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Ahmed Abd-Rabou : Le Qatar veut paraître comme un grand joueur sur le plan international

Chaïmaa Abdel-Hamid, Lundi, 10 février 2014

Le politologue Ahmed Abd-Rabou, professeur de sciences politiques à l'Université du Caire, explique que la politique du Qatar est basée sur son ambition de devenir une force arabe majeure capable de se substituer à l’Egypte et à l’Arabie saoudite

Ahmed Abd-Rabou
Ahmed Abd-Rabou, professeur de sciences politiques à l'Université du Caire.

Al-Ahram Hebdo : Le Qatar dérange certains pays arabes. Pourquoi d’après vous ?

Ahmed Abd-Rabou : Le Qatar fait partie des pays qu’on qualifie de « pays-cité », c’est-à-dire un petit Etat par sa superficie et sa population. Le cheikh Khalifa Al-Thani, avant sa destitution par son fils Hamad, était reconnu comme étant le modernisateur du pays à travers une nouvelle politique dans le Golfe. Il disposait des troisièmes réserves mondiales de gaz naturel. Il a donc suivi une nouvelle politique dans la région basée sur le rapprochement avec les Etats-Unis, qui pourrait l’aider à réaliser son rêve de devenir une force arabe majeure. Mais il serait encore tôt de juger si la politique de Tamim, arrivé au pouvoir en juin dernier, serait semblable à ses prédécesseurs ou non.

— La tension entre le Qatar et l’Egypte ne cesse de monter. Est-ce que cela est dû à son soutien aux Frères musulmans ?

— Sous Moubarak et bien avant l’arrivée des Frères musulmans, la tension a toujours existé entre l’Egypte et le Qatar. La crise avait commencé avec la conférence économique qui s’est tenue à Doha en 1997 et qui a été boycottée par l’Egypte, ainsi que par un grand nombre de pays arabes. L’Egypte refusait de participer à une conférence dont les bénéfices économiques serviraient Israël, plus que les pays arabes. Le Qatar tentait à ce moment-là de s’imposer sur la scène régionale à travers un rapprochement avec les Etats-Unis, Israël et l’Iran. L’émirat voulait prendre la place des deux grandes forces arabes, à savoir l’Egypte et l’Arabie saoudite. Un échange de déclarations et de contre-déclarations avait alors commencé entre l’Egypte et le Qatar, envenimant les relations entre les deux pays. La tension s’est poursuivie jusqu’à la chute de Moubarak et l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir.

— La destitution de Morsi a-t-elle exacerbé cette tension ?

— L’arrivée des Frères musulmans au pouvoir était une chance pour le Qatar pour s’infiltrer et contrôler l’Egypte à travers de grands investissements. Ce qui explique les grandes sommes versées par Doha pour soutenir l’économie égyptienne sous Morsi. La destitution de ce dernier a fermé cette porte au nez des Qatari, qui ont échoué à se substituer à l’Egypte en tant que leader dans la région. La tension reprend de plus belle.

— Est-ce que les investissements perdus justifient à eux seuls la tension qui existe actuellement entre Le Caire et Doha ?

— Non pas les investissements, mais c’est surtout les réactions qui en ont résulté et qui sont allées jusqu’à l’échange d’insultes entre des responsables des deux pays.

— Et comment expliquez-vous la tension entre le Qatar et les autres pays du Golfe ?

— La politique du Qatar dans le Golfe est basée sur son ambition de devenir une force arabe majeure. Que ce soit sur le plan régional ou international. La tension n’a jamais cessé entre les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) et le Qatar à cause de ses relations avec les Américains, les Israéliens et les Iraniens. Telle est la raison de la tension avec les autres pays du Golfe. De même, en tant que petit Etat, à majorité sunnite, le Qatar n’a pas de problème à soutenir les mouvements islamistes dans le monde. Ce qui l’oppose aux autres pays du Golfe à population chiite et qui craignent un soutien et une montée en puissance de ces mouvements islamistes sunnites. A cause de cette tension, le Qatar est désormais le seul pays détesté par les pays du Golfe. On peut s’attendre à plus de tension avec le Qatar, lors de la prochaine rencontre des pays du CCG. Tout dépendra de la décision de l’Arabie saoudite, surtout après la récente crise avec les Emirats arabes unis suite aux propos de Youssef Al-Qaradawi. Cette crise est due au soutien de Dubaï au régime actuel en Egypte et qui suscite le mécontentement du Qatar.

— En quoi la politique du Qatar est-elle différente des autres pays du Golfe en matière d’économie ?

— A la différence des autres pays du Golfe riches en pétrole, les Qatari disposent de réserves énormes en gaz. Ils comptent sur ces réserves dans leurs relations internationales. Mais dans le fond, on ne peut pas parler d’un rôle politique ou même économique pour ce petit Etat sur le plan international. Il fait plutôt de la propagande et use surtout des relations publiques, notamment en bâtissant à Londres la plus haute tour d’Europe, en organisant la Coupe du monde 2022, ou en sauvant les plus grandes banques européennes en crise.

— Mais ne s’agit-il pas d’investissements, donc de politique économique ?

— Non. Le Qatar veut apparaître comme un grand joueur sur le plan international, mais sans en avoir les moyens. C’est un pays riche en gaz mais très pauvre en ressources humaines. Il compte sur une main-d’oeuvre étrangère. Dans ses relations internationales, il compte sur l’appui américain qu’il considère comme un moyen pour faire pression sur les autres pays de la région.

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