
Tareq Fahmi, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.
Al-ahram hebdo : Comment interprétez-vous la faible représentation américaine lors de la cérémonie d’investiture de Sissi et l’appel téléphonique d’Obama quelques jours plus tard ?
Tareq Fahmi: C’est un signe de la confusion qui domineles positions américaines envers la situation en Egypte depuis le 30 juin. Il est vrai que la représentation américaine à la cérémonie d’investiture, avec simplement Thomas Shannon, conseillé du secrétaire d’Etat John Kerry, était marginale si on la compare à l’investiture du nouveau président ukrainien, il y a une semaine, et à laquelle a assisté le vice-président des Etats-Unis, Joe Biden. Quant à l’appel téléphonique d’Obama, il n’est qu’un simple geste protocolaire. Toutefois, on ne peut pas mesurer l’avenir des relations égypto-américaines par ces deux gestes. L’essentiel est de savoir comment la position américaine va évoluer sur le terrain. A mon avis, cette réticence américaine n’est qu’une bêtise, plutôt qu’une position officielle, puisque Washington n’a pas encore déterminé sa nouvelle approche des relations avec l’Egypte. En effet, les sphères politiques de l’administration américaine sont divisées sur ce sujet.
— De quel genre de division parlez-vous ?
— C’est un différend qui touche quatre courants dominants. Le premier est celui de Suzanne Rice, la conseillère à la sécurité nationale d’Obama et quelques membres du Congrès qui affichent leur opposition aux pratiques des autorités égyptiennes, en particulier sur les questions de démocratie et de droits de l’homme. En face, se trouve le courant du ministre de la Défense Chuck Hagel, qui est en contact permanent avec l’armée égyptienne, ainsi que le secrétaire d’Etat John Kerry. Les deux pressent l’administration américaine de maintenir l’aide et le soutien américains aux militaires égyptiens. Le troisième courant est celui du centre-droite et de la CIA qui appelle à prendre des mesures positives concernant l’Egypte, signalant que sans le partenariat avec l’Egypte, les intérêts et le pouvoir américains dans la région pourraient être gravement menacés. La même crainte est partagée par les thinks tanks les plus influents de Washington, qui représentent le quatrième courant et qui ont du poids sur les décisions américaines.
— Et comment cette division pourrait-elle être résolue?
— Le secrétaire d’Etat John Kerry devrait bientôt certifier devant le Congrès si l’Egypte a repris le chemin de la démocratie ou non. C’est d’après ce témoignage que l’on pourra déterminer quelle tournure prendra la politique américaine concernant l’Egypte. Si le témoignage est positif, on devrait s’attendre à une série de mesures, non seulement le déblocage des aides militaires et économiques pour l’Egypte, mais aussi la reprise du partenariat et de la coopération militaires entre les deux pays.
— Obama a déclaré que la relation des Etats-Unis avec des pays comme l’Egypte sera basée sur les intérêts sécuritaires. Est-ce le signe d’une baisse d’intensité des relations ?
— Il est bien évident que cette déclaration d’Obama ainsi que d’autres propos lancés ces derniers jours par des responsables américains indiquent que Washington entend limiter ses futures relations avec l’Egypte sur la coopération sécuritaire. Je pense que l’Egypte sous Al-Sissi n’acceptera pas de renouer les relations avec Washington en se basant uniquement sur le dossier sécuritaire qui vise en premier lieu la sécurité d’Israël. Sous les régimes précédents, Washington a profondément affiché sa préoccupation de sécuriser Israël. On disait même qu’il ne s’agissait pas seulement de relations bilatérales entre Le Caire et Washington mais de trilatérales, avec Israël considéré comme la troisième partie. Même les 10 hélicoptères Apache bloqués, Washington entend les livrer à l’Egypte pour la sécurisation d’Israël. Le Caire ne va plus désormais accepter de mi-solutions. Et ilexiste aujourd’hui un changement de taille dans la diplomatie égyptienne envers les Etats-Unis.
— De quel changement parlez-vous ?
— Il est clair, comme le laissent entendre les déclarations du nouveau président égyptien, que les relations avec Washington seront basées sur « la parité » et non plus sur « le suivisme ». La diplomatie égyptienne envers Washington sera à mon avis libérée des restrictions qui lui ont été imposées sous les régimes précédents, comme l’engagement de sécuriser Israël ou de suivre les pas de la politique américaine dans les dossiers de la région. Washington ne pourra plus user des dossiers internes comme les droits de l’homme, les libertés ou la réconciliation avec la confrérie pour exercer des pressions sur le nouveau régime égyptien. Je pense que Le Caire gardera une grande marge de manoeuvre dans ses relations avec Washington. La présence croissante de l’Egypte dans le Golfe et le soutien des monarchies arabes font redouter aux Etats-Unis la perte de leur influence dans cette région.
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