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Eric Oeschslin : Nous travaillons avec l’Egypte pour réduire l’économie informelle

Amira Doss , Mercredi, 22 juin 2022

Eric Oeschslin, directeur du bureau du Caire de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), explique les retombées de la crise ukrainienne sur le marché de l’emploi, notamment en Egypte.

Eric Oeschslin,

Al-Ahram Hebdo : Une délégation égyptienne a participé à la Conférence internationale du travail qui s’est terminée cette semaine à Genève. Quels sont les dossiers qui figurent sur l’agenda du gouvernement égyptien en matière de l’emploi ?

Eric Oeschslin : Cette conférence annuelle réunit tous les pays membres de l’OIT. C’est l’occasion de discuter des différents thèmes importants associés au travail parmi lesquels les conditions du travail, la promotion de l’économie sociale et sanitaire et l’inclusion de la sécurité et la santé au travail. La conférence adopte également les normes internationales du travail. En 1998, il y a eu la Déclaration relative aux principes du dialogue social, le travail forcé, la ségrégation et le travail des enfants. Cette année, on va ajouter à cette liste comme principe fondamental la promotion de la santé et la sécurité au travail. Un élément sur lequel on a beaucoup travaillé en Egypte avec le ministère de la Main-d’oeuvre et les syndicats. La conférence reconnaît donc ce principe comme fondamental.

Lors du centenaire de l’organisation en 2019, le thème de la justice sociale était à l’ordre du jour et continue d’être un objectif au sein de l’OIT. Le principe du travail décent est lié au fait de promouvoir la justice sociale. Nous voulons une mondialisation juste et une juste redistribution entre les différents acteurs du travail. Aujourd’hui, le thème de la justice sociale est toujours d’actualité.

En Egypte, il existe plusieurs priorités, plusieurs angles. Des politiques macroéconomiques, des projets de développement rural, de protection sociale et l’expansion de la protection sociale horizontale et verticale. Durant la crise de Covid-19, le gouvernement a montré une certaine résilience et la capacité de l’économie égyptienne à faire face à la crise. Il y a une volonté du gouvernement et une prise de conscience forte au niveau des autorités, même si les défis sont importants, des programmes sont lancés pour soutenir la participation des femmes dans le marché du travail et des engagements pour éliminer le travail des enfants.

— Quel est l’axe le plus important pour le secteur de l’emploi en Egypte en ce moment ?

— Nous travaillons de près avec le ministère égyptien de la Main-d’oeuvre sur la mise en place d’une stratégie nationale de l’emploi. Elle devra apporter un soutien technique, mais son principal objectif est de voir quelles sont les politiques au niveau du gouvernement pour soutenir l’humain ou les personnes. En matière de chômage ou de protection sociale ou des droits et de formation, l’important est que les programmes soient centrés sur l’humain. Ce n’est ni un chiffre, ni des statistiques, ce sont des gens et des vies derrière ces gens.

— Comment décrivez-vous le contexte actuel du marché de l’emploi, vu les dernières évolutions sur la scène mondiale ?

— La crise actuelle en Ukraine est arrivée à un moment où le monde commençait à se rétablir de la crise de Covid-19. Donc, cette guerre a évidemment affecté le marché du travail, a créé une crise financière, une crise en termes d’accès à certains produits alimentaires en plus du conflit militaire, et l’afflux de réfugiés ukrainiens en Europe de l’Est ou centrale. Cela est arrivé à un moment difficile où les économies mondiales ont dû réagir. Les Etats avaient déjà beaucoup investi pour soutenir leurs économies lors de la crise de Covid-19, lancé des plans d’investissements et de soutien aux entreprises, et dans certains secteurs très touchés. La crise ukrainienne est venue toucher de nouveaux secteurs comme le tourisme, l’industrie agroalimentaire, vu que l’Ukraine est la source de blé pour l’Europe. De plus, les sanctions sur la Russie vont limiter ses exportations dans le monde. Ces facteurs ont évidemment eu leur impact sur le marché du travail. La situation reste très fragile que ce soit sur l’emploi, sur l’inflation dans la plupart des pays et sur la consommation. On est entrés dans un cycle qui rappelle la crise des années 1980, avec des taux d’inflation très forts qui avaient favorisé la montée d’un chômage très fort. On ne sait pas encore quand la crise ukrainienne peut s’arrêter, les conséquences à court et à long termes qu’elle pourrait entraîner et quelles seront les relations de la Russie avec l’Union européenne, les Etats- Unis et l’Afrique.

