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Ayman Al-Raqab : Nous devons réformer toutes les institutions palestiniennes de manière démocratique

Osman Fekri, Mardi, 19 novembre 2019

Dans un entretien accordé à Al-Ahram Hebdo, Ayman Al-Raqab, membre du conseil révolutionnaire du mouvement Fatah, explique les différents enjeux des élections palestiniennes et les probables scénarios à venir.

Ayman Al-Raqab

AL-Ahram Hebdo : Quelle est la raison der­rière la récente escalade entre Israël et le Djihad islamique ? Et que pensez-vous du moment choisi pour l’attaque assénée à Gaza ?

Ayman Al-Raqab : L’attentat meurtrier qui a tué le dirigeant mili­taire de Saraya Al-Qods, l’aile mili­taire du mouvement du Djihad isla­mique, Aboul-Atta, et son épouse, et qui a fait des blessés parmi lesquels ses enfants Sélim, Mohamad, Lyan et Fatma Al-Zahraa, en plus de leur voisine Hanane Hels, est un crime violent. Ses objectifs sont purement politiques. Surtout après l’échec du premier ministre israélien à former un nouveau gouvernement et sa pro­chaine comparution devant la justice pour des crimes de corruption. Cet acte, c’est du terrorisme d’Etat orga­nisé, dont l’écho a été le silence de la part des Etats prétendant défendre les droits de l’homme et lutter contre le terrorisme. Ces Etats qui font la sourde oreille aux offensives de l’occupation, infligées quotidien­nement et incessamment à notre peuple depuis la première confé­rence sioniste dans la ville suisse de Bâle en 1897. Dans le même temps, une autre offensive israélienne a eu lieu contre la capitale syrienne Damas, près de l’ambassade liba­naise, et qui visait un autre dirigeant du Djihad islamique. Cette attaque a fait 2 martyrs et 6 blessés. Selon toute vraisemblance, à travers ces attentats, Benyamin Netanyahu entend camoufler son échec dans la formation d’un nouveau gouverne­ment et échapper au procès qui l’attend. Il s’enlise dans une guerre avec Gaza pour mettre en avant l’argument d’une menace qui se profile et la nécessité de former un gouvernement d’urgence. La preuve en est la nomination de l’extrémiste Naftali Bennett au portefeuille de la défense, dont la mission essentielle est d’effectuer des attentats et d’en­traîner Gaza dans une guerre.

— Comment considérez-vous l’approbation affichée par le Hamas en faveur de la tenue d’élections palestiniennes géné­rales ?

— Le Hamas estime que la para­lysie de la vie politique est devenue insupportable et que la tenue d’élec­tions est inévitable. Le Hamas ne s’oppose donc pas à des élections, mais revendique des élections parle­mentaires, présidentielle et du Conseil national. Alors qu’Abou-Mazen désire effectuer des élections parlementaires et reporter la prési­dentielle et le Conseil national. Il a été convenu de tenir les parlemen­taires et la présidentielle de manière successive et non simultanée et de reporter celles du Conseil national. Abou-Mazen insiste par ailleurs sur la signature par les factions d’un document concernant leur approba­tion de la tenue des élections et de leurs résultats. A mon avis, le Hamas ne signera pas ce document avant d’obtenir des réponses sur un certain nombre de questions en lien avec l’avenir de ses employés et les tribunaux et organismes qui super­viseront les élections en Cisjordanie et à Gaza, et à d’autres questions en suspens.

— Quelle est l’importance de la tenue d’élections palestiniennes pour la première fois depuis 13 ans et quelles sont les chances de réussite ?

— Les élections correspondent à une demande généralisée du peuple palestinien d’autant plus qu’elles sont suspendues depuis voilà 13 ans en raison des divergences palesti­niennes internes, qui paralysent l’exercice démocratique. Selon la Constitution palestinienne, les élec­tions présidentielle et législatives doivent avoir lieu tous les 4 ans, conformément aux accords d’Oslo 1993. Le discours récent d’Abbas Abou-Mazen à la tribune onusienne sur la tenue immédiate d’élections une fois atterri sur le sol palestinien part d’une bonne intention, mais est insuffisant. Nous devons réformer toutes les institutions palestiniennes de manière démocratique, cela aurait dû être fait depuis des années. Nous devons élire un nouveau pré­sident, un nouveau Conseil législa­tif et un Conseil national dépendant de l’Organisation de la Libération de la Palestine (OLP). L’appel à la tenue d’élections par Abou-Mazen est une aventure parsemée d’em­bûches, d’autant plus que de nom­breuses questions font toujours l’objet de divergences et doivent être résolues avant la promulgation du décret présidentiel fixant la date des élections parlementaires et législatives.

Concernant la restructuration de l’OLP, il convient de se référer à l’accord du Caire de 2005. Il faut également former un nouveau gou­vernement d’union nationale, dont la mission essentielle sera d’organi­ser le calendrier de l’élection prési­dentielle, celles parlementaires et celles du Conseil national ainsi que les mécanismes d’application.

— Quels sont les obstacles poli­tiques et techniques qui s’érigent face à la tenue des élections pales­tiniennes ?

Nous devons réformer toutes les institutions palestiniennes de manière démocratique
Les dernières élections parlementaires palestiniennes remontent à 2006.

— Les obstacles sont nombreux, à commencer par l’occupation israé­lienne, qui contrôle tous les points de passage entre les villes palesti­niennes et empêche par exemple le fonctionnement des élections dans des villes comme Jérusalem. Celle-ci était sur le point de ne pas partici­per aux élections 2006, si ce n’était l’intervention de l’Administration américaine. Mais la situation est aujourd’hui différente : Washington a reconnu Jérusalem comme capi­tale d’Israël, qui fait tout pour judaï­ser la ville sainte. Il est possible, étant donné ces circonstances, de refuser que le scrutin y ait lieu.

