« Catch ! ». Le formateur n’a pas besoin de prononcer deux fois son ordre pour que Max parte comme une flèche, à l’attaque de l’homme qui se tient debout non loin de lui. Il se jette à l’avant-bras, heureusement protégé par une tenue spéciale, aboie fort, serre les dents et ne lâche prise que sur ordre du maître. « Sit », lui crie-t-il. Le berger allemand lâche sa proie, s’assoie immédiatement, attendant un autre ordre … mais le regard figé sur sa cible, le cou tendu et les oreilles dressées. Max aurait aimé déchiqueter ce bras en mille morceaux. Il en est capable, si son entraîneur lui demandait.
La scène est partie d’une séance de dressage dans un centre canin spécialisé aux allures de ferme. « Les gens ont recours aux chiens de garde pour faire face au manque de sécurité qui règne actuellement dans le pays, face au taux de criminalité grimpant depuis la révolution, surtout depuis l’année dernière », déclare Islam Ahmad, responsable du centre.

L'amour et l'obéissance sont les mots-clés de la relation entre le dresseur et le chien.
(Photo : Hachem Aboul-Amayem)
Situé à Guiza, sur une route secondaire, en plein milieu d’un vaste terrain agricole, sans habitants aux alentours qui pourraient être dérangés par les aboiements des « résidents », le centre est idéalement situé. Pour apprendre à un chien à monter la garde, il faut d’abord choisir une race particulière : berger allemand, rottweiller, caucasien, doberman, pitbull ou boxer, prêts à accepter les missions. D’après Ayman Ghaleb, dresseur, les chiens doivent être robustes, intelligents, rapides, méfiants envers les étrangers et appréciant les exercices ou les jeux. « Comme la situation sécuritaire est critique dans le pays, il fallait trouver différentes solutions pour protéger mes biens et ma famille. Avec l’augmentation des vols, souvent accompagnés d’actes de violence, il est devenu important d’avoir un chien à la fois compagnon fidèle et excellent chien de garde », lance Waël Ramzi, pilote de ligne. Ce dernier a envoyé son chien, un rottweiller, une race réputée agressive, dans l’un de ces centres spécialisés pour le dressage.
Ces jours-ci, Mountain met en pratique son apprentissage. Il garde la maison, protège la famille pendant que son propriétaire vole haut dans le ciel.

Un chien qui s'entraîne comment attaquer le bras d'un étranger et le paralyser à sa place.
(Photo : Hachem Aboul-Amayem)
Ce sont surtout les habitants des complexes sécurisés des nouvelles villes, comme Al-Rehab ou Madinaty, qui ont recours aux chiens de garde. D’après Rami Sabet, propriétaire d’un centre de dressage dans la ville du 6 Octobre, ses clients sont principalement des hommes d’affaires. « Les chiens de garde sont les plus utilisés, et surtout les plus efficaces contre les cambriolages. Mais cela n’est pas accessible à tout le monde. Ces chiens ne peuvent pas vivre dans des appartements, même s’ils sont spacieux. Et ils coûtent chers … », explique Rami, tout en indiquant que le prix d’une de ces bêtes varie entre 1 000 et 6 000 L.E. pour les races locales. Pour les canidés importés, le prix peut atteindre plusieurs dizaines de milliers de L.E. Tout dépend aussi de l’âge, de l’aspect physique, et il faut être attentif à l’arbre généalogique. « C’est cher, mais il protège son maître au point de sacrifier sa vie pour le sauver. Avec un tel chien, pas besoin d’une arme », poursuit Rami, qui dresse des chiens depuis l’âge de 15 ans. Après avoir terminé ses études en histoire, il se penche sur le dressage des canidés.
En Egypte, les lieux officiels de dressage de chiens avec remise d’un certificat d’aptitude n’existent pas. Tout se passe selon des initiatives individuelles, en marge des règles en vigueur. Mais récemment, et après qu’on eut constaté l’ampleur du phénomène, certains problèmes ont surgi, des voix se sont élevées pour que l’Etat prévoit des lois visant à organiser ce phénomène. « L’entraînement d’un chien consiste à transformer un animal doux en un animal conscient du danger et capable de distinguer l’ami de l’ennemi », dit Rami. Le chien s’habitue à des ordres comme « Catch » ou « Attack ». Il cherche alors à paralyser l’ennemi.
Ces entraînements, selon Rami, durent entre 4 et 6 semaines pour un coût de 1 000 L.E. « L’important est que le chien ne souffre pas ensuite de troubles psychiques. C’est délicat durant le dressage », précise Rami. Selon lui, il existe des chiens naturellement apeurés par les feux d’artifice ou autres explosions, voire même les applaudissements.

