Le marché du samedi ou le marché de Diana, peu importe le nom, c’est le plus connu et le grand marché aux puces du Caire. Situé au centre-ville, juste derrière le cinéma Diana, précisément rue Emadeddine, ce marché ouvre le samedi. Dès l’aube, et avant d’accueillir les clients, les vendeurs commencent à exposer leurs vieux objets de différentes manières : par terre, sur des bâches en plastique, sur des étalages, sur les capots, à l’intérieur des coffres de leur voiture ou dans une valise. Certains préfèrent s’attabler dans l’un des nombreux cafés cernant l’endroit et qui se mettent à disposition du marché ce jour-là. Une rue principale et quelques ruelles aux alentours sont assaillies par des marchands qui vendent toutes sortes d’objets, tout ce qu’on peut imaginer, comme on dit, de l’aiguille au missile. Des centaines de visiteurs attendent le samedi pour se rendre à ce souk qui ressemble à un musée à ciel ouvert, et ce, pour chiner quelque chose à emporter ou simplement pour le plaisir de voir des objets anciens, connaître leurs histoires, à qui ils avaient appartenu, d’où ils proviennent et les événements dont ils ont été témoins.
Dans la rue principale, c’est un pêle-mêle d’objets d’occasion ou d’antiquités. Des ustensiles de cuisine ou des appareils seconde main, parfois pas très anciens ou neufs, mais qui ne sont plus en vente dans les magasins. Il est possible également de trouver les pièces nécessaires pour réparer les appareils ménagers, cuves de lave-linge, hélices de ventilateur, prises électriques, différents outillages, etc.
Chez l’un de ces marchands qui a étalé ses objets à vendre sur une grande bâche en plastique, Ramy a retiré ses chaussures. Assis sur ses genoux parmi ce bric-à-brac, il cherche l’objet qui l’intéresse. Agé de 32 ans, il éprouve une passion obsessive pour les jeux vidéo des années 1980. Ce sont les premières générations de consoles de jeux qui l’intéressent. Il vient tout le temps chercher des pièces qu’il collectionne et expose dans une grande vitrine chez lui. « C’est comme une collection de timbres exposée dans un album », dit Ramy.

Ici, on trouve des articles qui datent de plus de 100 ans. (Photo : Moustafa Emeira)
Pour le plaisir de la balade
Une clientèle variée. Des photographes, des cinéastes et des metteurs en scène de théâtre qui ont besoin de compléter des décors qui répondent à une exigence de fidélité historique. De jeunes mariés qui cherchent un objet décoratif classique à ajouter à leur intérieur. Ou encore des marchands qui viennent acheter des objets antiques pour les revendre ailleurs. Et il y a même des gens qui se promènent dans le souk sans rien acheter. Ils se contentent de se mêler à la cohue pour le plaisir de découvrir des objets hétéroclites. « Ici, on trouve des articles qui datent de plus de 100 ans. Mais il faut faire très attention, car on peut facilement être dupé par les marchands qui ne sont pas tous honnêtes », dit Raouf Hanna, banquier, qui a hérité de son père cette passion de collectionner les objets anciens.
Une certaine nostalgie règne, rappelant l’époque où le rythme de vie était lent et pondéré. Rien à voir avec le rythme effréné que nous vivons aujourd’hui. Et c’est ce qui pousse Nader à passer sa journée de congé dans ce marché où il se rend trois à quatre fois par an. « Le temps que je passe ici est celui que je préfère. Cela me permet de me relaxer, me libérer de l’addiction aux nouvelles technologies. Je chine les objets qui me plaisent, et je peux revenir plus tard pour les revendre et en acheter d’autres ».
Dans un coin en retrait, David vient de garer sa voiture, il ouvre le coffre de son véhicule qui lui sert de vitrine d’exposition pour une partie des objets qu’il met en vente. Le reste est posé à même le trottoir. Sa spécialité : les vieilles statues et les chandeliers. Mais il vend aussi des objets d’art que lui-même a fabriqués en imitant des pièces authentiques. La différence est claire et chaque client choisit ce qu’il veut. David, lui-même, a découvert ce souk en tant qu’artiste. Devenu collectionneur de pièces antiques, il vient vendre les pièces dont il veut se débarrasser et profite en même temps pour exposer son propre travail.
