Jeudi, 25 avril 2024
Al-Ahram Hebdo > Au quotidien >

Dans la rue, un nouveau contrôle du « foul »

Dina Darwich, Mercredi, 16 juillet 2014

Le ministère de l’Approvisionnement aidera désormais financièrement les vendeurs ambulants de « foul », une purée de fèves considérée comme le plat national. En contrepartie, des normes d’hygiène doivent être respectées et le prix du sandwich sera encadré.

Dans la rue
Ce plat des pauvres est servi avec différentes sauces. (Photos : AP)

On les voit partout dans la capitale, dans les quartiers huppés comme les plus défavorisés. A Hikr Abou-Kassir, dans le quartier de Boulaq au Caire, Ali a installé sa charrette, devenue un point de passage de 400 personnes qui, chaque matin, engloutissent dans la rue quelques sandwichs en guise de petit-déjeuner. A 5 heures du matin, Ali commence à étaler ses produits et ustensiles sur le bord de la chaussée. Les capots de voitures garées aux alentours servent de tables aux clients.

Chaque jour, c’est une course contre la montre pour servir ce repas matinal à des chauffeurs, fonctionnaires et ouvriers des institutions voisines. Une fois ses clients rassasiés, Ali se hâte de ranger son matériel avant que la municipalité n’ouvre ses portes.

Dans la rue 2
L’Etat subventionne les fèves, le pain, l’huile et la tahiné afin de baisser le prix du sandwich.

Malgré la canicule, il préfère laisser son parasol fermé, histoire de ne pas attirer l’attention. « Le sandwich de foul (fèves cuites) coûte 1,25 L.E. dans certains quartiers. Pour réduire ce prix, il faut éradiquer les pots-de-vin versés aux agents de la municipalité pour pouvoir travailler. Cela nuit à la réputation du gouvernement, en plus, ils tirent profit de notre travail au noir. Il faudrait se pencher sur ce problème », s’indigne-t-il.

Ali exerce ce métier depuis plus de 20 ans. « Les poursuites contre les vendeurs ambulants sont devenues mon cauchemar quotidien. Chaque matin, je sors de chez moi la peur au ventre de rencontrer ces individus qui bloqueront mon gagne-pain ou confisqueront mes ustensiles et ma charrette qui m’ont coûté près de 1 000 L.E. Quand ma charrette est confisquée, je suis obligé de faire le tour des commissariats pour la récupérer avant qu’elle nesoit endommagée. Résultat : le client subit aussi les conséquences. Je suis obligé d’augmenter le prix du sandwich pour couvrir les frais causés par les agents de la municipalité ou de la police », raconte-t-il.

Un appel qui semble avoir fait écho auprès du ministère de l’Approvisionnement. A l’arrivée du mois du Ramadan où le « foul » est roi sur les tables égyptiennes, le ministère a lancé une ini­tiative pour soutenir ces gargotes ambulantes. « C’est un moyen d’aider les citoyens les plus défavorisés », explique Mahmoud Diab, porte-parole du ministère de l’Approvisionnement. « Plus de 60 millions d’Egyptiens consomment chaque jour du foul. La famille égyptienne dépense environ 400 L.E. par mois en foul. Notre objectif est de réduire cette somme à 300 L.E. en aidant ces petits restaurants ambulants par le biais de subventions, ce qui pourrait faire baisser le prix du sandwich à 75 piastres », expose-t-il.

Dans la rue 3
60 millions d’Egyptiens mangent du foul chaque jour.

L’Union des chambres de commerce en colla­boration avec le ministère de l’Approvisionne­ment ont entamé une enquête pilote pour recen­ser ces gargotes ambulantes de foul, présentes dans la rue égyptienne. Selon l’économiste Chérif Mokhtar, il n’existe pas de chiffres précis sur ce business des pauvres. Pourtant, ces gar­gotes constitueraient près de 80 % des revenus de ces vendeurs. « On a organisé une réunion avec les propriétaires de ces charrettes pour connaître les problèmes qu’ils rencontrent et les facteurs qui ont entraîné l’augmentation du prix du sandwich », confie Mahmoud Diab en ajou­tant que la plupart d’entre eux ont mentionné un coût réel du sandwich de 80 piastres pour un prix de vente de 100 piastres, soit une marge de 20 piastres. On leur a fait savoir que l’Etat a prévu une subvention pour les quatre ingrédients essentiels de leur affaire, à savoir fèves, tahiné (purée de graines de sésame), huile et pain. Par le biais d’une carte à puce, le vendeur de foul recevra son quota de pain au prix de 5 piastres la galette au lieu de 15 ou 18. Mais à la seule condition que le sandwich ne dépasse pas les 50 piastres. « Ainsi, le vendeur adhérant à ce sys­tème sera obligé de respecter le prix fixe de 75 piastres. Par ailleurs, cette baisse du prix va encourager le client à consommer davantage de sandwichs », ajoute Diab.

