Vendredi, 29 mars 2024
Al-Ahram Hebdo > Au quotidien >

Le business de l’au-delà

Hanaa Al-Mekkawi , Mercredi, 01 juin 2022

Inexistantes il y a à peine quelques années, les entreprises de pompes funèbres ont fait leur entrée en Egypte, au grand dam des hanoutis traditionnels.

Le business de l’au-delà

Une fois que l’agent reçoit le fameux appel de la part de la famille du défunt, il commence à agir. Après avoir recueilli les informations nécessaires, il communique avec les membres de l’équipe et les partage avec eux. Chacun d’eux sait exactement ce qu’il doit faire. Chacun a une tâche précise. Pour commencer, un membre de l’équipe se rend immédiatement au domicile du défunt pour faire le suivi avec sa famille.

«  La perte d’un proche est l’un des moments les plus difficiles que l’on puisse traverser. Notre travail consiste à fournir tous les services nécessaires à la famille du défunt, en l’assistant dans tous les petits détails afin que ces moments douloureux passent le plus aisément possible », dit Ahmad Gaballah, chef d’une entreprise de pompes funèbres, la première du genre, créée il y a deux ans.

Le concept d’une entreprise de pompes funèbres, quoique connu depuis toujours dans de nombreux pays, est plutôt nouveau pour les Egyptiens. D’ordinaire, les Egyptiens ont recours au « hanouti », c’est-à-dire la personne en charge, seule, avec un assistant ou avec un des membres de la famille, des obsèques et du lavage mortuaire à l’enterrement. Pendant ce temps, un des proches prend en charge la paperasse, alors que d’autres s’occupent de la préparation du cimetière. « Nous sommes la nouvelle version du hanouti, tous les services compris », dit Gaballah.

De A à Z

Ce dernier, qui a fait des études de business et d’informatique à l’Université américaine du Caire, a décidé de révolutionner le métier de « hanouti ». Le déclic, il l’a eu il y a une dizaine d’années, suite au décès du père d’un de ses amis. Le jour des obsèques, son ami a raté l’enterrement de son père: il est arrivé en retard après avoir suivi, par erreur, une autre voiture pour le transport des morts que celle où son défunt père était. « Ça m’a tellement touché que je ne voulais plus assister à des obsèques », se rappelle Gaballah. Plus tard, il a assisté à des funérailles à l’étranger et, notant la différence, il décide de fonder en Egypte une entreprise de pompes funèbres. L’objectif est d’honorer le défunt, d’éviter aux proches les petits détails et les procédures pour leur faciliter cette expérience pénible et douloureuse et de leur apporter un maximum de réconfort.


Une allure moderne qui efface l’image traditionnelle du « hanouti  ».

Il s’agit aussi et surtout de s’occuper de tout, de A à Z. De la paperasse (certificat de décès et autorisation d’inhumation) à la préparation du cimetière, l’enterrement et aux funérailles en passant par le lavage mortuaire et la personne qui s’en occupe, ainsi que la procuration du linceul et du véhicule qui transporte le mort jusqu’à sa dernière demeure. « On présente aussi tout autre service qui aide la famille du défunt à se sentir à l’aise et satisfaite de la manière avec laquelle le mort a été honoré », dit Gaballah, en affirmant que le coût est calculé et connu à l’avance en fonction des services requis et se situe entre 4000 et 11000 L.E.

Ce coût est variable. Dans d’autres entreprises, il varie entre 2000 et 6000 L.E. Car, même dans ce genre de services, il y a le luxueux et le moins luxueux en fonction de la catégorie sociale à laquelle on s’adresse.


Certaines familles ont des exigences particulières pour les funérailles de leurs proches.

Des contents et des moins contents

Selon Mahmoud Al-Khouli, propriétaire d’une autre entreprise de pompes funèbres depuis 2015, les « hanoutis » traditionnels voient d’un mauvais oeil ces nouveaux concurrents au style différent. Mais chacun a ses propres arguments. Al-Khouli, qui a de nombreux voisins hanoutis, dit qu’il a témoigné « de nombreux abus de la part des hanoutis, que ce soit envers les clients ou envers les apprentis ». C’est pourquoi, dit-il, il a décidé de fonder son propre business dans ce domaine pourtant peu prisé. Les hanoutis, eux, fustigent ces jeunes imposteurs qui ne savent rien de ce métier qui se transmet de père en fils. « C’est un métier très délicat qui a ses propres secrets, et c’est une expérience que l’on acquière avec la pratique et non pas par des études. Comment ces jeunes qui n’ont aucune expérience osent-ils se lancer dans ce métier?! », s’insurge Gamal Tolba, 74 ans, hanouti depuis plus d’un demi-siècle.


Le personnel suit plusieurs formations telles que le programme d’éducation avancée en services funéraires, la formation en gestion de l’épidémiologie et le programme avancé de réadaptation funéraire des corps.

Quant aux concernés, ils sont partagés: s’ils s’accordent à dire que le service offert par ces entreprises leur épargne bien des casse-tête, certains estiment qu’ils sont trop chers et qu’il y a un peu de « show ». « Ils étaient là, partout, s’occupaient de tout sans se faire sentir. On voit leurs services, mais le personnel, lui, c’est comme s’il était invisible », raconte Leïla, qui a fait appel à une entreprise de pompes funèbres lors du décès de son père. « Ils font leur travail très bien et pensent à tous les détails, il n’y a rien à dire, mais c’est un peu cher, et je n’ai pas aimé l’idée d’une classification sociale même au moment de la mort, par exemple, le prix diffère en fonction de la marque du véhicule qui transporte le mort », estime de son côté Mona.

Rituels et sacralité

En fait, la mort et ses rituels ont toujours été d’une grande importance pour les Egyptiens depuis l’époque des pharaons jusqu’à nos jours. Certains rites, toujours présents lors des cérémonies funéraires, sont des héritages anciens, d’autres, comme le recours aux pleureuses, ont quasiment disparu du fait de l’influence de la religion. Mais il y a toujours eu une intimité, un respect et une particularité vis-à-vis de tout ce qui entoure la mort.

Loin de l’image traditionnelle du « hanouti » portant une djellaba, tantôt teintée de comique dans les films, tantôt synonyme de porte-malheur, les nouveaux employés des entreprises de pompes funèbres ont une allure complètement différente: des jeunes des deux sexes d’horizons divers, mais universitaires et modernes. Asmaa, licenciée en droit et hôtesse de l’air de 26 ans, s’est lancée dans cette aventure sans quitter son emploi. « Au début, on est un peu réticent, approcher un mort, voir la douleur de sa famille, ce n’est pas évident ». Asmaa fait partie d’une équipe de 78 personnes d’une entreprise de pompes funèbres qui a présenté ses services à plus de 3000 cas en deux ans. Diplômés de droit, de sciences politiques ou autres, tous assistent à des stages de formation, notamment pour ce qui est du côté religieux, avant d’être recrutés, comme l’affirme Gaballah.

Ce dernier ne compte pas s’arrêter là. Il entend élargir son activité pour permettre à ceux qui le désirent de conclure un contrat avec sa compagnie pour l’organisation de leurs propres funérailles.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique