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Ces miracles auxquels on veut bien croire

Hanaa Al-Mekkawi, Mardi, 04 novembre 2014

Une photo de Jésus qui laisse « couler de l’huile et du sang » provoque une effervescence parmi les fidèles coptes, qui la considèrent comme « miraculeuse ». Si certains croient à de tels phénomènes surnaturels, d’autres es considèrent comme une pure illusion.

Jesus: couler de l
Photo: Mohamad Hassanein

La maison de Adel Samir, un journalier qui habite le bidon­ville de Ezbet Al-Nakhl au Caire, est en effervescence. La vie de sa famille modeste a été chamboulée le jour où elle a découvert que des photos de Jésus exposées à la maison « laissent couler du sang et de l’huile ». Un miracle pour ce citoyen chrétien. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre et la maison de Adel s’est transformée en un sanctuaire accueillant des milliers de fidèles qui veulent voir ce miracle et recevoir la bénédiction de Dieu en pre­nant un peu de cette huile qui s’échappe de la photo. « C’est un message de Dieu. Il veut nous dire qu’Il est avec nous, et que Sa main est plus forte que celle du terrorisme », lance le père Amonios Daoud, responsable de l’église Mar Youhanna. C’est dans sa paroisse que les photos sont actuelle­ment exposées pour donner l’occasion aux fidèles de les voir. Car Adel et sa famille ne pouvaient plus supporter l’assaut des fidèles et des médias. En effet, des milliers de personnes sont venues camper devant son immeuble pour voir ce « fait rare ». « On ne voit pas tout le temps des miracles, mais le Messie veut nous dire: ne vous enfuyez pas, je suis avec vous et je ressens votre douleur », dit Yousri Bassali, venu spé­cialement du gouvernorat de Tanta pour assister à « ce miracle ». Et bien que ce dernier soit au courant que les photos se trouvent à l’église, il s’est quand même rendu chez Adel, pour essuyer les murs sur lesquels elles étaient suspendues, et ce, dans l’espoir de recevoir la bénédiction de Dieu. Devant la maison de Adel, Yousri a rencontré d’autres personnes qui vou­laient faire la même chose, mais les voisins ont tenu à fermer la porte de l’immeuble avec des chaînes.

Peur des extrémistes

Jesus: couler de l
La maison où tout a commencé. (Photo: Mohamad Hassanein)

« On en a assez de voir les gens arri­ver par milliers, 24/24, pour visiter la maison. On ne peut pas continuer à vivre dans ces conditions. Les photos sont à l’église. Celui qui veut les voir n’a qu’à s’y rendre », déclare Bichoy, voisin de Adel, tout en sommant les visiteurs de s’éloigner. Il explique qu’il a peur que des extrémistes musulmans viennent détruire la maison. « Tout le monde ne peut pas comprendre ce qui se passe. Il y a des gens qui ne croient pas aux miracles, surtout les extré­mistes et les ignorants », poursuit Bichoy. Ce dernier ne comprend pas, tout comme ses voisins, « pourquoi ce miracle a eu lieu à la maison de Adel en particulier ». Cependant, tous affir­ment que cette maison a quelque chose de particulier.

Nachwa Boulos, au service de l’église de Mar Youhanna, confie avoir souvent senti l’odeur de l’essence chez Adel, sans savoir d’où elle provient. En fait, les gens se posent des questions ou cherchent des preuves, non pas parce qu’ils doutent, mais pour être convain­cus de l’information avant d’en parler aux autres. Dans ce quartier anarchique où les conditions de vie sont inhu­maines, les gens sont prêts à croire à n’importe quoi, y compris aux miracles. Ils sont contents car, pour eux, c’est la preuve que « Dieu ne les oublie pas ». La preuve en est ces milliers de per­sonnes qui affluent vers l’église Mar Youhanna depuis une dizaine de jours, afin de voir les photos et prendre quelques gouttes d’huile. Face à ces « miracles divins », les gens ne pensent ni à la science, ni à la logique, mais à une force surnaturelle venue du Ciel et qui peut solutionner leurs problèmes. En effet, ce n’est pas la première fois que de tels phénomènes se produisent. Il y a quelques années, on avait parlé de l’apparition de la Vierge Marie dans une église du Caire sous la forme de lumière ou de colombes blanches. Un fait qui avait suscité un sentiment de ferveur religieuse chez tous les Egyptiens. « C’est pourquoi, peut-être, que ces messages divins apparaissent lorsque les gens sont au bout du rou­leau. Ceci leur donne de l’espoir », dit le père Armanios.