Une vraie caverne de Ali Baba
Plus on avance, et plus on découvre d’autres articles : des tapis, des accessoires, des assiettes, des services de table, des instruments de musique, des pierres précieuses, des livres, des bouteilles en verre, des montres, bref, des objets qu’on ne peut imaginer et dont la présence surprend le visiteur. On pourrait appeler ça la caverne de Ali Baba. Les boîtes de « nouchouë », en sont l’exemple. Ce sont de petites boîtes dans lesquelles on mettait une sorte de poudre de tabac. Les hommes glissaient ces boîtes dans une petite poche à l’intérieur de leurs vestes. Et les femmes les mettaient dans leurs sacs. De temps en temps, la personne sortait cette boîte dont la dimension ne dépassait pas les quelques centimètres et l’ouvrait pour aspirer le tabac par le nez. Dans un café, Salama expose une dizaine de ces boîtes sur une table. Elles sont en argent massif, en or, en cuivre, ornées de roses multicolores en porcelaine ou enrichies de dessins gravés. Et toutes portent la date de fabrication et le pays d’origine. « Les plus anciennes sont les plus chères », dit Salama, tout en faisant sortir de sa sacoche, qu’il porte autour du cou, une boîte sur laquelle est inscrit Made in England, 1925, mais il a refusé de nous donner son prix.

(Photo : Moustafa Emeira)
Trouver la perle rare
Dans ce même café, il y a d’autres marchands qui exposent sur les tables toutes sortes de pièces de monnaie : une pièce de 50 piastres se vend à un prix qui varie entre 40 et 200 L.E. D’autres encore exposent des billets de métro : celui qui valait 5 piastres dans les années 1970 coûte aujourd’hui 25 L.E., et c’est juste pour le garder en souvenir. Une autre marchandise très convoitée, celle des anciens documents comme les contrats. Mahmoud explique en montrant un contrat d’achat d’une maison qu’il manipule délicatement et sur lequel toutes les informations sont portées en français. Ce document date de l’année 1938. « Ici, les objets ressemblent à ceux des salles de vente aux enchères, mais ils sont moins chers, plus variés mais c’est surtout l’atmosphère qui est particulière », dit Samia, qui vient pour chercher des portraits de personnages datant de l’époque royale pour les utiliser dans le décor d’une maison dont elle fait le design. Elle ne peut trouver ce genre d’objets dans les grandes salles d’antiquités, excepté dans le souk de Sayéda Aïcha où les prix sont moins chers, mais c’est un marché populaire, où elle ne se sent pas à l’aise. Selon Hossam, vendeur qui a commencé à exercer le métier par hasard à l’âge de 15 ans, les amis de son père lui ont demandé de vendre des objets qu’ils avaient collectionnés. « Mon métier ressemble à une aventure intéressante donnant lieu à des surprises. Les objets les plus précieux sur lesquels je suis tombé au fil des 15 dernières années sont une radio fabriquée pendant la Seconde Guerre mondiale, et un masque asiatique en bois », dit Hossam. Ce dernier et les autres vendeurs ramènent leurs marchandises de plusieurs endroits, y compris les marchés, les salles de vente aux enchères, les vendeurs de robabikiya (objets usés) et les vieilles maisons dont les propriétaires vendent les vieux objets à des prix très bas, lesquels peuvent atteindre une augmentation record lorsqu’ils sont proposés à la vente sur le marché des antiquités. « Les prix sont fixés par nous-mêmes », dit Hossam, en affirmant que tous les objets se vendent bien et toutes les marchandises s’écoulent. Et c’est pourquoi chaque visite dans ce marché ressemble à la première, avec toujours autant de surprises et cette curiosité à découvrir de nouveaux objets qui provoquent un plaisir renouvelé.
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