En effet, les sphères politiques de l’administration américaine sont divisées sur ce sujet.

— De quel genre de division parlez-vous ?

— C’est un différend qui touche quatre cou­rants dominants. Le premier est celui de Suzanne Rice, la conseillère à la sécurité nationale d’Obama et quelques membres du Congrès qui affichent leur opposition aux pratiques des autorités égyp­tiennes, en particulier sur les questions de démocratie et de droits de l’homme. En face, se trouve le courant du ministre de la Défense Chuck Hagel, qui est en contact permanent avec l’ar­mée égyptienne, ainsi que le secrétaire d’Etat John Kerry. Les deux pressent l’adminis­tration américaine de main­tenir l’aide et le soutien amé­ricains aux militaires égyptiens. Le troisième courant est celui du centre-droite et de la CIA qui appelle à prendre des mesures positives concer­nant l’Egypte, signalant que sans le partenariat avec l’Egypte, les intérêts et le pouvoir améri­cains dans la région pourraient être gravement menacés. La même crainte est partagée par les thinks tanks les plus influents de Washington, qui représentent le quatrième courant et qui ont du poids sur les décisions américaines.

— Et comment cette division pourrait-elle être résolue?

— Le secrétaire d’Etat John Kerry devrait bientôt certifier devant le Congrès si l’Egypte a repris le chemin de la démocratie ou non. C’est d’après ce témoignage que l’on pourra déterminer quelle tournure prendra la politique américaine concernant l’Egypte. Si le témoignage est positif, on devrait s’attendre à une série de mesures, non seule­ment le déblocage des aides militaires et économiques pour l’Egypte, mais aussi la reprise du partenariat et de la coopération militaires entre les deux pays.

— Obama a déclaré que la relation des Etats-Unis avec des pays comme l’Egypte sera basée sur les intérêts sécuritaires. Est-ce le signe d’une baisse d’intensité des relations ?

— Il est bien évident que cette déclaration d’Obama ainsi que d’autres propos lancés ces derniers jours par des responsables américains indiquent que Washington entend limiter ses futures relations avec l’Egypte sur la coopéra­tion sécuritaire. Je pense que l’Egypte sous Al-Sissi n’acceptera pas de renouer les relations avec Washington en se basant uniquement sur le dossier sécuritaire qui vise en premier lieu la sécurité d’Israël. Sous les régimes précédents, Washington a profondément affiché sa préoccu­pation de sécuriser Israël. On disait même qu’il ne s’agissait pas seulement de relations bilaté­rales entre Le Caire et Washington mais de trila­térales, avec Israël considéré comme la troi­sième partie. Même les 10 hélicoptères Apache bloqués, Washington entend les livrer à l’Egypte pour la sécurisation d’Israël. Le Caire ne va plus désormais accepter de mi-solutions. Et ilexiste aujourd’hui un changement de taille dans la diplomatie égyptienne envers les Etats-Unis.

— De quel changement parlez-vous ?

— Il est clair, comme le laissent entendre les déclarations du nouveau président égyptien, que les relations avec Washington seront basées sur « la parité » et non plus sur « le suivisme ». La diplomatie égyptienne envers Washington sera à mon avis libérée des restric­tions qui lui ont été imposées sous les régimes précédents, comme l’engagement de sécuriser Israël ou de suivre les pas de la politique amé­ricaine dans les dossiers de la région. Washington ne pourra plus user des dossiers internes comme les droits de l’homme, les libertés ou la réconciliation avec la confrérie pour exercer des pressions sur le nouveau régime égyptien. Je pense que Le Caire gardera une grande marge de manoeuvre dans ses rela­tions avec Washington. La présence croissante de l’Egypte dans le Golfe et le soutien des monarchies arabes font redouter aux Etats-Unis la perte de leur influence dans cette région.

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