Pure illusion ou phénomène surnaturel

message divin
Les croyants sont convaincus qu'il s'agit d'un message divin (Photo: Mohamed Hassanein)

Il n’y a jamais eu de preuves sur l’existence de ces miracles. La raison de cette effervescence réside dans la façon dont les croyants perçoivent ce genre de phénomènes. Si certains pen­sent qu’il s’agit d’une pure illusion, d’autres sont réellement convaincus que c’est un phénomène surnaturel. « Oui, le Christ pleure, ses yeux cou­lent de sang en nous voyant pauvres et incapables de nous protéger dans ce monde. Alors, c’est lui qui va intervenir pour améliorer notre situation », dit Raouf. Ce dernier pense que le mes­sage de Jésus « arrive à point nommé », car il vient de perdre l’un de ses enfants suite à un accident de la circulation. En plus, on a cambriolé son magasin et la police n’a pas réagi dans les deux cas.

Un moyen d’échapper aux maux de la vie

Les fidèles venus
Les fidèles venus des quatre coins de l’Egypte se rendent à l’église pour voir la photo de Jésus et prendre la bénédiction de l’huile (Photo: Mohamad Hassanein)

D’après le sociologue Ahmad Yéhia, ces phénomènes « surnaturels » consti­tuent un moyen d’échapper aux maux de la vie, de s’éloigner de la réalité. « Les gens ont tendance à se réfugier dans tout ce qui est spirituel pour échapper aux maux de la vie. Dès qu’il y a un problème, on court vers la mos­quée ou l’église pour chercher la solu­tion chez un saint ou un wali. Actuellement, toute la société est sous pression. Les problèmes qui perdurent depuis des années n’ont pas été réso­lus », dit Yéhia. Mais ce n’est pas tout. Le discours religieux met l’accent sur le fait que le Ciel peut tout donner ou tout prendre.

L’apparition de la Sainte Vierge après la défaite de 1967 et au début de la révolution du 25 janvier 2011 a été perçue par beaucoup d’Egyptiens comme un signe du Ciel. D’après l’écrivain Gamal Assaad, expert des affaires coptes, il ne faut pas laisser ce genre de phénomènes nous influencer jusqu’à annuler la logique et la raison. « A travers les différentes époques, les miracles ont occupé une place impor­tante dans le quotidien des Egyptiens. Il est important de croire dans le pou­voir du Ciel, mais il ne faut pas que ces miracles deviennent des solutions à nos problèmes », s’exprime Assaad.

A Ezbet Al-Nakhl, le soleil est sur le point de se coucher, mais les fidèles continuent d’affluer. Oum Aymane, qui est là depuis midi, refuse de quitter les lieux, car elle veut remplir un flacon de cette huile qui dégouline de la photo. Elle ne croit pas les responsables qui lui affirment que l’huile s’est arrêtée de couler. « J’ai droit à l’huile que mon père Jésus a envoyée. C’est le seul remède qui va guérir mes rhumatismes. Ayez pitié et ne m’en privez pas ! », répète Oum Aymane, tenant à la main un sac plastique dans lequel elle a entassé des bouteilles d’huile de tour­nesol, pour que l’église les offre aux pauvres comme un remerciement de sa part au Bon Dieu qui lui a envoyé l’huile sacrée qui va la guérir.

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