Il existe également maints obs­tacles techniques, qui se rapportent à l’entente palestinienne. Par exemple, quel sera l’organisme chargé de superviser les élections et qui tranchera les appels intentés devant la Cour constitutionnelle for­mée par Abou-Mazen et non recon­nue par le Hamas ? D’autres orga­nismes juridiques seront-ils formés à cette fin ? Qui supervisera les élections à Gaza ? Est-ce les tribu­naux du Hamas ou bien l’autorité va-t-elle envoyer des organismes chargés du suivi ? Pour dépasser ces obstacles, il faut tenir une réunion nationale et discuter toutes ces questions avant la promulgation d’un décret présidentiel avec le calendrier des élections.

— Le président Abbas Abou-Mazen sera-t-il le seul candidat du Fatah à la prochaine présiden­tielle ?

— Abou-Mazen avait auparavant déclaré qu’il ne présenterait pas sa candidature à la prochaine présiden­tielle. Mais apparemment, il a changé d’avis, parce qu’une partie du mouve­ment craint l’absence de consensus sur un candidat donné, surtout à la lumière de la concurrence féroce en son sein. Le fait qu’on s’attache à Abou-Mazen, âgé de 85 ans, montre un état de faiblesse à l’intérieur du Fatah, souffrant d’une division interne qui se renforce chaque jour davantage. Il y a deux candidats incontournables au sein du mouve­ment et qui peuvent concurrencer Abou-Mazen, à savoir Mohamad Dahlan et le prisonnier Marwan Al-Barghouti. Cette situation difficile à l’intérieur du Fatah avant l’élection entraînera sa défaite, surtout dans les législatives. D’autant plus que le cou­rant du député Mohamad Dahlan s’at­tire une majorité importante à Gaza. Si celui-ci se lance dans les élections avec des listes indépendantes, il entraînera la défaite du Fatah. La seule solution est l’unité du Fatah et des élections internes pour désigner des candidats consensuels, que ce soit dans la course à la présidentielle ou pour les législatives.

— Quels sont les scénarios pos­sibles et que se passera-t-il si le Hamas remporte les élections ?

— Les scénarios sont nombreux. Si le Hamas remporte les élections parlementaires, surtout avec le sou­tien plus fort attendu en Cisjordanie par rapport à Gaza, il sera difficile de remettre les institutions parle­mentaires au Hamas en Cisjordanie, surtout à la lumière d’un rejet israé­lien. A mon avis, c’est ce scénario qui a incité Abou-Mazen à insister sur la tenue des législatives d’abord. Car si le Hamas les emporte, Abou-Mazen arrêtera l’élection présiden­tielle et la situation ancienne perdu­rera. C’est-à-dire que le parlement irait au Hamas, la présidence au Fatah et les complications s’accu­muleront sur la scène palestinienne.

Le second scénario est la victoire du Fatah aux législatives. Dans ce cas, Abou-Mazen poursuivra son parcours pour la présidentielle. Mais le problème, pour le Fatah, sera d’avoir de nouveau le contrôle sur Gaza par la force. Les scénarios sont très compliqués. En effet, le Hamas ne remettra pas Gaza avec 40 000 personnes militarisées sans que ses conditions soient satisfaites, et ce, à une heure où l’autorité en est incapable. La condition la plus importante est le problème de ses employés, estimés à 50 000, ainsi que la protection de ses milices et de ses armes. Les solutions envisa­gées en 2008 ne le sont plus en 2019. Par conséquent, l’autorité pourrait éventuellement échouer à obtenir le contrôle sur Gaza et à unifier les armes, sauf si un consen­sus est atteint avec le Hamas. Dans le cas contraire, l’autorité devra payer un prix élevé, surtout que le Hamas et d’autres milices armées estiment que le modèle libanais du Hezbollah est plus adéquat à la situation palestinienne. Cela affai­blirait les appareils sécuritaires et les milices armées auraient la main haute.

— Et qu’adviendra-t-il du « deal du siècle » ?

— Devant l’incapacité de l’occu­pation à former un gouvernement, le « deal du siècle » américain restera suspendu. Et ce, à l’heure où l’élec­tion américaine approche, avec la forte probabilité que Trump échoue à être reconduit à la Maison Blanche. Une partie de ce deal a déjà été concrétisée, celle de considérer Jérusalem comme la capitale de l’oc­cupation et d’y transférer l’ambas­sade américaine. Ajoutons à cela les pressions pour mettre un terme au travail de l’Agence humanitaire pour l’emploi des réfugiés (UNRWA) à la lumière d’une crise financière et de l’incapacité de la communauté inter­nationale. Ce qui reste du deal sera reporté pour des années, en fonction des circonstances des Etats-Unis et de l’Etat de l’occupation.

— Qu’en est-il de la médiation de l’Egypte, tant au niveau de la division palestinienne interne que de sa tentative de parvenir à une accalmie à Gaza ?

— L’Egypte estime que la cause palestinienne relève de la sécurité nationale et ne ménage donc pas ses efforts en vue d’une réconciliation. Le Caire oeuvre également à arrêter l’effusion de sang au sein du peuple palestinien, et ce, en essayant de parvenir à une trêve qui préserve le droit palestinien et empêche les attentats israéliens contre des indivi­dus non armés. Surtout à l’heure où Tel-Aviv dispose d’armes hautement sophistiquées, qui peuvent entraîner un nombre énorme de victimes dans nos rangs. Cela s’est clairement montré au cours du dernier affronte­ment.

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