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Saëb Erakat : Toute initiative qui n’est pas basée sur les résolutions internationales sera rejetée 

Osman Fekri, Mardi, 15 mai 2018

Le négociateur en chef palestinien, Saëb Erakat, rejette une fois de plus le rôle de médiateur des Etats-Unis et appelle la communauté internationale et le Conseil de sécurité à prendre leurs responsabilités. Entretien.

Saëb Erakat : Toute initiative qui n’est pas basée sur les résolutions internationales sera rejetée

Al-Ahram Hebdo : Alors que les Palestiniens commémorent le 70e anniversaire de la Nakba, les Etats-Unis transfèrent leur ambassade à Jérusalem. Quelle est votre réaction à cela ?

Saëb Erakat: La décision de l’Administration américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël est une violation flagrante du droit international, de la légitimité internationale et des accords signés. C’est aussi une élimination intentionnelle de l’option des deux Etats. Le faire en ce moment précis, au 70e anniversaire de la Nakba, représente une insulte aux sentiments de tous les Arabes et les musulmans, ce que nous condamnons dans les termes les plus forts. En prenant cette décision, les Etats-Unis ont abandonné leur rôle de parrain du processus de la paix, du fait qu’ils sont devenus une partie du problème au lieu d’être une partie de la solution.

En fait, reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël n’est pas seulement une violation de la résolution 478 du Conseil de sécurité de l’Onu, ce n’est pas seulement une violation des conventions et des lois internationales, et ce n’est pas seulement l’abandon de son rôle dans le processus de paix, c’est aussi et surtout le cautionnement de la stratégie israélienne qui vise à consacrer l’occupation et à barrer le chemin à une paix juste et durable.

J’appelle tous les pays et toutes les organisations internationales à adopter des mesures concrètes en faveur du droit international et des exigences de la paix, notamment la reconnaissance de l’Etat palestinien dans les frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est pour capitale.

— On a l’impression que ce transfert est presque passé sous silence, du moins sans réaction forte de la communauté internationale, comme c’est le cas en général avec les agissements israéliens...

— Je me demande la raison de l’absence de toute mesure de la part de la communauté internationale, notamment l’Onu et le Conseil de sécurité, pour mettre fin à la politique agressive et au terrorisme systématique pratiqué par le régime israélien d’occupation à l’encontre d’un peuple démuni. Pourquoi la communauté internationale permet-elle à Israël de poursuivre ces agressions sans lui demander des comptes pour ses crimes? Pourquoi aucune enquête internationale n’a-t-elle jamais eu lieu sur les Palestiniens tués dans les manifestations pacifiques? Je reste étonné face à des déclarations comme celles de la représentante américaine aux Nations-Unies, Nikki Haley. Certains comme elle s’obstinent à falsifier la réalité et à reprendre à leur compte le discours mensonger d’Israël. J’appelle Haley, qui a pris la défense d’Israël dans ses récentes déclarations au Conseil de sécurité, à voir la réalité en face. Tsahal, qu’elle considère comme étant l’armée la plus morale et la plus humaine au monde, a tué en moins de deux mois 47 civils palestiniens dont des enfants, et a blessé près de 9 000 autres dont des dizaines ont subi des amputations. Cette armée vise et tue les journalistes, les équipes médicales et paramédicales, ce qui constitue des crimes au regard de la loi internationale.

— Que demanderiez-vous au Conseil de sécurité pour mettre fin à la souffrance du peuple palestinien et sauver Jérusalem ?

Saëb Erakat : Toute initiative qui n’est pas basée sur les résolutions internationales sera rejetée

— D’agir sans délai pour stopper le banditisme de l’occupation et sa machine de guerre. C’est au Conseil de sécurité plus particulièrement de prendre ses responsabilités et justifier sa raison d’être, à savoir la préservation de la sécurité et la stabilité internationales. Des objectifs impossibles à réaliser tant que les Palestiniens resteront privés de leurs droits à l’autodétermination et à un Etat indépendant. Malheureusement, Israël, l’autorité de l’occupation, poursuit sa course contre la montre pour créer une nouvelle réalité sur le terrain avant que l’on ne parvienne à une solution politique, défiant ainsi le droit international et la volonté de la communauté internationale.

Le leadership palestinien, soutenu par le peuple palestinien, poursuit ses efforts de mobilisation politique, populaire et légale, à l’échelle nationale et internationale, pour mettre fin à l’occupation. Nous travaillons aussi pour amener Israël devant le Tribunal pénal international pour qu’il réponde à ses actes.

Cette année n’est en rien différente des précédentes, mais elle constitue une occasion symbolique sur les plans politique et humain. Le peuple palestinien en profite pour rappeler à la communauté internationale ses responsabilités politiques, légales et morales face aux malheurs successifs qui lui tombent dessus depuis la déclaration Balfour il y a 100 ans, en passant par la Nakba il y a 70 ans, et l’occupation il y a 50 ans, jusqu’aux opérations de nettoyage ethnique et les violations qui se poursuivent contre les Palestiniens encore aujourd’hui.

