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L'excision en chute libre, enfin

Manar Attiya, Mercredi, 20 novembre 2013

L'excision est en net recul en Haute-Egypte, où une campagne avait été lancée en 1994 par l'Unicef pour mettre fin à cette pratique ancestrale. 50,3 % des filles âgées de 15 à 19 ans ont été excisées en 2010, contre 97 % en 2003. Tournée à Qéna, à 500 km au sud du Caire.

Exision
(Photos : Moustapha Emeira)

L’excision ? C’est abominable, madame. Je n’en dirai pas plus », dit Oum Fatma, en baissant les yeux. Cette femme a un peu honte de parler de sa propre expérience sur l’exci­sion, mais quand on a insisté un peu, elle raconte son histoire : « On m’a coupé le clitoris et les petites lèvres. A chaque accouchement, c’était le calvaire : des douleurs atroces et des déchirures. J’ai même peur d’avoir d’autres enfants car chaque grossesse signifie pour moi d’énormes souffrances. Lors des rapports sexuels avec mon mari, je n’éprouve aucun plaisir », confie Oum Fatma, qui fait partie de ces femmes qui ont été obligées à respecter cette coutume. Mais elle s’est juré de protéger ses filles. Son mari la soutient dans son combat contre l’excision. « Je ne veux pas que mes 6 filles subissent le même sort que moi. Heureusement, leur père fait preuve de com­préhension », note Oum Fatma.

En septembre dernier, une cérémonie a été orga­nisée au village d’Al-Hella, dans le gouvernorat de Qéna (500 km au sud du Caire), pour annoncer la fin de l’excision au village. Les maires et les notables de différents villages ont été conviés à cette fête de même que des personnalités fémi­nines, telles que l’ancienne ministre des Affaires sociales, Mervat Al-Talawi. Il y avait également des cheikhs d’Al-Azhar, des gynécologues, des représentantes de l’Unicef et des responsables du Conseil national de la maternité et de l’enfance.

Le village d’Al-Hella était en lutte contre l’exci­sion depuis 3 ans. Il n’est pas le seul à combattre cette pratique nuisible à la santé de la femme. Plus de 2 000 villages sur 4 000 au sein des 4 gouver­norats de Haute-Egypte (Minya, Assiout, Sohag et Qéna) ont décidé de bannir cette coutume ances­trale. Un projet, lancé en 1994 par l’Unicef en coopération avec le Conseil national de la mater­nité et de l’enfance, le ministère de la Santé et Al-Azhar ainsi que différentes ONG, vise à mettre fin à cette pratique néfaste dans ces 4 gouverno­rats. En Haute-Egypte, comme d’ailleurs dans le reste du pays, des études montrent que la grande majorité des femmes ont subi des mutilations géni­tales. Le projet Halte à l’excision a commencé par les villages de Haute-Egypte, où le taux d’excision est le plus élevé. Sur un échantillon de 14 779 femmes en Haute-Egypte, le taux de celles qui ont été excisées en 1995 a été de 96 % (tranche d’âge comprise entre 15 et 49 ans). D’après la toute der­nière étude du ministère de la Santé, 97 % des femmes ont été excisées en 2003. Mais, il semble que les choses sont en train de changer. En 2010, seules 50,3 % des femmes de Haute-Egypte ont été excisées.

Selon Mona Khitane, responsable au Conseil national de la population, 70 % des habitants ont abandonné l’excision dans 8 villages sur les 22 du gouvernorat de Minya. « C’est le résultat d’une longue lutte de 15 ans contre cette pratique millé­naire », affirme Dr Ahmad Abdel-Hamid, adjoint au ministre de la Santé.

Une approche positive

Exision
En Haute Egypte, la plupart des filles sont excisées entre 3 et 12 ans.

Lors du lancement de la campagne en 1994, les chiffres étaient choquants. Sur 10 femmes, 9 étaient excisées, des musulmanes et des chrétiennes dont l’âge varie entre 15 et 49 ans. Le but du Programme national pour la lutte contre les mutilations génitales féminines (MGF) est de sensibiliser les différentes communautés du point de vue religieux, sanitaire, social et culturel pour faire disparaître cette pratique qui transgresse les droits de la femme. Mais pour réaliser ce défi, les représentants de l’Unicef en Egypte ont adopté une « approche positive » basée sur le fait qu’une femme peut convaincre une autre femme et idem pour les hommes. L’Unicef a demandé l’aide des maires, des chefs des villages, des personnalités religieuses, mais aussi des femmes instruites et même celles qui sont analphabètes car ce sont elles qui excisent ou font exciser leurs filles. Awatef Ramadan est une habitante du village de Manfalout en Haute-Egypte. L’émotion avec laquelle cette enseignante de 45 ans s’est exprimée a fait d’elle une candidate parfaite pour le programme Halte à l’excision. Alors qu’elle avait 6 ans, Awatef a entendu sa soeur hurler de douleur. « Ma soeur aînée, qui avait 11 ans, devait se faire exciser et je faisais partie des femmes de la famille qui assistaient à cet événement. J’ai entendu ma soeur hurler de douleur, et puis nous nous sommes rendu compte qu’elle saignait abondamment. Ma mère a eu peur et s’est mise à crier. Il a fallu transporter ma soeur d’urgence à l’hôpital. Elle a été sauvée de justesse », se souvient Awatef. Cette expérience atroce est restée gravée dans sa mémoire. Quelques années plus tard, ce fut son tour. « C’était la période des vacances scolaires, la période où traditionnellement, les filles se font exciser. La daya (sage-femme du village) est arrivée chez nous et j’ai compris ce qui m’attendait », ajoute-t-elle. Se rappelant les souffrances de sa soeur, Awatef a compris qu’elle ne pouvait se soumettre à un tel destin. Lorsque la daya a voulu s’approcher d’elle, Awatef a préféré s’enfuir. Elle s’est réfugiée chez sa tante, une femme instruite et convaincue de la nécessité de bannir cette pratique.

