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S’émanciper par le travail

Dina Bakr, Mardi, 30 novembre 2021

Une initiative lancée en 2018 pour aider les toxicomanes à rompre avec leur passé, en ayant recours à l’ergothérapie, a permis à de nombreuses personnes de retrouver une vie normale. Focus.

S’émanciper par le travail

Parcourir plus de 1000 kilomètres en une seule journée pour se rendre à la Côte-Nord ou au sud de l’Egypte et revenir, afin de se procurer de la drogue, était une habitude pour Ramadan Hussein, 42 ans, ancien toxicomane. Peu importe le temps du trajet, l’important pour lui était de se procurer la dose de produits stupéfiants qui lui donnait ce plaisir éphémère. Il dépensait tout son argent pour la drogue.

« Je suis tombé dans ce cercle vicieux, tout mon argent servait à payer le transport et la drogue », raconte Ramadan, qui exerçait le métier de coiffeur. Il se déplaçait d’un salon de coiffure à l’autre pour essayer de gagner plus d’argent, et il a été congédié plus d’une fois parce que son attitude au travail était suspicieuse. La mort d’un ami devant ses yeux d’une overdose a mis un terme à son addiction à la drogue.

« La peur de la mort a glacé le sang dans mes veines. En quelques secondes, j’ai vu toute ma vie défiler devant mes yeux et ces regards inquiets et méfiants qui étaient portés sur moi. J’ai été mis à l’écart par ma famille pendant 22 ans, à cause de la drogue », poursuit-il.

Nouveau départ

S’émanciper par le travail
L’ergothérapie aide à retrouver la confiance en soi et l’estime de soi.

Ramadan a profité d’une initiative du Fonds de lutte contre la toxicomanie, intitulée Bédaya Guédida (nouveau début) qui consiste à accorder des crédits aux anciens toxicomanes (fournis par la Banque Nasser), à condition qu’ils suivent des cures de désintoxication, montent des projets et entament une nouvelle vie professionnelle. Avant de reprendre une activité professionnelle, la personne doit faire preuve d’abstinence totale de la drogue pendant au moins une année et être capable de gérer ses affaires.

« Nous travaillons sur la réinsertion sociale et professionnelle, et nous nous appuyons sur certains critères pour éviter toute rechute. On demande par exemple à la personne de s’éloigner de l’environnement où elle a développé son addiction et on lui apprend à nouer des relations saines avec les autres, loin de la drogue », commente Hawanem Al-Fiqi, consultante au Fonds de lutte contre la toxicomanie. Grâce à l’initiative Bédaya Guédida, Ramadan a bénéficié d’un crédit de 80000 L.E. Grâce à ce crédit, il possède aujourd’hui 2 salons de coiffure à Guiza, dont un avec un partenaire commercial.

« Le travail m’a servi de thérapie. Je suis financièrement indépendant, et cela m’a permis de gravir l’échelle sociale. Je me suis marié et j’ai fondé une petite famille », déclare Ramadan, très optimiste quant à son avenir. Il espère participer au concours annuel de la coiffure qui se tient en France.

4 000 bénéficiaires

L’initiative Bédaya Guédida a été lancée en 2018. Le montant des crédits accordés jusqu’à présent s’élève à 5,2 millions de L.E. « La période de désintoxication dure entre 10 et 15 jours et le traitement n’est pas seulement médical, l’accompagnement psychologique est important. Le sujet ne doit pas retrouver l’environnement dans lequel il vivait auparavant ou revivre les circonstances qui l’ont conduit à l’addiction », affirme Ahmad Al-Kotami, directeur des programmes thérapeutiques au Fonds de lutte contre la toxicomanie.

On demande par exemple aux anciens toxicomanes de ne plus répéter le lexique qui se rapporte à la drogue ou les noms des substances psychoactives qui lui rappellent sa toxicomanie. Cette thérapie les aide à envisager un meilleur avenir et à devenir des personnes autonomes et capables d’assumer des responsabilités. Par conséquent, l’ergothérapie, qui est un outil complémentaire, donne plus de crédibilité au traitement. La personne peut retrouver son ancien travail, suivre des stages pour se perfectionner dans des métiers comme la menuiserie, la plomberie ou autres.

Si le travail est lié d’une manière ou d’une autre à la toxicomanie du sujet, l’ergothérapeute lui recommande de changer de travail pour ne pas revivre les conditions qui l’ont conduit à la drogue. Karim, 33ans, a été obligé de changer de travail. Il était vendeur ambulant de foul.

« Je prenais des comprimés dopants pour ne pas dormir. Je voulais gagner plus d’argent pour ouvrir un petit restaurant, mais peu à peu, mon seul objectif est devenu de me procurer de la drogue et à n’importe quel prix », raconte Karim, qui a bénéficié d’un crédit de 40000 L.E. de Bédaya Guédida pour ouvrir sa gargote à Qalioubiya, près de son nouveau domicile.

« Nous avons mis en place un plan de traitement pour que Karim puisse reprendre son activité en écartant de son chemin les substances psychoactives », explique Hawanem. Elle ajoute que le cas de Karim est semblable à celui de beaucoup d’autres personnes qui travaillent dans la rue comme les chauffeurs et les infirmiers qui deviennent accros à la drogue à cause de leurs métiers difficiles et contraignants. Ils suivent une thérapie différente des autres personnes pour éviter qu’ils reviennent à la drogue.

L’accompagnement psychologique aide les anciens toxicomanes à gérer le stress du travail. D’après Amr Osmane, directeur du Fonds de lutte contre la toxicomanie, l’ergothérapie permet aux anciens toxicomanes de redevenir actifs. « Quand le traitement se limite à des cures de désintoxication, la récupération ne dépasse pas les 2 %, alors qu’utiliser le travail comme outil de guérison donne des résultats nettement meilleurs », affirme Osmane. Il ajoute que la personne redevient un membre utile et actif de la société.

Il s’agit de remettre devant ses yeux l’estime de soi et lui permettre de retrouver son autonomie pour reprendre en main sa vie. Mais certaines personnes ne peuvent pas bénéficier de l’ergothérapie comme les personnes âgées, et ceux qui ont travaillé comme cadres supérieurs ou qui ont souffert de troubles psychiques liés à l’utilisation de substances psychotropes. L’initiative Bédaya Guédida a aidé de nombreuses personnes à envisager l’avenir avec optimisme et à mener une vie meilleure.

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