— Concrètement parlant, après le transfert de l’ambassade, comment régler le statut de Jérusalem ?

— Il est clair que cette décision unilatérale de Trump ne risque pas de changer le statut légal de Jérusalem reconnu et garanti par la légitimité internationale. La décision de Trump est une violation de cette légitimité, notamment les résolutions du Conseil de sécurité de l’Onu qui ne reconnaissent aucun changement du statu quo de cette ville. Cela dit, le fait que le président américain prenne une telle décision est dangereux non seulement pour la cause palestinienne, mais aussi pour les principes et les fondements de l’ordre mondial, notamment la protection des droits de l’homme face à l’usage brutal de la force étatique. Cette décision augure d’une ère mondiale sinistre où les Etats se trouvent récompensés d’avoir bafoué la légitimité internationale et les principes des droits de l’homme.

Enfin, et ce n’est pas le moins important, la décision américaine ouvrira grand la porte à des conflits religieux et confessionnels où des groupes extrémistes et obscurantistes comme Daech auront la haute main aux dépens de toutes les forces modérées. La décision de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël est devenue une source d’inquiétude pour le monde entier. La communauté internationale a réalisé l’importance de protéger l’ordre mondial, d’où les refus et condamnations de cette décision irresponsable qui sont parvenus de toutes parts, et les demandes adressées aux Etats-Unis pour la retirer.

Une première démarche en ce sens fut la présentation d’un projet de résolution au Conseil de sécurité demandant aux Etats-Unis de retirer leur décision. Et comme on savait que les Etats-Unis allaient poser leur veto, nous avons eu recours à l’Assemblée générale. C’est là où, lors d’une séance historique, le monde entier s’est réuni pour défendre la paix de la Palestine, et les principes légaux et humains bafoués par les Etats-Unis, malgré les chantages américains pratiqués sur certains pays. Nous avons l’intention de capitaliser sur cet élan jusqu’à l’obtention de nos droits.

— La décision américaine sur Jérusalem signe-t-elle la fin définitive du rôle américain de parrain du processus de paix ?

— La position palestinienne a été toujours claire, le président Mahmoud Abbas l’a réitérée lors du sommet extraordinaire de l’Organisation de la conférence islamique : le rejet absolu de tout rôle américain en tant que parrain du processus politique. En fait, les Etats-Unis se sont eux-mêmes exclus de leur propre décision. A vrai dire, les Etats-Unis n’ont jamais été un médiateur honnête. Parce qu’un médiateur digne de ce nom ne pratiquerait pas toutes sortes de chantages, de pressions et de sanctions sur la partie la plus faible, en la taxant de terrorisme, en la menaçant de couper l’assistance financière, en lui demandant d’abandonner ses droits nationaux fondamentaux, en envisageant de fermer ses bureaux à Washington, en lui interdisant de faire avancer ses droits à travers les organisations et les forums internationaux, et en lui faisant systématiquement porter la responsabilité du gel du processus de paix tout en s’abstenant de condamner, ne serait-ce qu’une fois, les activités coloniales et les violations de l’occupant.

Nous avons passé beaucoup de temps et déployé beaucoup d’effort pour revivifier le processus de paix, nous n’avons pas raté d’occasion pour mettre en garde contre le danger que représentent l’occupation et les violations d’Israël. Nous avons dit et redit que nous n’avions pas le luxe de perdre du temps, que nous n’étions pas prêts à perdre davantage de territoires et de vies humaines, et que l’incapacité de la communauté internationale à demander des comptes à Israël nous mettait face à des choix difficiles. Ces mises en garde ne sont pas un signe d’impuissance, mais une preuve de responsabilité face à notre peuple et au système international.

Mais le crime perdure depuis 70 ans, et plus le temps passe plus notre peuple le paye en termes de vies, de dignité et d’avenir. Aujourd’hui, il convient de rectifier le processus. C’est ainsi que nous mobilisons toutes nos capacités politiques et juridiques pour capitaliser sur l’unanimité internationale contre la décision américaine. Il s’agit de mettre un terme à la monopolisation américaine du processus politique et de ramener le dossier de la Palestine à l’Onu. Nous allons également exercer notre droit d’adhérer à d’autres organisations et conventions internationales afin de renforcer notre statut légal. Nous allons appeler le Tribunal pénal international à ouvrir une enquête pour juger les responsables et les criminels de l’occupation. Nous aspirons également à obtenir un siège à part entière pour la Palestine au Conseil de sécurité. Nous continuerons à appeler tous les Etats à boycotter les colonies israéliennes, tout en soutenant la publication de listes noires des entreprises qui soutiennent l’occupation en opérant dans ces colonies. Nous essayerons par tous les moyens de rouvrir les bureaux de l’Organisation de libération palestinienne à Jérusalem. Avec l’aide des pays arabes et islamiques frères, nous soutiendrons la lutte de nos familles à Jérusalem face aux menaces d’expulsion et de déplacement forcé.