Le programme de l’Unicef a été mis en place en coopération avec l’Association pour l’enfance et le développement d’Assiout. D’ailleurs, même avant le lancement du programme, Awatef avait réussi à convaincre ses frères et ses soeurs de ne pas imposer l’excision à leurs filles. Depuis qu’elle a terminé ses études, Awatef parle des MGF avec les élèves de l’école secondaire où elle enseigne. Elle se rend également à domicile pour rencontrer les membres de leurs familles et tenter de leur faire changer d’avis sur cette pratique. Son succès est tel que certains de ses élèves ont monté une pièce de théâtre intitulée Non aux MGF, qui a été jouée devant un large public à Manfalout. C’est l’histoire d’une jeune fille qui refuse de se soumettre à l’excision et essaie de convaincre ses parents de ne pas lui imposer une telle pratique douloureuse.

3 formes d'excision

En Haute-Egypte, les filles entre 3 et 12 ans doivent être excisées. Il existe 3 formes de mutilations : La première est la plus simple, nommée la clitoridectomie. Elle consiste en l’ablation partielle de la partie externe du clitoris. La deuxième s’appelle également clitoridectomie, mais elle est accompagnée de la suture des petites lèvres. Quant à la troisième forme nommée l’excision « soudanaise » ou « pharaonique », elle consiste à couper les petites et les grandes lèvres. Et cette forme est la plus horrible. « Même si on appelle cette dernière la méthode pharaonique, les études ont montré qu’aucun cas d’excision n’a été enregistré à l’époque des pharaons. Seuls les garçons étaient circoncis (ablation du prépuce). Les femmes sont convaincues que le fait d’exciser leurs filles est plus hygiénique alors que c’est le contraire : Si la fille est excisée, cette partie du corps est toujours souillée soit par le flux menstruel ou l’urine », explique Olfat Gad, présidente du projet Non à l’excision au gouvernorat de Qéna et ancien membre de l’ONG Feda.

Jadis, c’était par groupe de 10 ou de 15 qu’on emmenait les filles âgées de 3 ans à 12 ans dans une maison et l’une après l’autre, elles devaient se soumettre à cette pratique. L’excision a lieu généralement en été. Parure de fête et de tatouage au henné, la fille est préparée à cet événement comme pour se rendre à un bal. Et elle ne savait pas ce qui l’attendait. Si l’excision est pratiquée par une sage-femme, elle subissait la dernière forme la plus barbare, soit l’excision soudanaise ou pharaonique. Mais si elle est excisée par un gynécologue, il appliquait la première ou la deuxième forme. Cette coutume traditionnelle se transmet de génération à génération en Haute-Egypte. « Beaucoup de parents pensent que l’excision est essentielle pour préserver la réputation de leurs filles. D’ailleurs, si les filles ne sont pas excisées, elles ne trouvent pas de maris. Et une mère digne de ce nom ne souhaiterait pas cela à ses filles. En fait pour les villageois de la Haute-Egypte, l’excision permet de préserver la chasteté de la jeune fille, elle réduit ses pulsions sexuelles, de façon à assurer sa virginité jusqu’au moment de son mariage », ajoute Olfat Gad.

