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L’Egypte pour une halte temporaire

Dina Darwich, Mardi, 13 novembre 2012

Ils sont nombreux à avoir adopté l’Egypte comme terre d’accueil. Ils vivent en communauté, solidaires face aux difficultés de la vie cairote. Reportage dans un immeuble du quartier de Madinet Nasr, où ils mènent une vie organisée.

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« Ma famille habite en Suède depuis de nombreuses années, un pays où l’accès à un enseignement de qualité m’était garanti. Mais j’ai préféré venir en Egypte pour trouver un équilibre entre ma ferveur religieuse et les sciences modernes. En Somalie, mon pays natal, l’Université d’Al-Azhar conserve sa notoriété et son prestige. Elle a donné un grand nombre de réformateurs dans le mouvement patriote somalien. L’Egypte est aussi l’un des plus grands pôles du sunnisme du Moyen-Orient et de l’Afrique, or les Somaliens sont à 99 % sunnites », résume Hafsa, étudiante à la faculté de médecine de l’Université d’Al-Azhar. Un avis partagé par un grand nombre de réfugiés et d’étudiants installés en Egypte.
Sa tenue et son foulard multicolore dissimulant sa chevelure semblent refléter les deux cultures : l’africaine et l’arabo-musulmane. Dans son immeuble du quartier de Madinet Nasr, à l’est du Caire, Hafsa est l’une des résidentes les plus anciennes. Souvent accompagnée d’un groupe de Somaliennes, vêtues de larges foulards imprimées et de couleurs vives, elles attirent les regards des piétons.
Hafsa, qui habite en Egypte depuis 5 ans, a préféré vivre avec ceux de son pays. Dans son immeuble, Hafsa se déplace avec souplesse d’un étage à l’autre pour s’assurer que l’une de ses voisines, au Caire depuis quelques mois seulement, ne manque de rien ou pour aider les enfants d’une autre à faire ses devoirs d’arabe. De temps à autre, elle échange un plat d’angaloo (un mets populaire en Somalie préparé avec de la farine et de l’eau) avec une troisième voisine. Et elle n’oublie pas de rendre visite à une autre compatriote en bas de l’immeuble, histoire de lui montrer où se trouve la grande mosquée, où les Somaliens ont l’habitude de se rencontrer pour la prière de vendredi et celle des tarawih pendant le mois du Ramadan.
Sur le même palier, Fatma, sa voisine qui porte le niqab, se sent à l’aise. Lorsqu’elle rend visite à l’une de ses compatriotes, elle ôte son voile et là, elle passe des soirées très agréables, entourée de femmes originaires de son village natal. « Il existe un nombre important de femmes somaliennes portant le niqab et qui ne peuvent donc pas dévoiler leur visage devant un étranger. Ces rencontres nous permettent alors de discuter à l’aise », assure Fathiya, en Egypte depuis 5 mois.
Ces femmes somaliennes préfèrent se rendre dans un pays musulman, car dans certains pays occidentaux, le port du voile n’est souvent pas bien toléré. Avec l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir, les Somaliens sont d’autant plus motivés à se rendre en Egypte.
Fathiya, qui suit des cours d’arabe en Egypte, souhaite que tous les Somaliens apprennent cette langue, devenue un atout depuis que la Somalie a rejoint la Ligue arabe. Cela est aussi le cas pour les Somaliens habitant en Angleterre, un pays qui attire le plus grand nombre de réfugiés somaliens. D’ailleurs, c’est là où elle a résidé avec sa famille et où 10 % de la population est d’origine arabe.
Fathiya fréquente le centre d’apprentissage de la langue arabe pour atteindre le niveau de ses voisines venues au Caire avant elle. « Notre dialecte est un mélange de plusieurs langues : arabe, italienne, française et anglaise. On se reconnaît parfois par le dialecte puisque les tribus qui habitent le nord ne parlent pas de la même façon que celles du sud. C’est exactement comme en Egypte, où les natifs de la Haute-Egypte ont un dialecte différent de celui de la Basse-Egypte », commente Fathiya, originaire du nord de la Somalie composée de tribus à l’origine yéménite. Fathiya continue d’utiliser son dialecte lorsqu’elle discute avec ses voisines, un moyen pour elle de préserver son identité.
Manière de se protéger
Au 5e étage, le décor et les visages diffèrent. C’est l’univers des hommes. Aucune femme n’est à l’horizon. Là, les discussions vont bon train sur l’avenir de la Somalie et les conditions difficiles de leur résidence. La voix du muezzin s’élève annonçant la prière du maghreb. Tous se rendent alors à la mosquée.