Le foul est l’aliment national en Egypte. Il est aussi considéré comme le plat des pauvres. Difficile de dire quand le foul est devenu le plat égyptien par excellence, certains pensent qu’il a été inventé sur les bords du Nil et que seuls les Egyptiens possèdent le secret de sa préparation adéquate. La fève, ce légume sec, a traversé les frontières temporelles pour s’imposer dans la tra­dition culinaire égyptienne. Selon l’historien Theodore Al-Sékelli, « foul » est un terme hiéro­glyphique tandis que « médamès » (manière de cuire les fèves à la braise) est un terme copte. Ce plat révèle donc un métissage culturel entre deux civilisations croisées en Egypte. Selon Al-Sékelli, le foul n’était consommé ni par les aristocrates ni par les théologiens car les fèves sont difficiles à digérer. Les pharaons maudissaient celui qui consommait du foul car il provoque des indiges­tions et des gaz.

Aujourd’hui, c’est le plat le plus connu du pays, préparé à différentes sauces, même si on lui reproche d’être lourd. On dit même que la paresse des Egyptiens résulte de leur goût poussé pour le foul... même si le nutritionniste Mostafa Nofal affirme qu’il n’y est pour rien. Or, les études les plus récentes prouvent que le foul serait bon pour lutter contre la sensation de fatigue et la tension nerveuse, qu’il rendrait heureux, en induisant une sensation de bien-être chez la personne qui en consomme. Les fèves conviennent parfaitement aux familles pauvres des pays du tiers-monde, puisqu’elles sont riches en protéines nécessaires à la constitution des cellules, favorisant la crois­sance et l’activité physique. Elles comportent du fer et des minéraux dont l’organisme a besoin. En y ajoutant de l’huile, du sel, du poivre, du jus de citron (riche en vitamine C) et de la tomate, le foul devient un plat riche en protéine et contrairement à la viande dont il ne faut pas abuser et qui coûte cher, on peut en manger sans limite.

Installé devant la charrette bariolée d’Ali, Ahmad Motawie, plombier, commande un « chowayet foul », un sandwich de foul dans le jargon du métier. Il verse quelques gouttes d’huile et de tahiné, ajoute une pincée de cumin et de piment moulu pour mieux assaisonner son plat, puis saisit un morceau de pain pour le farcir de purée de fèves. Avec 5 L.E. par jour, il arrive à se rassasier. « Sans ces charrettes qui vendent du foul, on ne pourrait pas tenir debout sur nos jambes. Je travaille au centre-ville pour 40 L.E. par jour. Les quelques petits restaurants des alentours sont extrêmement chers pour moi. Certains d’entre eux exigent même un minimum charge avant même de commander », explique Motawie, père de 4 enfants. Il ajoute que les sandwichs mangés dans les gargotes ambulantes ont plus de saveur en raison des meilleures fèves choisies, issues de la culture nationale.

6 kilos de fèves par an/personne

Mais la récolte des fèves, indispensables à l’alimentation des Egyptiens, a connu une baisse au cours des 5 dernières années. Selon le Dr Abdel-Azim Tantawi, ex-président du Centre des recherches agricoles, la superficie de sa culture est passée de 350 000 feddans (147 000 ha) à 120 000 par an (50 400 ha). Une récolte estimée à 170 000 tonnes, alors qu’il faut à l’Egypte 540 000 tonnes pour couvrir ses besoins. Ainsi chaque Egyptien consomme en moyenne 6 kilos de fèves par an. Pour combler ce déficit, l’Egypte doit importer 370 000 tonnes de fèves, en particulier de Chine, où la fève est de moindre qualité par rapport à la production locale. Ce qui a eu un impact sur son prix local. Il y a trois ans, le prix du sandwich de foul ne dépassait pas les 50 piastres, aujourd’hui, il a doublé. « Après la révolution du 25 janvier 2011, le prix du foul a augmenté de façon vertigineuse. Alors que le kilo de fèves se vendait à 4 L.E., il a atteint aujourd’hui les 8 L.E. Ce prix a même dépassé les 10 L.E., quand les importations sont bloquées. Et ce, sans compter les ingrédients servant à son assaisonnement. Par exemple, le kilo de citron coûte 10 L.E. J’ai même arrêté d’acheter certaines épices comme le cumin, dont le prix du kilo a atteint les 50 L.E. C’est trop cher pour moi », confie Mohamad Eweis, vendeur de foul à Héliopolis. Ce sont surtout les chauffeurs de taxi qui viennent manger chez lui, alors que son voisin leur sert un verre de thé. « Le rythme de travail n’est plus le même, j’ai dû réduire la quantité de foul. Avant, je servais 700 sandwichs par jour, aujourd’hui, je ne dépasse pas les 400 et notre profit est maigre », explique Eweis, 27 ans, qui assiste son père depuis l’âge de neuf ans.

Désormais, les gargotes qui bénéficieront de l’aide fournie par le ministère de l’Approvision­nement seront soumises à un contrôle d’hygiène rigoureux. Ces gargotes ne seront plus traquées par les agents de la municipalité puisqu’elles seront dotées d’autorisations de stationnement dans la rue, si elle respectent aussi le prix du sandwich de foul. Am Saad Al-Harami, lui aussi vendeur de foul, a été blessé lors des affronte­ments entre manifestants et agents de police en 2011. Installé dans la rue Champollion, au centre- ville du Caire, Il a même créé une page Facebook, sorte de publicité pour sa gargote ambulante. Il a aussi eu l’idée de récolter des signatures pour fonder un syndicat. Ce projet tarde à devenir réalité, mais peut-être que le nouvel encadrement de santé et de prix aidera à le concrétiser.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique