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Habib Gouda : Il faut s’attendre à une accélération de la judaïsation de Jérusalem

Osman Fekri , Vendredi, 13 janvier 2023

Habib Gouda, président de l’Association arabo-américaine, revient sur la récente escalade dans les Territoires palestiniens à la suite de la formation d’un gouvernement d’extrême droite en Israël.

Habib Gouda

Al-Ahram Hebdo : Quelles seront, selon vous, les répercussions de la visite du ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, à la mosquée Al- Aqsa et les menaces faites au peuple palestinien ? Cette provocation risque-telle de provoquer une nouvelle intifada palestinienne ?

Habib Gouda : Il est clair que la mosquée Al-Aqsa et les Territoires palestiniens occupés seront le théâtre d’événements importants au cours de l’année 2023, après la provocation du ministre israélien de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, qui s’est rendu sur l’Esplanade de la mosquée Al-Aqsa. Il a fait la même chose qu’Ariel Sharon en 2000 lorsqu’il s’était rendu sur les lieux saints musulmans à la tête d’une importante force de la police, ce qui a déclenché une intifada qui a duré plus de 5 ans. Cette provocation soulève également une question à laquelle il semble difficile de répondre à la lumière des déclarations de Ben Gvir affirmant son intention de récidiver. On peut s’attendre à ce que l’année en cours témoigne de plusieurs autres prises d’assaut d’Al- Aqsa par les partis sionistes religieux qui cherchent à changer le statut de la mosquée, car l’agenda des colons indique que l’occupation israélienne se dirige vers une large agression entre les 6 et 13 avril 2023, correspondant à la troisième semaine du Ramadan. Cette période de l’année coïncide avec les fêtes juives, où l’on peut s’attendre à l’apogée des incursions et de la mobilisation juives pour prendre d’assaut la mosquée Al-Aqsa pendant le pic de la présence musulmane et palestinienne à l’intérieur de la mosquée avec le mois sacré du Ramadan.

Est-ce la première fois qu’un ministre israélien extrémiste fasse incursion à la mosquée Al-Aqsa ?

— Itamar Ben Gvir n’est pas la première personnalité israélienne à faire incursion à la mosquée Al-Aqsa depuis le début de l’occupation israélienne. Plusieurs personnalités ont fait de même, notamment après l’occupation de la Cisjordanie, de la bande de Gaza, de Jérusalem, du Golan, du Sinaï et du Sud-Liban. Le 7 juin 1967, le général Mordechai Gore et ses soldats sont entrés dans la mosquée bénie Al-Aqsa le troisième jour de la guerre de 1967 et ils ont hissé le drapeau israélien sur le Dôme du Rocher et brûlé le Coran. Ils ont aussi empêché les fidèles d’y prier et ont confisqué les clés de ses portes. Idem pour Shlomo Goren qui fut le premier rabbin militaire de l’armée d’occupation. Il fonda le rabbinisme militaire et devint le troisième président des rabbins ashkénazes en Israël de 1973 à 1983. Le 9 août 1969, il dirigea une incursion à Al-Aqsa à la tête d’un gang juif d’environ 50 personnes. D’autres personnalités israéliennes ont fait de même, dont l’ancien ministre de l’Agriculture, Uri Ariel, qui a mené une série d’incursions entre 2018 et 2022 avec un groupe de colons. Il a effectué ces incursions pendant les fêtes juives. Le rabbin Yehuda Glick, ancien membre de la Knesset, est considéré comme l’un des militants politiques qui oeuvrent pour permettre aux juifs de prier dans la mosquée Al-Aqsa, qu’ils prétendent être le Mont du Temple.

— Quels scénarios voyezvous dans les mois à venir dans les Territoires palestiniens après la formation de la coalition gouvernementale extrémiste en Israël ?

— Avec l’entrée des partis religieux sionistes dans la coalition gouvernementale dirigée par Benyamin Netanyahu lors des récentes élections qui ont eu lieu à la fin de l’année dernière, il semble que le pouvoir en Israël cherchera à modifier le statu quo sur l’Esplanade de la mosquée Al-Aqsa. Les partis de la coalition vont tenter de mettre en oeuvre leurs promesses électorales appelant à l’expulsion des Palestiniens et à l’octroi de plus de facilités aux envahisseurs d’Al- Aqsa.

— Comment analysez-vous les résultats des dernières élections en Israël ?

