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Du foot de rue aux pelouses brésiliennes

Chahinaz Gheith, Lundi, 12 mai 2014

Neuf enfants égyptiens ont participé à la Coupe du monde de football des enfants de la rue, la Street Child World Cup, qui s’est tenue à Rio de Janeiro, au Brésil. Un exploit qui dope leur confiance et génère la perspective d’un avenir moins sombre.

Du foot de rue aux pelouses brésiliennes
Motiver des gamins déshérités a été un travail titanesque. (Photo: Magdi Al-Sayed)

L’entraînement bat son plein. Des jeunes footballeurs en herbe, débordant de joie et d’enthousiasme, se disputent sérieusement le ballon. Passes longue distance, têtes, trébuchements et chutes, un effort pour se relever, dribbles et tirs au but. « Passe le ballon, au lieu de dribbler bêtement. Et toi Eid, arrête de courir dans tous les sens et tire ! Et toi Masri, sois plus rapide et avance le pied pour prendre le ballon de ton adversaire », s’égosille l’entraîneur. Voilà un match de football qui se déroule sur le vaste terrain de l’Association Hope Village, située dans la ville du 10 du Ramadan, près du Caire, et qui compte parmi les premières ONG à s’occuper du dossier des enfants de la rue depuis plus d’une vingtaine d’années.

Du foot de rue aux pelouses brésiliennes
(Photo: Magdi Al-Sayed)

Ces gosses des rues qui jouent au football sont devenus, soudainement, des vedettes internatio­nales et ambassadeurs de l’Egypte. Aujourd’hui, et pour la première fois de leur vie, tous les pro­jecteurs sont braqués sur eux ! Les médias leur tendent les micros car ils ont représenté l’Egypte à la Street Child World Cup 2014 qui vient d’avoir lieu à Rio de Janeiro, au Brésil. On n’imagine pas ce qu’un tel événement représente pour un enfant de la rue. Parmi les 200 joueurs venus de 19 pays du monde, pour participer à cette compétition, il y a eu neuf Egyptiens.

Organisée sous l’égide de l’Organisation non gouvernementale américaine Save the Children, la Coupe du monde des enfants de la rue a aligné des joueurs d’un très bon niveau. Mais plus que le football, c’est l’action éducative et sociale qui a motivé les organisateurs, à savoir : Redonner confiance à tous ces enfants qui ont vécu ou qui, pour certains, continuent à vivre dans la rue. Qu’ils puissent tout simplement dire : « Je suis un être humain ». La finale a été remportée par la Tanzanie qui a battu le Burundi par 3 buts à un, mais cet exploit restera gravé dans la mémoire de ces enfants, qui avaient perdu tout espoir.

Du foot de rue aux pelouses brésiliennes
(Photo: Magdi Al-Sayed)

De la rue à la pelouse, ces jeunes démunis, en quête de respect et de reconnaissance, ont enfin eu la chance de vivre le quotidien des autres enfants, pour qui le jeu est une priorité. « Nos entraîneurs nous ont appris à garder espoir tant qu’on est en vie. Le sport est un élément de réconciliation. Il faut se battre pour représenter l’Egypte, et rame­ner la victoire », lance Eid, l’un des membres de l’équipe de football, tout juste rentré de Rio. Agé de 14 ans, visage angélique et corps chétif, il n’au­rait jamais imaginé devenir un jour la fierté de son pays ou même voyager en avion. Lui, qui croyait être condamné à une vie d’errance et de mendicité dans les quartiers du Caire, a trouvé aujourd’hui son salut grâce au foot qui lui a permis de com­mencer une nouvelle vie. « J’étais un garçon des rues. Je passais mon temps à mendier et l’école, je n’y ai jamais mis les pieds. Mais aujourd’hui, j’ai réussi à trouver ma voie grâce à Hope Village qui m’a donné les moyens d’étudier. Je suis en première année préparatoire. Grâce au foot, j’ai de nouveaux amis et les gens me respectent », explique Eid, dont la fierté du père a atteint son paroxysme le jour où son fils intégra la sélection internationale. Il n’arrête pas de répéter : « Eid a réalisé ce que mes autres enfants n’ont pas pu faire ».