Dans cet immeuble, dès qu’un Somalien quitte son appartement, un autre arrive à sa place. Pour eux, vivre en communauté est une manière de se protéger et la plupart des Somaliens résidant en Egypte ont opté pour le quartier de Madinet Nasr. Pour les étudiants, il est à proximité de l’Université d’Al-Azhar
Ce qui leur permet d’économiser sur les moyens de transport. Selon Mohamad, portier de l’immeuble, les deux appartements du 2e étage se sont transformés en dortoirs pour les étudiants somaliens.
« Dans notre pays, chaque groupement de familles vivant dans une même région dépend d’une tribu. Et contrairement à d’autres personnes qui vivent en exil, nous parvenons toujours à nous organiser car les Somaliens ont des moeurs tribales. Ici, les familles aisées soutiennent les plus pauvres et s’échangent des informations sur l’éducation et le logement », confie Mohamad. Il arrive souvent que deux familles somaliennes partagent un même appartement pour des raisons économiques. Un loyer dans le quartier de Madinet Nasr s’élève à 2 000 L.E. (environ 300 dollars). Une somme qu’ils partagent pour pouvoir assumer d’autres frais comme l’alimentation et les ouvrages de référence nécessaires à leurs études. Mais il n’est pas toujours facile de trouver cette famille, prête à recevoir quelqu’un d’autre. Cela exige de sacrifier un espace de sa vie privée.
Le nombre de Somaliens dans ce quartier ne cesse d’augmenter, surtout en été. Certains profitent des vacances pour venir prendre des cours d’arabe. D’autres attendent que les conditions de leur pays s’améliorent pour regagner la Somalie, alors qu’une troisième catégorie préfère passer ses vacances d’été en Egypte, car les femmes somaliennes qui portent toutes le voile s’y sentent tout à fait à l’aise. Selon les chiffres publiés par le quotidien somalien Hiran, le nombre de Somaliens en Egypte atteint 1 million d’individus. Un chiffre qui ne va pas de pair avec celui des organisations mondiales. Un rapport publié par le Haut commissariat des réfugiés estime que le nombre total des réfugiés somaliens au niveau mondial est de 1 million d’individus, dont la plupart habitent les pays de la Corne de l’Afrique. A travers Facebook et la Ligue des étudiants somaliens, située rue Chérif au centre du Caire et qui date des années 1950, les Somaliens arrivent à communiquer, à échanger des nouvelles et à s’entraider pour affronter les difficultés de la vie quotidienne.
« Au Caire, la vie n’est pas facile », estime Hamdi, 29 ans, en Egypte depuis 6 ans. Il ajoute : « Gagner sa vie devient de plus en plus difficile. La plupart des étudiants ont recours à de petits boulots pour survivre, car l’argent des bourses ne suffit pas pour couvrir leurs besoins. C’est pour cela que vivre en communauté est un moyen de ne pas se perdre ».
Nécessité imposée
Vivre en communauté n’est pas seulement un moyen de subsister. C’est une nécessité imposée par la rue égyptienne qui montre parfois une sorte de racisme à l’égard de ceux ayant le teint foncé, comme l’estime Hagg, réfugié somalien du même immeuble. Il relate l’histoire d’un réfugié Somalien arrêté sur la frontière égypto-israélienne. « Il n’a pas supporté de vivre dans la précarité et en avait assez des remarques. Il ne pouvait pas retourner en Somalie, alors il a pensé que la sortie se trouvait de l’autre côte de la mer Rouge », assure Hagg, qui passe d’un appartement à l’autre, les pieds nus, comme s’il était chez lui.
La situation s’est compliquée durant la révolution. Les Somaliens, à l’instar de beaucoup d’autres étrangers en Egypte, devaient raser les murs. « Tout étranger était pointé du doigt. On s’est cloîtré dans nos appartements car l’ancien régime faisait circuler des rumeurs sur la présence d’étrangers voulant renverser le régime et provoquer des attentats terroristes en Egypte surtout durant les 18 jours qui ont précédé la chute de Moubarak. Réunis sous un même toit, c’était une sorte de protection pour nous », explique Hafsa, qui contactait les étudiantes somaliennes à chaque fois qu’un appartement était libre pour venir s’y installer. Hagg estime que cette méfiance a disparu après la chute de l’ancien régime. « La rue cairote a retrouvé sa tolérance. C’est le régime de Moubarak qui voulait renforcer cette image que les ressortissants de certains pays africains sont des terroristes, afin de montrer au monde qu’il est le défenseur de la démocratie. Je pense que ces stéréotypes ont disparu après la chute de l’ancien régime », conclut Hagg.
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