— Bien que la différence entre les suffrages en faveur de la droite israélienne dirigée par Netanyahu et ses opposants de gauche et du centre gauche ne soit pas grande et se compte par milliers, le système électoral en Israël qui favorise les grands partis a permis au Likoud, dirigé par Netanyahu, de remporter le scrutin. Le parti qui n’obtient pas 3,25 % des voix n’entre pas au parlement, et ses votes vont aux grands partis. En fait, les voix de la droite n’ont pas beaucoup augmenté. Mais les voix des petits partis de droite, qui n’ont pas atteint le seuil de 3,25 %, sont allées également en faveur du Parti sioniste religieux dirigé par Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir. Ce qui a fait la différence en faveur de Netanyahu est l’alliance du Likoud avec le parti Shas, dont les sièges sont passés de 7 à 11. C’est un parti qui représente les religieux d’Orient, ou les séfarades. Pour l’observateur extérieur, les résultats des élections montrent que la société israélienne évolue largement vers l’extrémisme et la droite religieuse. La surprise des élections était l’échec du parti de gauche Meretz à remporter des sièges à la Knesset. C’est une première depuis la création du parti en 1992.

— Qu’en est-il des partis arabes en Israël ?

— Les divisions des Arabes israéliens ont provoqué l’augmentation du bloc de droite à la Knesset. Si les Arabes, qui représentent près de 20 % de la population d’Israël, étaient unis et avaient participé massivement, ils auraient remporté au moins 22 sièges au lieu des 10 qu’ils ont obtenus sur deux listes. Ils ont également perdu 50 000 voix en raison de la formation du parti Balad, dirigé par Sami Shehata, d’une liste indépendante de la Liste arabe commune. Ces votes, comme nous l’avons indiqué, sont allés aux partis de droite parce qu’ils sont les plus grands partis.

— Quelles sont les répercussions du retour du chef du parti Likoud au pouvoir sur la situation des Territoires occupés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ?

— Netanyahu, que les médias hébreux décrivent comme un roi, est revenu aux affaires avec une base de droite composée de soixante-quatre sièges à la Knesset, ce qui lui a permis de former confortablement un gouvernement. Il fera en sorte de maintenir deux systèmes de gouvernance en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Il empêchera l’effondrement de l’Autorité d’autonomie, ainsi que son développement. Il fera en sorte qu’elle ait toujours besoin d’Israël. Il s’emploiera à éviter toute escalade avec Gaza et lui présentera, pour y parvenir, des gains économiques. Il est à mentionner qu’il était le premier dirigeant à accepter l’entrée de fonds qataris à Gaza. Seul le Parti sioniste religieux peut représenter un défi à Netanyahu dans son ambition d’élargir la normalisation avec les Etats arabes. Mais je pense que Netanyahu est capable de dompter le parti religieux. Netanyahu ne changera pas son ancienne politique envers les Palestiniens, mais poussera vers plus de colonisation en Cisjordanie.

— Qu’en est-il de l’avenir du processus de paix, de la solution de deux Etats et du rôle de l’Egypte dans le soutien à la cause palestinienne ?

— Tout au long de l’Histoire, l’Egypte a été et restera le premier et le plus grand soutien au peuple palestinien et à ses droits légitimes. Cela tient à son statut régional et international et à sa position politique influente dans la région du Moyen-Orient, en plus de la nature des relations et des liens qui unissent les deux peuples, ainsi que ce que l’Egypte a offert tout au long de l’Histoire au profit de la cause et du peuple palestiniens. Elle a fourni des martyrs sur la terre palestinienne et a ouvert aux Palestiniens les portes des universités, des hôpitaux, des écoles et des instituts, et a fourni un soutien matériel. Par conséquent, Le Caire jouit du respect et de l’appréciation de tous les Palestiniens, ce qui a été exprimé par le président Mahmoud Abbas à plus d’une occasion.

Quant au processus de paix, il est définitivement au point mort depuis avril 2014 et toutes les tentatives internationales et américaines ont échoué et je ne pense pas que les choses changent après l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Par contre, la ville de Jérusalem sera au centre de la confrontation avec le gouvernement d’extrême droite, notamment avec la facilitation d’entrée des extrémistes sur l’Esplanade de la mosquée Al-Aqsa et la tenue de prières talmudiques juives à l’intérieur, ainsi que l’accélération du processus de judaïsation de la Ville sainte et l’expulsion de ses habitants palestiniens.

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