Les chiens deviennent de plus en plus indispensables pour les services civils.
(Photo : Hachem Aboul-Amayem)
Les chiens peuvent aussi apprendre à détecter les odeurs particulières. Au mot « Check », Rex commence à flairer les différentes boîtes posées devant lui, puis il s’assoit devant celle qu’il considère remplie de matière explosive. C’est qu’un chien peut distinguer plus de 350 odeurs différentes, une aptitude en vogue ces temps derniers avec les récents attentats à la bombe dans le pays. Selon Ghaleb, ces chiens détecteurs d’explosifs sont l’idéal pour monter la garde devant les hôtels et les centres commerciaux.
« Plus efficace qu’un agent de sécurité »
Le premier centre de dressage en Egypte remonte à l’année 1937, il dépend de l’Académie de la police et il continue à présenter ses services. « Je détestais les chiens, mais après le cambriolage de mon voisin, j’ai acheté un chien de race pour protéger ma famille. Il est plus efficace qu’un agent de sécurité qui revient cher et n’aurait pas autant d’intrépidité », explique Ayman Wahba. Il en a acheté un autre — Rambo, un doberman — posté devant son magasin.

Il semble bien que l’image du chien que l’on retrouve sur les fresques des temples pharaoniques et montrant combien ils étaient importants, retrouve sa place dans la vie quotidienne des Egyptiens. Les nouveaux centres de dressage poussent comme des champignons, des jeunes cherchent à devenir dresseurs, les pages consacrées à ce sujet sur Facebook augmentent tous les jours. Gamal Farid, pharmacien spécialisé dans les produits vétérinaires, affirme qu’il y a deux ans, il ne comptait pas 20 clients par mois. Aujourd’hui, il peut en recevoir 100. Les affaires deviennent donc juteuses, et il se frotte les mains.
Un business florissant
« C’est un commerce qui n’a pas besoin de budget, il suffit d’avoir deux ou trois chiens pour réaliser de gros profits atteignant le taux de 500 % », affirme Mohamad Mechmech, vendeur d’animaux et propriétaire d’un centre d’élevage de chiens. Vendre et acheter les chiens n’est que le maillon d’une grande chaîne. L’intérêt de la population pour les chiens s’est accru et les affaires sont devenues florissantes. Avoir un chien n’est qu’un début. Car ces canidés ont besoin d’être nourris et bien soignés. De plus, le chien doit être vacciné et dressé. En cas de voyage du propriétaire, il faut le laisser dans un lieu adapté. « On a commencé par acheter un terrain vague pour élever les chiens et vendre les chiots. Puis, on a décidé de les dresser. Au fil du temps, on a ouvert un lieu pour apporter des soins, qui s’est transformé en clinique vétérinaire », annonce Mechmech, qui a commencé seul le projet, avant d’être rejoint par trois de ses amis.
Leurs affaires tournent depuis deux ans, et maintenant, ces quatre jeunes importent même des chiens et tous les accessoires indispensables. 28 personnes sont employées dans le centre qui donne des cours à ceux qui veulent dresser des chiens. « J’en reçois un ou deux par mois », confie Mechmech, qui prépare un concours de beauté pour chien. Pour lui, le marché des chiens va encore se développer dans les années à venir.
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