Jeudi, 28 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > L'invité >

Edmond Gharib : Téhéran ciblera probablement des objectifs israéliens ou visera les forces américaines en Syrie ou en Iraq

Osman Fekri , Samedi, 11 février 2023

Professeur de relations internationales à l’Université de George Washington, Edmond Gharib revient sur l’attaque d’Ispahan et les récents développements entre Washington et Téhéran.

Edmond Gharib

Al-Ahram Hebdo : Israël serait-il le responsable de l’attaque contre l’installation militaire iranienne à Ispahan ?

Edmond Gharib : Nous savons que les choses sont devenues claires pour l’Iran en ce qui concerne l’attaque contre une installation militaire à Ispahan, qu’il avait qualifiée au départ de mystérieuse. Il a par la suite accusé Israël d’avoir commis cet acte. De leur côté, les dirigeants israéliens s’abstiennent d’affirmer ou de nier des rapports qui les accusent. Malgré tout, Tel-Aviv fait de son mieux pour rapprocher les points de vue avec Washington au sujet du dossier nucléaire iranien, afin d’atteindre une entente diplomatique et militaire. C’est ce qu’a affirmé Israël à plusieurs reprises.

— Qu’en est-il de la réaction iranienne ?

— Israël sait parfaitement bien que l’Iran a un droit de rétorsion qu’il va utiliser. Nous savons que l’Iran ne sera pas provoqué par ce type d’acte et ira de l’avant dans son projet régional. Cette opération n’est pas la première du genre et la réplique ne viendra pas de Téhéran, mais plutôt de l’intérieur de la résistance palestinienne et des forces la soutenant. A mon avis, l’Iran ne veut pas s’engager dans une guerre dans de telles circonstances régionales, et Israël est conscient des résultats de toute possible guerre régionale. Raison pour laquelle il recourt à de telles opérations. La réponse iranienne pourrait prendre plusieurs formes. Depuis le ciblage direct d’objectifs israéliens, ou encore des forces américaines en Syrie ou en Iraq. Ainsi le monde entrera dans une nouvelle spirale d’attaques et de contre-attaques entre l’Iran d’une part et Tel-Aviv et Washington de l’autre.

— Les Etats-Unis sont-ils impliqués dans l’attaque d’Ispahan ?

— Il est difficile d’affirmer si Washington a donné le feu vert à Israël pour mener l’attaque. Mais nous sommes conscients qu’il existe une coordination sécuritaire entre Israël et les Etats-Unis. La récente attaque a ciblé une installation de fabrication de drones et il est logique qu’Israël a concerté avec les Etats-Unis à ce propos. Nous avons tous suivi la visite effectuée par le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, en Israël au cours de sa tournée proche-orientale. Les déclarations des responsables israéliens soulignent un destin commun avec Washington. Ajoutons à cela le mutisme américain face à cette opération. Cependant, certaines attaques menées contre Téhéran n’ont pas été coordonnées avec les Etats-Unis, qui ont contesté quelques-unes.

— Qu’en est-il de la position internationale vis-à-vis de l’attaque contre Ispahan ?

— Le ministère russe des Affaires étrangères a condamné l’attaque et a mis en garde contre ce qu’il avait décrit comme des actions provocatrices qui pourraient entraîner une escalade dans une situation déjà instable. Moscou a ajouté que de telles actions destructrices pourraient avoir des conséquences imprévues pour la paix et la stabilité au Moyen-Orient.

— Quel type de coordination existe-t-il entre Israël et les Etats-Unis pour empêcher l’Iran de fabriquer une bombe atomique ?

— Dans le contexte de la position américaine en rapport avec l’attaque israélienne contre l’installation militaire d’Ispahan, je reviens sur les déclarations du secrétaire d’Etat américain lors de sa dernière visite en Israël, selon lesquelles il était en accord avec le chef du gouvernement israélien, Benyamin Netanyahu, sur le refus de permettre à l’Iran de posséder l’arme nucléaire. Il y a donc une convergence de vues américano-israéliennes sur la nécessité d’empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire, et il existe un plan conjoint clair de s’opposer au programme nucléaire iranien.

