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Abir : transformer les humiliations en moteur de combat
Gihane : J’ai fermé mon compte Twitter et fait profil bas

Dina Darwich, Lundi, 17 mars 2014

Depuis le 25 janvier, de nombreux visages féminins ont occupé le devant de la scène. Aujourd’hui, certaines de ces femmes ont dû quitter le terrain. D’autres continuent à militer, mais toujours la vie privée est un facteur de poids dans la décision de ces activistes.

Abir : transformer les humiliations en moteur de combat
(Photo:AP)

Abir : transformer les humiliations en moteur de combat

« C est l’injustice que j’ai subie dans ma propre vie qui m’a poussée à devenir activiste. En 2003, j’ai épousé un homme avec qui j’ai connu toutes sortes d’humilia­tion. Pendant 3 ans, il n’a cessé de me battre et de m’insulter. En 2007, je suis retournée chez mes parents avec mes 2 enfants sans aucun moyen financier pour les élever », lance révoltée Abir Achour, 36 ans, aujourd’hui directrice du syndicat des Producteurs et Distributeurs de pain. Avant, elle a longtemps exercé le métier de ven­deuse de pain.

Les conditions difficiles auxquelles elle a dû faire face sur le plan personnel, mais aussi dans son travail, l’ont encouragée à se lancer dans le combat. Aujourd’hui, elle assure que le syndicat est bien établi, mais que cela n’a pas toujours été le cas. « Les opposants au projet ont fait de leur mieux pour nous empêcher de créer cette entité. Ils ont menacé ma famille et porté atteinte à ma réputation, surtout que je suis une femme répudiée ».

Abir : transformer les humiliations en moteur de combat
(Photo:Reuters)

Sur le terrain, elle a connu de près toutes sortes d’injustices. Malgré les conditions de travail difficiles (passer toute la journée dans la rue quel que soit le temps), les vendeurs de pain, à majorité féminine, ne touchent qu’un maigre salaire : environ 250 L.E. par mois. Avec deux enfants à charge, elle a décidé de partager les soucis de ces petites vendeuses de rue. Abir n’avait aucune expérience dans le domaine syndical, mais les conditions de travail qu’elle a, elle-même, vécues l’ont encou­ragée à se lancer dans la bataille pour le droit de ses collègues.

« Quand mon fils tombait malade, je n’avais pas le droit de m’absenter. Et si je le faisais, une partie de mon petit salaire était retirée. L’ouvrière qui s’absente pour une grossesse risque de perdre son travail », avoue Abir qui a été la première à prendre congé après avoir gagné un procès contre la société qui l’employait.

« En plein désordre sécuritaire, on était obligée d’aller travailler tous les jours pour distribuer le pain. Un jour, un voleur m’a arrêtée et m’a menacée avec un canif pour prendre mon argent. A cet instant, j’ai pensé au sort de mes enfants si je mourrais, s’indigne Abir. Face à ces conditions diffi­ciles, je devais réagir. La fondation du syndicat dont j’ai pris l’initiative était pour moi un cri de colère contre toutes ces conditions injustes ».

Abir confie que sa vie privée, et pas seu­lement ses anciennes conditions de travail, a joué un rôle important dans sa décision. Mais cette vie privée est aussi un moyen de pression pour chercher à la faire taire. « J’ai intenté un procès contre une respon­sable du service municipal qui ne cessait de répéter devant les autres vendeuses que j’étais divorcée et que je n’avais pas de mari qui pourrait me défendre ». Aujourd’hui, c’est accompagné de ses enfants que Abir se rend aux stages de for­mation dans les ONG afin qu’un plus grand nombre de femmes apprennent à défendre leurs droits.

Abir : transformer les humiliations en moteur de combat
Une femme demande la libération des détenus politiques lors d'une manifestation au Caire en juillet 2012.

Gihane : J’ai fermé mon compte Twitter et fait profil bas

« Je sens qu’aujourd’hui ma vie est bouleversée. L’instabilité et l’insécurité règnent. Je n’arrive plus à faire mon travail comme il le faut. Je travaille dans le domaine des droits de l’homme et j’ai vraiment besoin d’une pause pour reprendre mon souffle », explique Gihane (le prénom a été modifié), activiste depuis plusieurs années.

Bien qu’elle soit une figure de la révolution, elle préfère aujourd’hui garder le silence. La raison est la crainte : les enfants sont parfois pris comme moyen de pression contre les activistes qui « vont trop loin ».

Gihane lutte depuis longtemps pour les droits des familles d’enfants tués par la police ou l’armée, ceux des détenus qui souffrent de maladies chroniques sans avoir de soins appropriés ou pour victimes de torture dans les commissariats.

Le parcours de Gihane dans l’activisme com­mence en 2005, suite au harcèlement contre les journalistes qui couvraient l’élection présiden­tielle. Face à ce qu’elle a toujours considéré comme une injustice, elle a décidé de ne pas rester les bras croisés.

« Après la naissance du mouvement Kéfaya, je sentais que le moment était propice. La scène politique témoignait d’un certain changement et la rue commençait à rentrer en ébullition. On sentait que rien ne pouvait empêcher la tem­pête », se rappelle-t-elle.

Parallèlement au contexte politique et social, Gihane, sur le plan personnel, tournait une page de sa vie. « Je venais de divorcer. Mes enfants avaient grandi et j’avais le temps de me lancer à travailler sur le terrain ».

Mais aujourd’hui, pour elle, les cartes se mélangent. Après l’arrestation de sa fille lors d’une manifestation défendant les droits de l’homme, elle a vécu un cauchemar. « Après l’arrestation de ma fille avec d’autres jeunes révolutionnaires, j’ai décidé de quitter la scène de l’activisme ».

Les visages des jeunes qu’elle a rencontrés lors de ses visites en prison la hantent toujours. Elle ne peut garder son calme lorsqu’elle imagine que sa fille, comme ces jeunes qu’elle a croisés, pourrait être torturée. « La police connaît bien les points faibles des activistes » dit-elle, laissant supposer qu’on pourrait chercher à la faire taire en emprisonnant sa fille.

Coincée entre son instinct maternel cherchant à protéger sa fille et son engagement pour les principes de droits de l’homme, elle a choisi de sauvegarder sa famille.

Abir : transformer les humiliations en moteur de combat

« La police a toujours été pour moi un symbole d’injustice, d’autorité et de cruauté. Mais aujourd’hui, les choses se sont aggravées. Jouer en ce moment avec la police c’est prendre un risque considérable, c’est un combat dont les conséquences sont inconnues ». Affronter la police est devenu trop risqué et Gihane n’a plus la force. Elle estime que l’Etat policier ne cesse d’imposer toujours plus son diktat alors que les activistes sont en train de perdre la sympathie de la rue qui n’est plus encline à tolérer la moindre critique.

Gihane a donc changé de stratégie. Elle fait profil bas et observe de loin l’évolution des événements. « J’ai fermé mon compte sur Twitter. J’ai boycotté les médias pour l’intérêt de ma famille », précise celle qui était souvent interviewée dans les talk-shows et qui ne ratait aucune occasion de mobiliser l’opinion publique.

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