Tout a commencé il y a deux ans

Qui aurait même imaginé que Eid et d’autres enfants de la rue, qui ont quitté leurs parents dès l’âge de 13 ans, arrivent à représenter l’Egypte à l’étranger ? Tout a commencé il y a deux ans, lorsque Karim Hosni et Mohamad Khedr, diplô­més de l’Université américaine du Caire (AUC), chargés de l’entraînement de l’équipe de foot, ont assisté à un colloque tenu à Londres en 2010 qui parlait de la Coupe du monde de football. Le foot­ball a une autre coupe du monde, réunissant les cinq continents. Mais sa particularité, ce sont ses participants. C’est le Mondial réservé aux enfants de la rue et appelé Street Child World Cup. L’idée de faire participer des Egyptiens tenait à coeur aux deux jeunes qui ont fini par la réaliser. Avec l’aide de différentes ONG, ils ont fini par choisir trois associations : Hope Village, Ana Al-Masri (je suis Egyptien) et Face, afin de constituer petit à petit leur équipe. « La Coupe du monde des enfants de la rue est un mondial dont l’objectif est de leur permettre d’avoir plus d’opportunités auxquelles ils ont naturellement droit. En un mot, leur donner les chances de prouver eux aussi leurs talents », explique Mohamad Abou-Hussein, diplômé de l’AUC, l’un des entraîneurs qui ont accompagné l’équipe de foot à Rio. Il rêve comme ses collè­gues de créer une académie sportive pour les enfants de la rue.

Du foot de rue aux pelouses brésiliennes
(Photo: Magdi Al-Sayed)

Et ces enfants sont nombreux en Egypte. Selon les statistiques de l’Organisme national de mobilisation et des statistiques (CAPMAS), le nombre d’enfants de la rue est estimé à environ trois millions. L’exclusion familiale, l’absence du père, symbole de protection et de sécurité, la maltraitance des enfants au sein de la famille et dans les établissements scolaires ainsi que la pauvreté extrême sont les causes principales de ce problème. Jetés très jeunes dans la rue, livrés à eux-mêmes, ces enfants sont en situation permanente de privation. Pour assurer leur survie, ils s’exposent souvent à de graves dangers, et l’indifférence ne fait qu’aggraver leur exclusion. « Un enfant de la rue élit domicile dans la rue. Il y vit, mange et dort. Le foot est donc le seul moyen de distraction pour lui », poursuit Abou-Hussein.

« Mais participer à un tel défi est un véritable exploit. Car motiver des gamins déshérités a été un travail titanesque », reconnaît-il, tout en ajoutant que les premiers entraînements ont été ardus. Les enfants n’étaient pas constants dans leurs efforts, et pour former une vraie équipe, il leur a fallu opérer par étapes avec ces gamins difficiles à amadouer. La première étant de gagner leur confiance et leur porter beaucoup d’attention. La seconde est de leur faire sentir qu’ils peuvent devenir amis. « Ces enfants sont intelligents, mais surtout très sensibles et très susceptibles, voire d’une extrême fragilité. C’est pour cela que nous avons déployé de grands efforts pour qu’ils se sentent confiants en eux-mêmes et qu’ils sont comme tous les autres enfants et ne se sentent pas marginalisés », résume Abla Al-Badri, présidente de Hope Village. Selon elle, le tournoi au Brésil représente un bond gigantesque dans la vie de ces jeunes habitués aux matchs de foot sur des terrains vagues, dans les quartiers du Caire. Mais le jeu en vaut la chandelle. Le vrai but était de faire gagner à ces enfants une certaine reconnaissance. Pour eux, foot rime désormais avec respect. Elle est convaincue qu’après Rio, les 9 enfants sélectionnés ne seront plus les mêmes.

