
Mohamad Kamal, superviseur général de la sélection égyptienne de football féminin et directeur technique du club Wadi Degla FC.
Al-Ahram Hebdo : En se qualifiant pour la Coupe d’Afrique des nations, qui aura lieu au Cameroun en 2016, le football féminin égyptien ne vit-il pas une de ses meilleures saisons ?
Mohamad Kamal : Oui c’est vrai. Nous vivons une joie extrême, surtout que cette qualification est arrivée quelques jours après la triste élimination de la sélection nationale des moins de 17 ans pour la Coupe du monde 2016. Cette équipe juniors regroupe de très bons éléments qui avaient l’espoir de se qualifier pour le Mondial jordanien. Lors des éliminatoires, nous avons battu la Libye 6-0 à l’aller et 4-0 au retour.
Au deuxième et dernier tour, nous avons réalisé un bon résultat face au Cameroun à l’aller en perdant 2-1 à Douala. Mais au retour, alors qu’un seul but nous aurait propulsé à la Coupe du monde, les Lionnes camerounaises nous ont battus 4-0 arrachant la qualification et stoppant net nos espoirs.
Suite à cette lourde défaite, la presse n’a pas fait de cadeau au football féminin égyptien qui est devenu la cible des médias. Cette défaite a coïncidé avec le dernier match de qualification pour la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de l’équipe seniors qui jouait une semaine plus tard contre la Côte d’Ivoire. Celle-ci est l’une des meilleures équipes de football féminin en Afrique. C’est une équipe très bonne physiquement et aussi tactiquement. A une semaine du match, la Fédération Egyptienne de Football (FEF) m’a désigné comme superviseur général de l’équipe nationale. Le temps était alors très court avant le match décisif. Et les joueuses étaient déçues après l’élimination face au Cameroun. Il faut savoir que 6 joueuses sont issues de la sélection U-17. Personnellement, j’avais la certitude que nous pouvions nous qualifier.
— Le contexte était pourtant délicat. D’où venait cette confiance ?
— Tout simplement parce que je connais bien la mentalité des joueuses égyptiennes. Elles n’auraient jamais accepté de perdre après la défaite contre le Cameroun. Une seconde élimination aurait donné une excellente occasion aux médias de ridiculiser le football féminin, et cela aurait eu un impact négatif sur l’avenir de cette discipline en Egypte.
Avant le match et vu la puissance physique de la Côte d’Ivoire, certains membres de la FEF voulaient que notre équipe déclare forfait. Après avoir appris les lourdes sanctions de la CAF en cas de forfait, la fédération a décidé que l’équipe disputerait le match même si elle s’attendait à une défaite.
Personnellement, je restais confiant, sachant que les joueuses allaient fournir tous les efforts nécessaires pour que le football féminin traverse cette étape difficile.
— Comment s’est passée l’étape préparatoire ?
— Avant le match aller nous avons fait un camp de préparation de 6 jours seulement, de samedi à jeudi, le jour du match. Durant ce rassemblement, tout le monde, staff technique et joueuses, était extrêmement concentré. Nous avons fait de notre mieux pour remonter le moral des jeunes joueuses de la sélection U-17. La majorité des joueuses étant sociétaires de Wadi Degla FC (1re division égyptienne) où je suis directeur technique, j’ai joué un grand rôle dans la récupération psychologique de ces joueuses et dans la préparation de l’équipe pour le match contre les Ivoiriennes. Au match aller, elles n’ont ménagé aucun effort pour réaliser un bon résultat. L’idée du staff technique était que l’équipe fasse pression sur l’adversaire, diminue les espaces entres les lignes, évite de garder beaucoup le ballon pour économiser le physique et enfin, profiter des coups de pied arrêtés. Nous avons entraîné nos joueuses à bien jouer les coups francs pour en tirer avantage durant le match. Notre objectif était de marquer un but et d’essayer de n’en perdre aucun pour arracher la victoire. Et c’est ce que nous avons fait. Nous avons marqué un but d’un coup de pied arrêté puis nous avons réussi à ne laisser passer aucun but. Cela nous a permis de gagner à l’aller 1-0 bien que les pronostiqueurs nous aient donné perdants à 7-0. Gagnant à l’aller, le moral des joueuses était au plus haut. Au retour, nous avons encaissé deux buts en première mi-temps, et à la 80e minute au moment où les supporters adverses commençaient à fêter leur victoire nous avons marqué un but toujours d’un coup de pied arrêté. Puis, nous avons réussi à nous défendre des attaques répétées des Ivoiriennes jusqu’à arracher la qualification.
— Cette qualification à l’arraché ne présage-t-elle pas de futures difficultés à s’imposer dans cette compétition ?
— Non, au contraire. Si nous nous sommes qualifiés avec difficulté c’est parce que notre adversaire était une grande équipe. Notre victoire contre la Côte d’Ivoire nous a motivés davantage pour réaliser de bons résultats. Nous ne nous sommes pas qualifiés pour la CAN pour être éliminés au premier tour. Je crois que l’Egypte peut être dans les finalistes de cette CAN. Nous nous préparons dès maintenant pour cette grande compétition. Si la fédération accepte que cette équipe joue beaucoup de matchs amicaux contre les grandes équipes africaines et fasse de longs camps de préparation, nous pourrons aller très loin. C’est la deuxième fois que l’Egypte se qualifie pour la CAN féminine. La première fois était en 1998 lorsqu’il n’y avait pas beaucoup de pays qui jouaient au football féminin en Afrique. Cette fois, la qualification a été beaucoup plus difficile que celle de 1998. Nous ferons de notre mieux pour ne pas laisser échapper cette belle occasion.
— Vous êtes surnommé « le doyen des entraîneurs du football féminin » pour avoir remporté 7 fois le Championnat d’Egypte et 5 fois la Coupe d’Egypte avec le club de Wadi Degla. D’après votre large expérience, qu’est-ce qui fait défaut au foot féminin égyptien pour faire partie de l’élite africaine ?
— Une solution serait d’avoir 5 ou 6 clubs au Championnat national avec le même potentiel que Wadi Degla. Le club de Wadi Degla accorde une grande importance au football féminin. Nous avons une académie de foot féminin à la base, des équipes juniors, et une équipe seniors qui domine le championnat national depuis 7 ans grâce au professionnalisme de la direction du club. Tous les clubs égyptiens de football féminin devraient prendre exemple sur Wadi Degla. Cela serait sans doute synonyme d’amélioration du niveau du football féminin dans le pays et créerait une bonne et forte équipe nationale.
En plus de cela, le fait d’intégrer le football féminin dans quelques écoles serait une initiative salutaire. Cela porterait sans doute ses fruits dans quelques années et permettrait non seulement de multiplier le nombre de joueuses licenciées mais aussi de rendre plus populaire cette discipline.
Enfin, un dernier élément susceptible de stimuler le football féminin dans le pays serait que la fédération somme les clubs de première division de se doter d’une équipe féminine. La Fédération égyptienne de handball fonctionne ainsi. Elle a exigé que les clubs de division d’honneur aient une équipe juniors au championnat. Une fois que cela sera acquis, le foot féminin sera plus populaire, il attirera de nouvelles joueuses, des sponsors et aurait une réelle couverture médiatique. J’espère que la fédération prendra rapidement une telle décision.
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