— Quelle est l’ampleur de ces évolutions sur les acteurs de l’emploi ?

— Il est peut-être trop tôt d’avoir des chiffres précis concernant l’impact de la crise actuelle sur le marché du travail et le chômage. Mais il existe des indications assez claires. Par exemple, le secteur du tourisme en particulier a été le plus touché. En Egypte, dans la région de la mer Rouge et du Sinaï, les touristes ukrainiens et russes ne sont plus là. Cela pourrait être compensé par des touristes provenant d’autres régions occidentales ou des pays du Golfe. Mais du coup, on n’a pas encore les niveaux de tourisme d’avant la Révolution. Avant le Covid-19, ce secteur repartait très bien. Il y a aussi l’impact de l’inflation sur les prix, notamment des produits à base de blé et d’autres produits. Il y a un écart concernant l’impact de la crise sur les pays, l’Europe et les Etats-Unis peuvent se débrouiller en matière de blé.

Le gouvernement égyptien essaye de varier les sources d’approvisionnement. On n’a pas encore le recul pour évaluer, mais on sait que l’impact sur le marché du travail est négatif. Tout est interconnecté.

S’il y a une inflation, cela veut dire qu’on achète moins, moins d’argent va circuler dans l’économie, et cela a son impact sur l’emploi. Cela dépend aussi des entreprises et de leur capacité d’adaptation. En dehors de la crise alimentaire, l’Egypte est un marché domestique. L’impact de la crise dépendra aussi des programmes entretenus par le gouvernement pour favoriser l’emploi. Partout dans le monde, pour la majorité des travailleurs, les revenus du travail n’ont pas encore retrouvé leur niveau initial.

— Les crises mondiales multiples ont-elles entraîné une détérioration des conditions de reprise du marché du travail ?

— L’impact de ces crises est en lien avec les rapports qu’entretiennent les pays avec l’Ukraine et la Russie. Toutes les deux sont de principaux fournisseurs de certains produits importants. L’Egypte est automatiquement affectée. L’Europe centrale et de l’Ouest sont également affectées. Des millions de réfugiés affluent. L’Ukraine débloque son blé, la Russie n’exporte pas. Ce qui est important c’est la réactivité de chaque pays par rapport aux événements actuels. Par exemple, en Egypte, l’économie informelle est forte et s’est un peu accrue d’ailleurs avec la crise de Covid-19, notamment les personnes les plus vulnérables, les jeunes, les femmes ont été les premières victimes sur le marché du travail. Avec le gouvernement, on essaye de réduire et de formaliser tant que possible cette économie informelle, c’est un axe important. Il ne s’agit pas seulement de regarder les chiffres du chômage, mais de voir la qualité du travail.

— D’après vous, pouvons-nous parler d’une reprise ou d’un recul du marché du travail ?

— D’après la 9e édition de l’observatoire de l’OIT, le premier trimestre de 2021 a marqué une hausse importante du nombre des heures travaillées, mais qui a diminué de 3,8 % lors du premier trimestre de 2022. La reprise est contrastée, avec un écart entre pays riches et pauvres. Dans certains pays, il y a eu des demandes fortes d’emploi, d’autres ont du mal à engager. L’économie était repartie l’année dernière. L’Egypte est l’un des rares pays à avoir connu une croissance en 2020. D’autres pays ont pu rattraper leur retard. Il y a eu une sorte de dynamique fin 2021 et début 2022 concernant les exportations, fin des récessions et voyages. A l’échelle mondiale, la reprise est inégale, fragile et rendue encore plus incertaine.

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