
Dr Hassan Nafea : Avec ces frappes, Trump voulait réaliser plusieurs objectifs
Al-Ahram Hebdo : Pourquoi cette volte-face américaine ? La semaine dernière encore, l’Administration américaine disait que le départ de Bachar n’était pas une priorité, et cette semaine, elle frappe des positions du régime, quels sont les objectifs de Washington ?
Hassan Nafea : Tout d’abord, il faut savoir qu’en menant ces frappes, l’Administration américaine a commis une grave erreur. Et il faut rappeler que, selon la charte de l’Onu, aucun pays n’a le droit de frapper un autre ou d’intervenir dans les affaires d’un autre pays sans une résolution onusienne. Donc, même si le régime du président syrien, Bachar Al-Assad, a frappé son peuple avec des armes chimiques, ce n’est pas la réponse adéquate. L’Onu est d’abord censée former une commission d’enquête pour investiguer. Puis, en fonction des résultats du rapport de la commission d’enquête, le Conseil de sécurité vote une résolution. Donc, frapper un autre pays sans l’aval de l’Onu est une agression.
Mais le président américain, Donald Trump, avait plusieurs objectifs. Il a profité de la situation. En effet, Trump a voulu être perçu comme un homme fort, capable de pendre des décisions sévères, il veut assurer les Américains sur son administration, leur dire qu’ils peuvent lui faire confiance. C’est un message aux Américains eux-mêmes alors que, moins de trois mois après son élection, Trump ne fait pas vraiment bonne figure. C’est aussi un message à ses alliés dans la région, comme les pays du Golfe et la Turquie, une façon de leur dire qu’il agit aussi contre la menace de l’extension du chiisme, ce cauchemar qui a tant inquiété les pays de la région, surtout à l’époque de l’ex-président américain, Barack Obama. Si ces monarchies du Golfe sont rassurées, les Etats-Unis profiteront encore plus de leurs richesses.
Par ailleurs, Trump veut prouver à l’Iran, un pays auquel il voue une véritable inimitié, et à ses alliés régionaux que les Etats-Unis sont de retour sur la scène moyen-orientale, alors que Washington avait perdu de son influence ces dernières années.
— Quels sont, selon vous, les scénarios à venir suite à ces frappes ?
— Trump a envoyé un message important aux Russes à travers ces frappes, autrement dit, il prévient les Russes que les intérêts américains dans la région sont des lignes rouges et sont protégés. Mais il faut attendre la réaction russe pour juger l’évolution de la situation. On est face à deux scénarios : d’abord, que le président russe, Vladimir Poutine, continue de protéger son allié syrien, en lui accordant des aides militaires, des informations, etc. Par exemple, Poutine peut renforcer les forces de défenses aériennes syriennes en construisant des systèmes anti-missiles de haute technologie et en lui fournissant davantage d’armes. Dans ce cas, le bras de fer entre Moscou et Washington sur la Syrie va prendre de l’ampleur.
L’autre scénario, c’est que les deux pays profitent de cette situation pour discuter d’une solution politique et rapide à même de résoudre la crise syrienne, tout en protégeant les intérêts des deux puissances dans la région. Il faudra attendre les jours à venir, et notamment les résultats de la visite du secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, à Moscou, pour voir comment les choses vont évoluer.
— Cela nous ramène donc à l’idée selon laquelle le règlement de la crise syrienne passe avant tout par un accord russo-américain ...
— En effet, le règlement de cette crise est toujours entre les mains des deux grandes puissances, et seule une entente entre Moscou et Washington apportera une solution, un tel accord sera comme la baguette magique, capable de donner la solution. D’ailleurs, les conséquences du prochain round de négociations de paix seront déterminées par les grandes puissances et par le cours que prendront leurs relations dans la période à venir. Aujourd’hui encore, ce sont les Etats-Unis et la Russie qui peuvent exercer et renforcer leurs pressions sur les parties qui prennent part au conflit, qu’elles soient syriennes ou régionales. Il en est de même pour la lutte anti-Daech qui nécessite elle aussi une entente et une coordination entre Russes et Américains, notamment pour ce qui est du renseignement.
— Pourquoi Bachar Al-Assad aurait-il eu recours à l’arme chimique à un moment où il est plutôt renforcé politiquement et militairement ?
— Il faut d’abord attendre les résultats des investigations. Pour le moment, on ne peut ni affirmer, ni nier l’usage d’armes chimiques par Damas. Il ne faut pas lancer des accusations sans preuve. Cela dit, il est vrai que la situation reste en faveur de Bachar. Il avance sur le terrain, il est soutenu par la Russie, l’Iran et son départ n’est plus perçu comme nécessaire par de nombreuses capitales. C’est la partie la plus puissante dans les négociations. C’est pourquoi je trouve illogique dans cet état des lieux qu’il commette un tel crime capable de lui faire perdre tous ses gains.
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