Al-Ahram Hebdo : Pourquoi une faction dans l’armée cherchait-elle à mener cette action contre Erdogan ?
Steven A. Cook : Il y a quelques raisons derrière cette tentative de coup d’Etat. D’un côté, il y a cette crainte que les politiques d’Erdogan concernant la Syrie n'ont laissé le pays vulnérable à la violence extrémiste. Et d’un autre côté, Erdogan est devenu la figure la plus puissante en Turquie, ce qui signifie qu’il a supplanté le militaire comme point pivot du pouvoir et de l’autorité.
— Les politologues proches d’Erdogan disent que ce putsch manqué était une dernière tentative de couper l’herbe sous le pied du Conseil suprême militaire, qui prévoit un remaniement majeur dans l’armée en août. A quel point ce raisonnement est-il valable ?
— Cette interprétation des choses ne me paraît absolument pas fidèle.
— Le coup a échoué, et Erdogan est encore populaire, cela signifie-t-il qu’il a dompté avec succès l’armée ?
— Oui l’armée est aujourd’hui « à l’Erdogan », en dépit des divisions évidentes que la tentative du coup d’Etat a révélées, et de certains rapports laissant prévoir un chaos dans les rangs, alors que les chefs militaires essayent de restaurer l’unité de commandement.
— Qu’est-ce qu'Erdogan a gagné, et qu’est-ce qu’il a perdu ?
— Cet événement marque la fin de l’armée turque en tant que force politique, ce qui est dans l’intérêt d’Erdogan. Ce coup manqué lui donnera libre main pour chasser les Gülenistes. il lui accordera un avantage politique alors qu’il cherche à rédiger une nouvelle Constitution qui permet officiellement de renforcer les pouvoirs de la présidence.
— Se dirige-t-on vers plus de répression ?
— Erdogan a déjà dépeint l’opération comme une atteinte à la démocratie turque. Pourtant, il semble avoir quelque chose d’autre que la politique démocratique à l’esprit. Les répercussions sont claires : l’AKP va maintenant traquer les opposants — réels ou imaginaires — en toute impunité, en consolidant le pouvoir personnel déjà important d’Erdogan et en alimentant son ambition de transformer encore la Turquie. Plus qu’une chance pour la démocratie, le coup d’Etat manqué consolidera plutôt l’autocratie élue de la Turquie.
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