En fait, les parents en Haute-Egypte sont conscients qu’aucun homme n’accepterait d’épouser une fille non excisée. La raison est simple. Tout le monde se moquerait de lui. « C’est la raison pour laquelle les membres du projet de l’Unicef ont insisté sur le fait de travailler sur 4 villages en même temps. On a commencé par les professeurs des écoles car ce sont elles qui pouvaient convaincre les filles et leurs parents, et leur faire comprendre que c’est mauvais pour la santé. On a discuté avec les femmes dans les marchés et les filles, les plus concernées … », confie Manal Fawzi, native d’Assiout, et qui travaille avec l’Unicef depuis 1994. Des séminaires, des ateliers, des comités de protection des enfants ont été créés dans les villages de Haute-Egypte, pour sensibiliser la population. L’Unicef et le Conseil national de la maternité et de l’enfance parlent des effets néfastes de cette pratique depuis 1994. Les parents commencent à réaliser ce que risquent leurs filles. « Quand j’ai assisté aux différents ateliers, j’ai compris ce que mes deux filles ont subi : ma fille aînée pleurait, elle avait perdu beaucoup de sang, elle avait aussi perdu connaissance. Tandis que la cadette avait fait une rétention urinaire dont j’ignorais les causes », se souvient Oum Afrah, 35 ans, analphabète et habitant du village d’Al-Kom Al-Ahmar, situé à Farchout, à 80 km de Qéna. Oum Afrah a pris la décision de ne pas exciser ses deux autres filles, âgées respectivement de 3 et 5 ans. « Mon mari m’a dit de suivre les conseils des gynécologues », ajoute-t-elle avec satisfaction.

Au début du projet, le personnel de l’Unicef et les membres des ONG ont rencontré beaucoup de problèmes. « Les habitants nous reprochaient d’être venus des Etats-Unis pour entraîner leurs filles à la dérive et d’être payés pour cet objectif. Les hommes du village de Naghamish, situé à 60 km de Sohag, ont tiré sur nous pour nous intimider et nous empêcher de revenir », raconte l’un du personnel de l’Unicef.

Dans les villages de Haute-Egypte, la tradition et les pressions sociales sont si fortes que les familles acceptent de faire exciser leurs filles tout en sachant les effets néfastes de cette pratique.

Aujourd’hui pourtant, les femmes au foyer, analphabètes ou instruites, répètent ce que les gynécologues ont dit à propos des effets néfastes. « Il y a des risques d’hémorragie pendant l’opération, des cystites à répétition plus tard, risque de déchirure lors de l’accouchement ou de douleur inévitable lors des rapports sexuels avec le mari sans compter les effets psychologiques, tels que les cauchemars et l’anxiété », cite Fakiha, qui essaie de se rappeler les discours des spécialistes en faisant la comparaison entre ce qui passe autour d’elle et ce qu’elle entend au sein de l’ONG.

Et ce n’est pas tout. Les femmes de Haute-Egypte commencent à comprendre que le divorce, les disputes et les problèmes de couple sont les conséquences de cette pratique. « Je n’ai jamais pu avoir de rapports normaux avec mon mari. Je n’ai jamais eu envie de faire l’amour, et je ne ressens aucun plaisir à coucher avec lui », explique Oum Mina, excisée à deux reprises parce qu’il restait un petit bout à inciser. Traumatisée, Oum Mina a décidé, en accord avec son époux, de ne pas faire exciser ses 3 filles.

Azza Kamal, présidente du projet Halte à l’excision à Sohag, mobilise les chefs religieux chrétiens et musulmans pour convaincre les villageois de mettre fin à cette pratique. « Je dis aux gens que s’ils aiment réellement leurs filles, ils doivent prendre soin d’elles et veiller à ce qu’elles reçoivent une bonne éducation. C’est bien mieux pour elles et pour leurs futurs maris que l’excision », dit Azza Kamal avec assurance.

En fait, c’est bien la première fois que les habitants de Haute-Egypte parlent aussi ouvertement. « Le but de ces campagnes de sensibilisation était de casser les barrières du silence et de parler d’un sujet extrêmement sensible et tabou pour les femmes », affirme Nevine Saad, habitante de Minya, et qui travaille avec l’Unicef depuis 1997. « Avant le lancement de ces campagnes de sensibilisation, les villageoises elles-mêmes étaient conscientes de leurs problèmes de santé et de couple dus à l’excision, mais elles étaient obligées de suivre cette coutume ancestrale que leurs mères et grands-mères avaient subie », ajoute Nevine avec fierté

Les responsables de la campagne anti-excision se sont fait des frayeurs sous le président déchu, Mohamad Morsi, lorsqu’un député salafiste du parti Al-Nour, Nasser Chaker, a dit en mai 2012 que l’excision est « une pratique islamique ». Des rumeurs ont circulé dans toute l’Egypte, surtout dans les villages de Haute-Egypte, affirmant qu’un bus du Parti Liberté et justice allait se rendre dans les villages pour pratiquer des excisions « médicalisées ».

Aujourd’hui, les campagnes anti-excisions se poursuivent. Des séminaires religieux sont organisés en présence du cheikh Mohamad Wessam, directeur du département des fatwas à Dar Al-Iftaä. « Il n’existe aucun hadith ou sourate qui encourage les gens à faire exciser leurs filles », dit-il. Et cela apparaît très clairement dans la sourate Al-Tine, verset 4 : « Nous avons certes créé l’homme dans la forme la plus parfaite ». Cela veut dire que chaque organe du corps humain a ses fonctions et que donc on n’a pas le droit de transformer la création de Dieu.

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