Vendredi, 29 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > L'invité >

Jean-Pascal Van Ypersele : La COP21 doit arriver à un accord de décarbonation de l’économie mondiale 

Dalia Abdel-Salam, Mardi, 24 novembre 2015

Jean-Pascal Van Ypersele, ex-vice président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), révèle les grandes lignes du 5e et dernier rapport du groupe et souligne les défis de la COP21 prévue à Paris.

Jean-Pascal Van Ypersele
Jean-Pascal Van Ypersele, ex-vice président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC.
Al-Ahram Hebdo : Comme vous étiez, pendant 8 ans, l'un des trois vice-présidents du GIEC, ce groupe d’experts qui rédige un rapport sur le climat tous les 5 ans, qu’est-ce que le 5e rapport publié en 2014 est venu ajouter au 4e ?

Jean-Pascal Van Ypersele : le 5e rapport est venu ajouter la confirmation que ce sont bien les activités humaines qui sont à l’origine du réchauffement dans les 50 dernières années, ce qui est en même temps une bonne nouvelle parce que ça veut dire que les humains ont la possibilité d’agir à propos des changements climatiques. Il est venu aussi placer la question des changements climatiques dans le contexte du développement durable en soulignant qu’à la fois, les changements climatiques peuvent représenter une menace pour le développement durable en particulier dans beaucoup de pays, mais qu’il était aussi possible de lutter contre le changement climatique que se soit par des mesures d’adaptation ou par des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre. On a aussi essayé de communiquer plus clairement les incertitudes qui subsistaient en distinguant ce qui est bien connu de ce qui suscite encore des interrogations. En plus, nous avons présenté davantage la question comme un problème de gestion des risques. Car en minimisant les risques, on peut utiliser des techniques comme le nucléaire, par exemple, qui présente aussi des risques, mais l’idée c’est d’équilibrer les différents risques qu’il faut gérer.

— Quel est le constat du rapport sur les émissions de gaz ?

— Si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent au rythme actuel, il y aura des conséquences graves très répandues et irréversibles aussi bien sur les écosystèmes que sur les humains. Le troisième message, c’est qu’il était donc nécessaire de réduire le rythme des émissions pour éviter tous ces impacts. En bref, l’humanité a les moyens de lutter contre les changements climatiques, tout en construisant un avenir meilleur pour tout le monde. Il faut savoir que le budget de carbone que l’atmosphère peut assimiler pour garder l’augmentation de la température au seuil de 2 degrés Celsius est de 2 900 gigatonnes de carbone (un gigatonne = un milliard de tonnes), le monde a déjà dépensé 65 % de ce budget, soit 1 900 gigatonnes entre 1870 et 2011, alors il ne reste que 1 000 gigatonnes. Il est important de savoir que le taux actuel d’émissions est de 40 gigatonnes par an. Cela veut dire qu’il nous reste moins de 25 ans d’émissions si elles demeurent au rythme actuel. Mais au cas où les émissions augmentent, c’est évidemment moins de 25 ans. Il est donc indispensable de prendre des mesures sévères pour éliminer les émissions.

— Vous avez parlé de mesures sévères à prendre, lesquelles ?

— Je parle plutôt au niveau économique. Pour réaliser des réductions importantes dans les émissions, cela nécessitera de larges changements dans les modèles d’investissements dont le coût s’élève à des milliards de dollars par an entre 2010 et 2019. Par exemple, le domaine de l’efficacité énergétique nécessite des investissements en plus qui s’élèvent à plus de 330 milliards de dollars par an, les énergies renouvelables ont besoin d’investissements qui dépassent les 90 milliards de dollars par an, le nucléaire a besoin de plus de 40 milliards de dollars d’investissements en plus. Par contre, d’autres secteurs nécessiteront une réduction des investissements, comme celui de l’extraction des énergies fossiles dont les investissements doivent diminuer d’un montant qui s’élève à 120 milliards de dollars par an. Pour réaliser l’objectif des 2 degrés, il faut absolument suivre les modèles d’investissements précédents.

— Est-ce que les politiciens accordent, selon vous, l’importance qu’il faut à ces rapports du GIEC ?

— Peut-être pas encore une importance suffisante, mais je crois qu’il n’y a aucun homme ou femme politique dans le monde aujourd’hui qui puisse dire qu’il ne connaît pas les grands messages du rapport du GIEC. Maintenant, il y a une distance malheureusement, un décalage entre la connaissance, la prise de conscience et l’action. C’est l’un des défis de la conférence de Paris d’ailleurs de transformer ces prises de conscience et ces connaissances en décisions.

— Justement, quels seront les principaux défis à Paris ?

— Je crois qu’un des défis les plus importants pour la conférence de Paris c’est de se mettre d’accord sur les méthodes qui vont être utilisées par la communauté internationale pour accompagner les efforts qui seront faits dans chaque pays. 150 pays ont présenté des plans ou Contributions prévues déterminées au niveau national (INDC). Mais il ne suffit pas d’avoir un plan ; il faut le mettre en œuvre véritablement. Jusqu’à présent, les INDC ne sont que des engagements volontaires. Il faut qu’il y ait un accord mondial sur la manière de mesurer les résultats des INDC, de les vérifier et de les rendre disponibles d’une manière transparente, ça c’est l’un des enjeux. Un autre enjeu important, c’est de s’assurer que la promesse qui a été faite à Copenhague en 2009 d’alimenter à la hauteur de 100 milliards de dollars par an le Fonds Vert pour le Climat soit tenue, parce que c’est un élément très important pour que beaucoup de pays en développement puissent mettre en œuvre les mesures qu’ils envisagent de prendre.

— Qu’attendez-vous de l’accord prévu à Paris ?

— Un accord qui représente un pas positif important. La COP21 doit arriver à un accord qui met l’humanité sur le chemin de la décarbonation de l’économie. On peut retourner le problème dans tous les sens si on veut garder la température à un niveau vivable pour tout le monde. Il faut absolument que l’économie mondiale ne dépende progressivement plus des combustibles fossiles. Ce ne sera pas facile puisque 80 % de l’énergie mondiale aujourd’hui en dépend. C’est le défi.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique