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Sofia Al-Hamami : La nouvelle Constitution vise à contrer les tentatives de briser l’unité de l’Etat tunisien

Osman Fekri , Mercredi, 24 août 2022

Sofia Al-Hamami, analyste tunisienne, revient sur la crise politico-économique en Tunisie. L’adoption d’une nouvelle Constitution, proposée par le président Kais Saïed, ouvre-t-elle un nouveau chapitre dans l’histoire de ce pays en proie à une transition difficile? Eléments de réponse.

Sofia Al-Hamami

Al-Ahram Hebdo : La Tunisie semble vivre des moments difficiles. Comment le pays a-t-il vécu les récents événements ?

Sofia Al-Hamami: Ce qui se passe actuellement en Tunisie est un processus de correction et une guerre contre la corruption qui a rongé le pays pendant les dix ans de pouvoir des Frères musulmans, qui se sont accaparé le pouvoir par le biais de la religion. Ils ont pratiqué toutes les formes de corruption et exploité tous les postes et positions qu’ils ont occupés pour servir leurs intérêts. Le résultat a été une paralysie économique sans précédent, en plus de l’effondrement total du système sanitaire du pays pendant la pandémie de Covid-19. Face à cette situation, les Tunisiens se sont retrouvés noyés dans la pauvreté et la marginalisation. Il fallait donc prendre des mesures exceptionnelles. La majeure partie du peuple tunisien, penseurs, intellectuels et forces politiques sont conscients du danger de l’islam politique et ont soutenu la décision du président Kais Saïed d’appeler à un référendum sur la nouvelle Constitution. L’amendement de la Constitution a pour objectif de contrer les tentatives répétées de briser l’unité de l’Etat tunisien, de vider ses caisses, de répandre la corruption dans les rouages de l’appareil administratif et d’appauvrir les citoyens. C’est pour cela que le président Kais Saïed a gelé le Conseil des députés, afin de faire face à la corruption et sauver les institutions de l’Etat.

 Quelles sont les raisons de ces crises successives en Tunisie depuis la Révolution du Jasmin en 2011 et jusqu’à aujourd’hui ?

— Il était tout à fait normal que la Tunisie traverse une crise politique et entre dans un blocage institutionnel en présence d’une Constitution et d’un système politique hybride, parlementaire et présidentiel. Depuis le tout début, il y a des différends entre les 2 têtes du pouvoir autour des prérogatives du gouvernement et des décisions exécutives. La crise s’est aggravée en l’absence d’une Cour constitutionnelle qui était, elle aussi, un sujet de litige entre le Conseil des députés et le président de la République Kais Saïed. C’est pour cela que la Tunisie a connu une situation sans précédent dans toute son Histoire. Cette phase exceptionnelle a commencé le 25 juillet 2021 par l’adoption de mesures exceptionnelles et de décisions basées sur l’article 80 de la Constitution. Les premières décisions étaient le gel du parlement et la démission du gouvernement. Vient ensuite la dissolution du Haut Conseil de la justice et son remplacement par un autre provisoire, pour arriver aux dernières étapes de la feuille de route, annoncées par Kais Saïed, et qui consistent à organiser un référendum sur la Constitution et à tenir de nouvelles élections législatives.

— Pensez-vous que la Tunisie puisse surmonter ses problèmes actuels ?

— La phase actuelle est critique et sensible, des années seront nécessaires pour s’en sortir, et ce, pour plusieurs raisons, dont la plus importante est la crise économique et financière, en particulier la hausse effrayante de la dette extérieure et la hausse des prix des matières de première nécessité. Mentionnons aussi la hausse de l’inflation et le recul des investissements étrangers, car le climat des affaires en Tunisie n’inspire pas confiance aux investisseurs. C’est pour cela que le gouvernement tunisien entend revoir les subventions sur les produits de première nécessité, qui représentent un fardeau pour le budget. Ces mesures ont été qualifiées de douloureuses par le président Kais Saïed. Ce qui est vraiment douloureux c’est que c’est le citoyen qui devra payer le prix, chose à laquelle l’Union générale tunisienne du travail s’oppose catégoriquement.

— A quel point le peuple tunisien pourra-t-il supporter les répercussions de cette crise économique ?

— C’est une grande préoccupation pour tout le monde. Des experts économiques appellent au lancement d’un dialogue sociopolitique pour aider le pays à sortir de cette impasse, mais la solution exemplaire à mon avis est d’organiser des élections parlementaires et présidentielle précoces.

— Justement, que pensez-vous des appels à un dialogue national global ?

— Avec la situation qui se complique, les forces politiques ont appelé à un dialogue : l’opposition, les partis politiques, l’Union générale du travail et le président de la République, mais jusqu’à présent, il n’y a eu aucun dialogue. Sincèrement, je soutiens n’importe quelle initiative proposée par l’Union générale tunisienne du travail, car elle est parfaitement consciente de sa responsabilité sociale. L’union aurait pu diriger un dialogue national regroupant toutes les parties politiques actives en Tunisie. Quant au dialogue national mentionné par Saïed dans le décret présidentiel numéro 30, il est menacé d’échec après avoir été refusé par l’Union générale du travail et les doyens des facultés de droit. Je ne pense pas que le président s’intéresse au dialogue, car il ne l’a pas mentionné parmi les étapes de la feuille de route.

— Quelles sont les plus importantes critiques adressées aux amendements constitutionnels effectués par le président tunisien ?

— La volonté du président tunisien, Kais Saïed, d’amender la Constitution de 2014 était claire, il l’a exprimé à plusieurs occasions en disant que « les Constitutions ne sont pas éternelles » et qu’il est possible de faire des amendements qui répondent aux revendications du peuple tunisien, car celui-ci possède la souveraineté et il a le droit d’exprimer sa volonté. Les amendements constitutionnels sont une revendication populaire et aussi une revendication de l’élite politique. Mais le différend porte sur la manière adoptée par le président. L’appel était d’organiser des élections anticipées qui aboutissent à un nouveau parlement, afin de discuter de la nouvelle Constitution et changer le régime politique.

Personnellement, je n’ai pas entendu de critiques adressées au texte constitutionnel, mais j’ai suivi les appels à boycotter le référendum sur le projet de la Constitution. De nombreuses craintes sont exprimées. On craint notamment que le président ne se transforme en dictateur, ne s’empare de toutes les prérogatives et ne limite les libertés publiques et privées.

— Pensez-vous que le mouvement Ennahda n’existe plus sur la scène politique tunisienne après les décisions du président Kais Saïed ?

— Le parti Ennahda est sorti de la scène politique et on attend à ce qu’il sorte des institutions de l’Etat dans lesquelles il s’est infiltré pour y faire régner la corruption. L’opposition, qui avait mis en garde contre cette situation, est en train de planifier aujourd’hui, au côté de Rached Ghannouchi, le président du mouvement Ennahda et du parlement dissous, pour faire échouer le projet de Kais Saïed.

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