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Mona Makram Ebeid : Pour combattre le terrorisme, il faut approfondir les bases du respect de l'autre et de la coexistence

Amr Kamel Zoheiri, Mardi, 30 mai 2017

Mona Makram Ebeid est politologue, professeur d’université, officier de la Légion d’honneur et ancien parlementaire. Dans un entretien à Al-Ahram Hebdo, elle revient sur les grandes questions de l’actualité.

Mona Makram Ebeid : Pour combattre le terrorisme, il faut approfondir les bases du respect de l
Mona Makram Ebeid

Al-Ahram Hebdo : L’attentat de Minya a une fois de plus choqué l’opinion publique. Comment faire pour endiguer en Egypte et dans le monde le phénomène du terrorisme ?

Mona Makram Ebeid : Pour combattre le terrorisme, il faut instruire et valoriser la population, ajuster et développer l’économie, redresser le monde et la planète entière sur base de tolérance, de savoir, de partage et d’entraide. Et cela est un devoir que partage le monde, et un défi qu’ont affronté les générations successives. Approfondir les bases de l’amitié, de la tolérance et du rappel de ce destin commun était le fond du message éternel de paix et d’appel à la tolérance du pape François lors de sa récente visite en Egypte.

— Les élections présidentielles en France, pays si proche de l’Egypte, ont été gagnées par Emmanuel Macron. Comment voyez-vous son élection ?

— J’aimerais féliciter en premier lieu le peuple français d’avoir fait cet excellent choix et d’avoir élu le président Emmanuel Macron. Face à la montée des extrêmes en Europe, notamment à droite, qui préconise la haine et le mépris à l’égard des autres civilisations, l’élection du plus jeune président français, avec plus de 60 % des voix, prouve que la France croit en l’avenir et cherche des solutions au problème de l’intolérance et de la haine envers l’autre. De même, le renouveau de la vie politique française a déjà commencé à mon avis. Preuve en est que Macron est le plus jeune chef d’Etat français depuis Napoléon. L’absence des partis traditionnels au second tour de l’élection présidentielle est une autre preuve de ce renouveau politique. Espérons que le vote en faveur de la jeunesse politique permettra de stopper la montée des extrêmes et des extrémistes. On l’a vu d’ailleurs en Italie et au Canada avec l’avènement de Matteo Renzi et de Justin Trudeau. Ces hommes s’intéressent à la question de l’émigration entre autres, et leur élection est un signe de confiance et un gage de responsabilité. J’espère que Macron maintiendra et développera cette grande amitié traditionnelle entre l’Egypte et la France, qui sont deux grandes civilisations et deux grandes nations.

— Vous avez été membre du parlement. Comment évaluez-vous le parlement égyptien d’aujourd’hui ?

— Je crois que c’est le pire parlement que l’Egypte a eu depuis que la vie parlementaire existe. Il manque de matière grise. Il est atone politiquement et manque de vitalité et de dynamisme. On peut facilement le qualifier de « médiocre ». Il aurait fallu, au vu de cette composition, se rattraper dans les nominations (ndlr : le président de la République nomme 28 députés, selon la Constitution) de manière à avoir des idées et des débats. Ce parlement manque de spécialistes dans différents domaines : professeurs d’université, juristes, anciens magistrats ... de sorte à soulever des débats et souligner les problèmes majeurs. Le parlement actuel souffre du laxisme parlementaire. Les députés sont peu présents dans la presse pour présenter leurs idées, les défendre, et surtout expliquer comment les appliquer. J’ai des doutes sur la responsabilité de la presse et des médias dans cet éloignement. Au niveau de la présence dans le quotidien de leurs électeurs, les élus sont presque inexistants ... Malheureusement.

— Comment évaluez-vous le rôle des médias et leur engagement dans la vie politique égyptienne ?

Mona Makram Ebeid : Pour combattre le terrorisme, il faut approfondir les bases du respect de l

— Je trouve que les médias jouent un rôle très négatif dans la vie politique égyptienne. Il y a un laxisme et un manque de dynamisme. Il y a aussi un manque de professionnalisme et de créativité. On est loin des questions qui intéressent le grand public. Prenez par exemple la question de la case de la religion dans les cartes d’identité. Les médias qui ont traité cette question l’ont mal abordée, ne l’ont pas présentée sous toutes ses facettes. Il n’y a pas eu de débat en bonne et due forme. Certains disent que la case de la religion est une discrimination positive. Je pense personnellement que cette case n’a pas lieu d’être sur une carte d’identité, par soucis d’égalité entre les citoyens.

— Comment voyez-vous les autres composantes de la société en Egypte aujourd’hui. Les ONG jouent-elles leur rôle dans la société ?

— Les ONG sont nécessaires pour soutenir le développement. Mais elles ne s’activent pas assez pour aller de l’avant et combattre les vrais dangers qu’affronte le pays. La question démographique est la plus critique. C’est une question primordiale qu’il faut affronter. Depuis les années 2000, aucune mesure ou engagement sérieux n'ont été pris par la société civile pour endiguer ce phénomène. En 2006, la fécondité moyenne de la femme égyptienne était de trois enfants par femme, et en 2012, ce nombre a augmenté à trois enfants et demi en moyenne. C’est effrayant ! A ce rythme, les statistiques internationales prévoient pour l’Egypte 100 millions d’habitants en 2020, 120 millions en 2030, et 150 millions en 2043, la situation semble irréversible.

— Et cela est la faute de qui, est-ce la faute des femmes ou de la société ?

— Ce n’est que maintenant qu’on peut démanteler la bombe démographique, sauver le pays et éviter une catastrophe. Il faut que l’ensemble du pays soit mobilisé, aussi bien le gouvernement que la société civile. Améliorer l’éducation, notamment celle des filles, augmenter les salaires, et instaurer une sécurité sociale, notamment pour les femmes, pourrait aider à établir un climat d’apaisement et de sécurité chez les femmes. Ainsi, au lieu d’avoir sept ou huit enfants, pour leur servir de soutien, le mieux serait d’avoir un ou deux enfants qui auront une meilleure éducation, une meilleure santé et un avenir professionnel plus prometteur. Les révolutions successives ont brisé la glace et ont aidé les femmes à aller de l’avant et d’évoluer, notamment sur les plans culturels et intellectuels, même si sur le plan matériel, les promesses ne sont pas encore au rendez-vous.

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