64 % des femmes disent avoir être victimes de harcèlement dans la rue.
D’après Abir Zayed, secrétaire, «
Ce sont les formes du corps de la femme qui attirent les regards des hommes ». En sortant de chez elle, cette jeune femme de 35 ans, non-voilée, dissimule donc ses rondeurs sous une longue écharpe pour ne pas être harcelée par les hommes. Alors que 64 % des femmes disent avoir été victimes de harcèlement dans la rue, selon les chiffres du bureau des plaintes au Conseil national de la femme, l’Egypte réalise un triste record : elle occupe la deuxième place au niveau mondial, après l’Afghanistan, pour ce type de violations de droits de femme. Circuler dans la rue est devenu un calvaire pour la population féminine. Selon un rapport publié par
Amnesty International, les gouvernements qui se sont succédé en Egypte n’ont pas mis fin à la violence, dont est l’objet la femme dans la rue.
Les cas d’agressions s’accumulent, notamment pendant les événements politiques. De nombreuses femmes, harcelées pendant les manifestations contre la Déclaration constitutionnelle de 2012 et lors du deuxième anniversaire de la révolution en janvier 2013, ont porté plainte devant le procureur général. Mais aucune suite n’a été donnée. D’après un avocat qui travaille pour Amnesty, « Pendant la période de transition, d’autres priorités sont considérées comme plus urgentes ». Négligé, le fléau a pris de l’ampleur. L’initiative Choft Taharroch, lancée par des ONG pour lutter contre la violence envers les femmes dans la rue, a enregistré 46 cas de harcèlement sur la place Tahrir lors des manifestations du 30 juin dernier. D’autres cas d’agressions ont aussi été recensés devant le palais présidentiel à Al-Ittihadiya.
« Les partis politiques se contentent de faire des déclarations dans le vide, condamnent les faits, mais n’ont jamais réussi à garantir la sécurité des femmes pendant les événements politiques. Ils veulent séduire l’opinion publique mondiale, mais personne n’agit sur terrain », explique Dina Al-Dahawi, chercheuse spécialisée dans le domaine. Il arrive même que le harcèlement expose les femmes à des dangers qui mettent en péril leur vie. A Tanta par exemple, une étudiante est décédée parce qu’elle cherchait à s’opposer à un harceleur, un chauffeur d’un camion qui l’a renversée avec son véhicule.
Nouvelle génération macho
Les harceleurs sont de plus en plus jeunes. Une vidéo, diffusée sur Youtube par le quotidien Al-Youm Al-Sabie, montrait récemment une jeune fille donnant un coup de pied à un garçon beaucoup plus jeune qu’elle, qui la harcelait. Mais celui-ci s’est relevé et a continué à lui tripoter les fesses. Cette vidéo a choqué l’opinion et a créé une vive polémique. Les chiffres de l’initiative HarassMap, qui tente de dresser une carte géographique du harcèlement, sont éloquents : 39 % des plaintes adressées l’année dernière au Conseil national de la femme mettent en cause des enfants. « Cela veut dire que la nouvelle génération reçoit une éducation qui soutient le machisme », déplore Ibaa Al-Tamimi, responsable de HarassMap.
Pour justifier les agressions, tous les prétextes sont bons. « Tantôt les femmes sont attaquées parce qu’elles ne sont pas voilées, tantôt parce qu’elles portent le niqab, ou parce qu’elles sont blondes et donc étrangères, et ainsi de suite », analyse Mozn Hassan, directrice de l’association Nazra pour les études féministes. « Certains pays ont même averti leurs ressortissantes des risques qu’elles peuvent courir en marchant dans les rues d’Egypte », ajoute Ibaa Al-Tamimi.
La gravité et la croissance des actes de harcèlement ont poussé la société civile à agir. Plusieurs ONG ont formé des coalitions pour défendre les femmes dans la rue, comme Tahrir Body Guard, qui reçoit des appels et se déplace pour secourir les victimes. Leurs militants, parfois des hommes, prennent des risques pour protéger les femmes des agressions. Nadim et Mohamad Yasser, membres de la campagne Harceler ceux qui harcèlent les femmes, ont été battus en voulant affronter des agresseurs dans la station de métro Ataba, au Caire. Lorsqu’ils sont allés porter plainte au commissariat, la police a refusé de dresser un procès-verbal.
Car les pouvoirs publics tardent à prendre la mesure de la situation et à agir. Certes, le ministère de l’Intérieur vient de nommer une équipe de policières pour prendre en charge les affaires d’agressions contre des femmes. Un projet de loi, présenté par le Conseil national de la femme, entend aussi mettre fin aux discriminations contre la population féminine. Mais ces mesures ne sont que le timide début d’un processus qui nécessite bien davantage, notamment des plans de sensibilisation et d’éducation de la population.
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