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Une journée d’évasion au bord de la mer

Chahinaz Gheith , Mercredi, 10 août 2022

Partir en vacances au bord de la mer le temps d’une journée séduit beaucoup d’Egyptiens qui ne peuvent s’offrir de longs séjours, faute de moyens ou de temps.

Une journée d’évasion au bord de la mer
L’affluence est grande sur les plages d’Alexandrie, la perle de la Méditerranée.

Plage Nakhil à Ras Al-Barr, un certain vendredi, vers midi. Parasols, transats… étaient tous réservés. Des familles affluaient en grand nombre pour passer la journée au bord de la mer. Il faisait chaud et les quelques brises qui soufflaient par à-coups n’arrivaient pas à adoucir les rayons du soleil qui annonçaient déjà une journée torride. Pourtant, l’ambiance était détendue. Profiter au maximum est le seul mot d’ordre à la plage. Assis au bord de l’eau, les pieds dans le sable chaud, Tareq Mostafa se dépayse comme il peut. « Après deux ans de Covid, c’est vrai que pouvoir s’échapper est agréable. C’est la liberté pour les enfants. Ils goûtent aux joies de la mer, font des châteaux de sable, c’est merveilleux », lance ce fonctionnaire, originaire de la ville de Mansoura, dans le Delta du Nil, et père de trois enfants.

N’ayant pas les moyens de partir en vacances pour une semaine en louant un petit chalet dans une station balnéaire dont les prix ont flambé, il a opté pour une évasion au bord de la mer, ne serait-ce que pour une seule journée. En fait, cela fait une dizaine d’années que la société où il travaille organise, tout au long de l’été, des journées dans des villes côtières pour ses employés. C’est par souci de solidarité, d’entraide et pour permettre à tout le monde de partir en vacances que ces journées sont organisées en vue de s’évader au bord de la Méditerranée, à Alexandrie, Baltim, Ras Al-Barr, Gamassa, ou à la mer Rouge, à Aïn Al-Sokhna, Ras Sedr, etc. contre une contribution modique qui ne dépasse pas les 300 L.E. par personne.

C’est un vrai moment de détente, de rencontres et d’émotions pour ces familles venues de différents gouvernorats tels que Damiette, Port-Saïd, Mansoura ou Banha. Les déplacements se déroulaient dans une ambiance conviviale, de chansons et de danses de la part des enfants et des jeunes heureux de vivre une journée exceptionnelle. Les femmes préparaient des victuailles, des plats délicieux et des desserts qui sont savourés au bord de la mer.


Des estivants d’un seul jour, avides de prendre un grand bol d’air et de s’amuser au maximum.

Mais une journée, ce n’est pas un peu court ? « On ne part pas loin, pas longtemps, mais l’objectif est de leur faire plaisir et de voir les sourires sur les visages de ces familles qui, au quotidien, vivent des moments difficiles. Cette journée, les enfants la vivent, la racontent et s’en souviennent », se réjouit Adel Sabet, directeur dans une société. Et d’ajouter: « Dans un monde où l’individualisme est devenu le maître mot et où toutes les formes d’exclusion semblent se développer, proposer à des familles modestes de vivre un jour de vacances comme les autres s’avère indispensable afin de leur procurer une once de bonheur auquel ils ont droit ».

Des vacances pour tous

En effet, dès que l’été pointe son nez, la majorité des familles égyptiennes se rue vers la mer pour retrouver un peu de fraîcheur. Chacun selon son plan, et bien évidemment, selon son budget. Or, si les plus chanceux sont déjà fixés sur la destination pour aller recharger leurs batteries, pour un séjour plus ou moins long aux stations balnéaires grâce à leur situation financière aisée qui leur permet ce privilège, ce n’est pas le cas pour d’autres qui ne trouvent, pour rompre « le train-train quotidien », que de réserver une journée au bord de la mer. Autrement dit, les Egyptiens ne renoncent jamais à se trouver une place au bord de la mer, et ce, parfois au prix de concessions et de sacrifices.