— Pourtant, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a déclaré que les Etats-Unis travaillaient pour ramener les Palestiniens à la table de négociations, et que le président américain était déterminé à réaliser la paix entre Palestiniens et Israéliens. Quel est votre commentaire ?

— Je le dis clairement et franchement, la Palestine n’est pas à vendre, les droits de notre peuple ne s’inscrivent ni dans des marchandages pernicieux ni dans des accords politiques qui ne sont pas fondés sur les principes de la légalité internationale. Nous refusons catégoriquement le discours sur notre retour présumé à la table de négociations en échange d’assistance financière. D’ailleurs, comment reprendre les négociations alors que le pays de M. Pompeo vient de transférer son ambassade à Jérusalem? Comment parvenir à une paix alors que les dossiers de Jérusalem et des réfugiés palestiniens sont exclus des négociations ?

Ces déclarations sont vicieuses et inadmissibles, les Palestiniens ne prendront part à aucune initiative proposée par le président Trump, c’est notre position définitive. En reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël, et en cherchant à classer le dossier des réfugiés, ce dernier s’est lui-même exclu du processus de la paix. Donald Trump a rejoint les dirigeants israéliens dans leur transgression du droit international et des références du processus de paix. Dans ce cas, les Etats-Unis ne peuvent être ni partenaire ni intermédiaire, parce que la Palestine sans Jérusalem-Est pour capitale n’a pas lieu d’être.

— Vous estimez que Washington n’est plus en mesure de jouer le rôle de médiateur, cela veut-il dire que l’Autorité peut rejeter toute nouvelle initiative politique ?

— Notre lutte contre l’occupation israélienne et nos efforts pour montrer le vrai visage d’Israël ne nous empêchent pas d’accepter les initiatives internationales pour un règlement politique basé sur la solution de deux Etats et le respect des frontières de 1967. Nous avons accepté et participé à plusieurs initiatives par le passé, dont celle de la France, mais c’est le premier ministre de l’autorité d’occupation qui les rejetait et les boycottait. Il n’est ni judicieux ni logique de faire des comparaisons entre un peuple occupé et l’Etat qui l’occupe, néanmoins, nous l’avons toujours fait pour montrer au monde entier ce que la Palestine a offert pour la paix, et comment cela a été accueilli par l’Etat d’occupation et ses institutions.

— Et qu’en est-il du marché du siècle ?

— Cette offre ne nous a pas été proposée, mais nous avons clairement exprimé notre position : sera rejetée toute initiative qui n’est pas basée sur les résolutions de la légitimité internationale et les accords déjà signés dans le cadre du processus de paix, qui ne prône pas l’arrêt des activités coloniales, qui ne soutient pas la création d’un Etat palestinien dans le respect des frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est pour capitale, ou qui n’offre pas de solution juste au problème des réfugiés conformément à la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations-Unies. Nous avons demandé à l’Administration Trump de respecter les engagements des administrations américaines précédentes, et d’exprimer une position claire vis-à-vis des activités coloniales illégales et des autres violations israéliennes. Mais on a eu comme réponse ledit « marché du siècle » lequel serait, d’après les informations qui ont filtré, la « claque du siècle ».

Entre-temps, Israël s’emploie à créer une nouvelle réalité sur le terrain en accélérant la colonisation et l’annexion des territoires palestiniens, en intensifiant la judaïsation et l’expropriation des terres palestiniennes, en poursuivant sa politique de ségrégation et de déplacement des Palestiniens, en isolant la bande de Gaza et en transformant la Cisjordanie en cantons isolés sans continuité territoriale. Tout cela s’accompagne d’un arsenal de législations racistes et d’un discours officiel extrémiste prônant la haine et l’exclusion. L’objectif étant d’éliminer la solution de deux Etats, en faveur du grand Israël sur l’ensemble du territoire de la Palestine historique.

Voilà à quoi ressemble la réalité d’une occupation militaire que seul le président Trump, parmi tous les présidents du globe, a cautionnée en déclarant le 6 janvier dernier reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. Le président américain a ainsi adopté le discours religieux fondamentaliste de Benyamin Netanyahu. D’une part, c’est une consécration de l’occupation des territoires arabes qui date de 1967 et de l’annexion de larges territoires de la Cisjordanie, et d’autre part, c’est un consentement à la politique d’apartheid mise en place par Israël. Mais c’est surtout une bouée de sauvetage lancée à Netanyahu et son gouvernement de coalition, alors qu’il fait face à des accusations de corruption.

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