Du foot de rue aux pelouses brésiliennes
(Photo: Magdi Al-Sayed)

Les plus beaux jours de sa vie

« En quittant notre maison, je me sentais perdu car j’avais plein de problèmes. Lorsque je vivais dans la rue, personne ne me respectait. Je ne connaissais rien à rien. Mais aujourd’hui, je ne me sens pas inférieur aux autres et je suis capable de servir mon pays », dit Mohamad Masri, un des joueurs sélectionnés qui s’est rendu à Rio. Et d’ajouter : « C’est vrai que je n’ai pas choisi mon sort, mais aujourd’hui, je suis capable de choisir mon avenir ». Ce garçon de 14 ans vient de vivre les plus beaux jours de sa vie. Au départ, il n’aspirait qu’à trouver à manger, aujourd’hui, il rêve de devenir un footballeur célèbre comme l’icône égyptienne Mohamad Abou-Treika ou la légende vivante brésilienne Pelé.

Pour stimuler ces enfants, rien de tel que l’encouragement de leurs héros. Le légendaire Pelé a affiché son soutien le mois dernier lors d’une visite à un tournoi de jeunes en Egypte : « Moi aussi j’ai commencé dans la rue, tout comme vous. J’appartiens à une famille pauvre du Brésil ».

Sur le terrain, les joueurs courent dans tous les sens, tentant de s’emparer du ballon pour mar­quer un but. L’équipe adverse semble maîtriser le jeu, et a déjà marqué quatre buts. Bien que quelques enfants n’aient jamais assisté à un match de foot, les réactions de certains sont plutôt surprenantes. Durant la première mi-temps, le public s’est montré un peu moqueur et lance quelques boutades aux joueurs de cette Coupe du monde. « Si vous êtes aussi bons, pourquoi avoir perdu lors de la compétition mondiale ? », leur a lancé un des enfants. Mais les réactions ont changé lorsque le quatrième but a été marqué par l’équipe sélectionnée à la Coupe du monde. « Cours, Abdel-Alim, ne lâche pas ce ballon et tire avant que ton adversaire ne te double ! », vocifère Omar, l’entraîneur. « Et Masri, tu vois bien qu’il essaie de te faire tomber, évite-le pour ne pas perdre l’équilibre ! », conseille-t-il.

Malheureusement, de tels encouragements ne parviendront pas à remonter le moral de l’équipe déjà perdante. Le match se termine par un score de 4 à 0 en faveur de l’équipe internationale. Décevant peut-être pour les footballeurs, mais l’essentiel était de participer. « Perdre n’est pas honteux. Je suis fier d’avoir participé à cette compétition », dit Abdel-Alim Mahmoud, l’un des joueurs partis à Rio, devenu un exemple à suivre pour ses camarades de l’association. Un exemple de constance, de ténacité et de bravoure.

Créer du rêve pour ces enfants de la misère, c’était le but non seulement des entraîneurs mais aussi des associations qui les hébergent et qui se battent pour les aider à s’en sortir. « Le foot, c’est un sport qui permet de se connaître soi-même. Ça donne un potentiel à ces jeunes dont l’avenir se limite à la rue », note Adel Gad Al-Karim, directeur de Hope Village. Selon lui, « le sport est un moyen de communication, le football a tissé une relation entre les enfants eux-mêmes, mais aussi avec les éducateurs. Il a permis de les apprivoiser et de renforcer les liens ». Gad Al-Karim se souvient du jour où ils sont tous arrivés à l’association frustrés à cause du regard des autres. « La société n’est ni très sensible aux causes, ni à l’existence des enfants de la rue. Les gens les traitent comme des vauriens et non comme des victimes », reprend-il, tout en ajoutant que cette Coupe du monde n’est qu’un début. « Nous allons poursuivre notre mission d’éducation. Nous voulons que ces jeunes soient un exemple pour les autres jeunes qui croient que le rêve est permis. En regardant l’équipe jouer au foot sur Internet et marquer des buts, beaucoup d’enfants ont pris leur courage à deux mains pour tenter de réaliser eux aussi leur rêve. Bref, on ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. La vie continue : l’école, les études, l’apprentissage d’un métier », conclut Ahmad Farahat, directeur du centre du 10 du Ramadan, sur un ton optimiste .

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