Grâce à la rampe d’accès inclinée, les enfants handicapés peuvent rouler aisément sans s’embourber dans le sable. (Photo : Ahmad Abdel-Kérim)

Selon une étude faite par le parlementaire Hisham Emara, les Egyptiens paient chaque année de 12 à 15 milliards de L.E. dans les stations balnéaires. Ils font des économies pendant les 12 mois de l’année pour pouvoir se divertir pendant une semaine. La sociologue Samia Saleh pense que de tout temps, les vacances ont été un marqueur social. Quand les prix grimpent, le budget des vacances risque forcément d’écoper. Aujourd’hui, l’expression « al-massiaf », ou vacances au bord de la mer, tend à disparaître du vocabulaire d’un bon nombre d’individus en raison de la hausse des prix de séjour et des locations dans les villes côtières et les stations balnéaires. Nombreux sont ceux qui sont obligés de rogner sur les petits plaisirs et les loisirs. « Trop souvent encore, on considère que les plus défavorisés ont bien d’autres priorités, le logement, la santé, l’éducation des enfants, et que partir en vacances est, pour eux, superflu. Or, partir en vacances n’est pas un luxe, c’est une nécessité. Les vacances sont une occasion de se reconstruire pour ces personnes fragilisées par la vie », confirme-t-elle. Un avis partagé par le psychologue Mohamed Yasser qui estime que dans cette période anxiogène, les vacances sont nécessaires. « Les vacances en famille sont importantes, car elles permettent non seulement de décompresser et d’oublier les soucis du travail, mais surtout pour les enfants de retrouver des parents plus détendus. Elles réduisent le stress de toute la famille, augmentent la productivité et sont aussi idéales pour renouer des liens familiaux, même si c’est pour de courts séjours ou une journée ».

Un plaisir pour les enfants oubliés des vacances

Autre scène, autre image. A Alexandrie, les cris et les rires fusent sur la plage de Mandara. Une trentaine d’enfants entre 6 et 12 ans souffrant de handicap ou à mobilité réduite y sont accueillis le temps d’une journée pour profiter de la mer. Certains d’entre eux voyaient la mer pour la première fois. « Cette journée est une libération et un soulagement très profond pour ces enfants vivant dans les orphelinats et les associations de rééducation des handicapés. Aujourd’hui, goûter aux joies de la baignade en mer n’est plus un privilège pour ces oubliés des vacances. Cette handiplage est équipée d’une rampe d’accès, une passerelle qui va jusqu’à la mer, de fauteuils roulants et de tiralos (transats roulants avec des accoudoirs flottants, capables de rouler sur le sable et d’entrer dans l’eau », souligne Azza Al-Masri, responsable de l’ONG Baraem Al-Ganna (bourgeons du paradis), tout en ajoutant que pour la deuxième année consécutive, l’association accompagne ces enfants à cette handiplage.


Avec le coût élevé des locations, les vacanciers d’un seul jour se rendent sur les plages bon marché telles que Baltim, Ras Al-Barr ou Gamassa.

Entre avalanches de sourires et éclaboussures, les enfants sont ravis, radieux, épanouis et veulent profiter au maximum. « J’avais jamais vu la mer, c’est mieux qu’un rêve », lance Jana, 7 ans, dont les yeux pétillent derrière les gouttes d’eau salée. Une fois arrivée à la plage, cette fille, atteinte de paralysie cérébrale, pleure de joie. « C’est la première fois de ma vie que je pique la tête dans l’eau. C’est la meilleure sensation au monde», poursuit-elle.

Pour faire durer la journée toute l’année, Samia, une mère alternative, sillonne la plage avec son appareil photo. « C’est symbolique, c’est pour repartir avec un souvenir, une photo », sourit-elle. « De leur séjour au bord de la mer, ces enfants gardent précieusement dans leur chambre quelques coquillages glanés sur la plage. En les contemplant, ils repensent souvent à ce voyage inoubliable. Un souvenir marquant. Cette journée est pour ces enfants comme une parenthèse dans une bulle enchantée, dans un quotidien pas toujours rose ».

Besoin d’une pause-fraîcheur

Cependant, s’enfuir le temps d’une journée est aussi une aubaine pour plusieurs qui n’ont pas le temps de partir pour de longues vacances. Tel est le cas de Haytham Mohamed, gynécologue, qui s’est habitué à opter pour le day use, soit en famille ou en groupe d’amis, afin de changer d’air, casser la routine et aussi découvrir d’autres paysages. Il jette volontiers son dévolu sur Fayoum, Aïn Al-Sokhna, Ismaïliya, etc., des destinations favorites qui ne sont pas trop loin du Caire.

« Quand j’ai la possibilité de m’échapper, j’y vais. J’aime me prélasser près de la piscine, tandis que mes deux fils y pataugent. Ils sont tout le temps en sécurité. Nous avons le temps et le coin est merveilleux. Eaux bleues, sans trop de monde. Bref, nous sommes tous satisfaits. Tout est compris, les repas, les boissons et les activités de la plage. Nous jouissons de tous les services d’hôtellerie et nous sommes servis comme des rois », se réjouit le quinquagénaire, un jus frais à la main au bord de la piscine. « Des journées comme celles-là permettent un rapprochement quand tu travailles toute l’année, un resserrement de la famille. J’aime bien ces moments et ce sont les seuls que je choisis », conclut Haytham.

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