— Est-il possible que les efforts diplomatiques internationaux réussissent à empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire ?

— La communauté internationale appuie les efforts déployés par les Etats-Unis pour empêcher l’Iran de poursuivre ses activités nucléaires. Washington accentue également ses pressions en vue de porter le dossier nucléaire iranien devant le Conseil de sécurité de l’Onu. L’Iran affirme qu’il développe l’énergie nucléaire à des fins uniquement économiques et stratégiques, qu’il ne cherche pas à posséder la bombe atomique et que le seul objectif de son programme est de produire de l’électricité et de maîtriser le cycle du combustible, afin de pouvoir, à l’avenir, arrêter les importations de carburants. L’Iran, qui compte sur le pétrole et le gaz dans ses revenus, doit donc diversifier ses ressources, d’autant plus que le nombre d’Iraniens ne cesse d’augmenter, ce qui réduit l’efficacité des revenus pétroliers.

— Pensez-vous que l’ancien président américain Barack Obama ait provoqué un changement fondamental dans la politique américaine envers l’Iran ?

— Avec Obama, la politique américaine envers l’Iran est passée de la diplomatie stricte à la diplomatie flexible et au dialogue, bien qu’Obama n’ait pas complètement exclu l’option militaire, mais a souligné que l’option militaire restait sur la table. Barack Obama a, à plusieurs reprises, tenté d’envoyer des signes positifs à l’Iran. En mars 2009, pendant les vacances du Noruz (le nouvel an persan), Obama a fait l’éloge de la civilisation iranienne et a également envoyé un message à l’Ayatollah Khamenei dans lequel il a mentionné la volonté des Etats-Unis d’entamer un dialogue constructif. Lors de son allocution à l’Université du Caire en 2009, Obama a affirmé le droit de l’Iran de posséder l’énergie nucléaire pacifique dans le cadre du Traité de non-prolifération nucléaire. Il a déclaré : « Si l’Iran change de politique, nous coopérerons avec lui ». Puis quelques semaines après, Obama a confirmé sa volonté de mener des pourparlers non conditionnés avec Téhéran, et le président iranien Ahmadinejad a déclaré que l’Iran était prêt à négocier conformément au principe du respect mutuel. En 2010, Obama a annoncé son renoncement à la stratégie de la guerre préventive adoptée par son prédécesseur, George W. Bush. Quand Obama a déclaré que son administration était prête à reprendre les négociations sans conditions préalables avec Téhéran, il s’est distancié de la réclamation exigée par le groupe des Six selon laquelle l’Iran devait d’abord arrêter l’enrichissement de l’uranium s’il souhaite reprendre les contacts diplomatiques.

— Les Etats-Unis souhaitent-ils encore négocier avec l’Iran ?

— L’Administration américaine est prête à faire face à tous les scénarios concernant l’Iran. Washington reste convaincu que la relance de l’accord nucléaire avec l’Iran est la meilleure solution pour empêcher Téhéran de posséder la bombe nucléaire. L’Administration américaine pense également que l’accord est le meilleur moyen pour répondre aux défis nucléaires posés par l’Iran et pour garantir que l’Iran ne possède pas d’armes nucléaires. Pourtant, de nombreux diplomates occidentaux pensent que l’accord nucléaire avec l’Iran est quasi mourant.

— Qu’en est-il de la position de Washington envers la demande de l’Iran de retirer les Gardiens iraniens de la Révolution de la liste du terrorisme ?

— Washington n’a pas encore annoncé de position définitive, claire et officielle sur cette question, mais le président américain Joe Biden, qui veut ramener son pays à l’accord à condition que l’Iran revienne à tous ses engagements, penche plutôt à maintenir les Gardiens de la Révolution sur la liste des organisations terroristes.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique