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Ménopause : L’autre tabou

Chahinaz Gheith, Lundi, 11 octobre 2021

Entourée de stigmates, la ménopause est souvent difficilement vécue parce qu’accompagnée de changements physiologiques importants. Focus à l’occasion de la Journée mondiale de la ménopause, le 18 octobre.

Ménopause : L’autre tabou

Dans des toilettes publiques, une femme à la cinquantaine se presse et demande à celles qui attendent de passer en premier, une serviette hygiénique à la main. A l’intérieur, elle roule la serviette propre et la jette, sort de l’encre rouge de son sac et met quelques gouttes sur du papier toilette avant de le lancer dans la corbeille, faisant bien en sorte que ce soit voyant. Cette scène du film libanais Caramel de Nadine Labaki (2007) montre à merveille le désarroi d’une femme ménopausée, et surtout le rejet et la honte qu’elle ressent.

Car elles ne s’y font pas toujours, les femmes, à cette phase délicate. Une étape cruciale dans la vie d’une femme qui annonce la fin des cycles menstruels, en général autour de 50 ans, et qui se manifeste par un certain nombre de changements, souvent mal vécue et mal connue. Par pudeur, par crainte de se voir cataloguées comme « vieilles », voire « périmées », certaines femmes la subissent en silence. D’autres rechignent à parler de la ménopause, qui transforme la vie de certaines en une sorte de calvaire, avec tous les bouleversements qu’elle peut entraîner. Et face aux désagréments qui l’accompagnent, les bouffées de chaleur, les suées nocturnes, les rapports douloureux, les troubles de l’humeur, et surtout le sentiment de passer à un autre stade, chaque femme la gère comme elle peut. « Les femmes sont nées avec la douleur intégrée en elles. C’est le destin de notre corps : douleurs menstruelles, seins endoloris, accouchement. Nous portons ce fardeau tout au long de notre vie. Et juste quand on croyait avoir fait la paix avec tout ça, qu’est-ce qui arrive ? La ménopause ! », lance Samia, la cinquantaine. Et d’ajouter : « Ma première bouffée de chaleur, j’étais au travail. J’ai eu chaud, froid, des palpitations, j’ai compris que c’est la ménopause qui vient taper à ma porte ». Progressivement, ce cadre de santé commence à ressentir fatigue, perte de libido, petite déprime, prise de poids, et surtout ces fameuses bouffées de chaleur. « J’ai vécu cette période avec une certaine fatalité, sans trop en parler autour de moi », confie-t-elle.

Idem pour Yasmine, ménopausée à 48 ans et gênée de le dire. « La ménopause est associée à une image négative, la perte des fonctions ovariennes au vieillissement, ce qui touche à la féminité et la fertilité. D’où une période souvent vécue dans le silence. De plus, elle est traumatisante, surtout cette chaleur qui trouble le sommeil. J’avais parfois l’impression que je brûlais de l’intérieur. Sans compter les disputes avec mon mari », témoigne Yasmine, qui confie que son foyer était carrément en danger. Car sa vie sexuelle en a pris un coup dur et ses sautes d’humeur ont troublé ses relations avec ses enfants et son mari. Pour Yasmine, contrairement à l’arrivée des règles ou à l’accouchement d’un enfant, la ménopause n’est pas un sujet de fierté. Pourquoi pas puisque les préjugés ont la vie dure, surtout dans une société traditionnelle qui associe la valeur de la femme à son pouvoir de procréer. D’ailleurs, en arabe, le terme le plus usagé pour désigner la ménopause est « l’âge du désespoir », et nombreux sont ceux et celles qui se battent pour abolir cette appellation.

Féminité et fertilité, un lien fatal

Ménopause : L’autre tabou
La ménopause est souvent associée à la vieillesse et à la perte de la féminité.

Pour la sociologue Samia Mahmoud, la vision dévalorisante de la femme ménopausée prend sa source dans les discours des médecins du XIXe siècle. « On a réduit les femmes à la reproduction et assimilé la ménopause à une pathologie stigmatisante. Une vraie femme étant féconde, la ménopause est alors vue comme la perte de la féminité et l’entrée dans la vieillesse », explique-t-elle. « Dès 40 ans, l’âge où une grossesse est perçue comme tardive, les soucis commencent. Dans notre société orientale qui voue un culte à la beauté et à la jeunesse, une quadragénaire est déjà considérée plus vieille qu’un homme d’âge équivalent », dit-elle. Et d’ajouter : « C’est encore plus violent pour celles ménopausées précocement à 35-40 ans, ou qui le deviennent sans avoir eu d’enfants ».

Menstruations, sexualité, post-partum, ménopause ... les sujets tabous qui touchent au féminin ne manquent pas. Autrement dit, la vie des femmes est jalonnée d’événements auxquels elles ne sont pas forcément préparées. C’est parfois compliqué à cause du milieu social, de l’éducation, de la timidité et de la gêne qui entourent tout cela. Comme le témoigne Hanan, 51 ans, qui estime que de très nombreuses femmes manquaient d’information sur la ménopause. « Personne ne nous a dit ce qui allait nous arriver. On est toujours à la merci de notre cercle d’amies », déplore-t-elle.

« Méno-positiver ! »

Heureusement, ces sujets tabous sortent peu à peu de l’ombre, et de nombreuses femmes tiennent à normaliser des thèmes qui font tout simplement partie de la vie. Créé par l’International Menopause Society (IMS), la Journée mondiale de la ménopause a lieu chaque année le 18 octobre et a pour but de sensibiliser sur les problèmes liés à la santé des femmes durant cette phase. En 2030, 1,2 milliard de femmes seront âgées de 50 ans et plus, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et un nombre croissant de ces femmes peut s’attendre à vivre plusieurs décennies après la ménopause. Plusieurs études ont démontré qu’une meilleure alimentation, de l’activité physique, une bonne gestion du stress, l’arrêt du tabac et l’hormonothérapie de remplacement peuvent grandement améliorer les désagréments et prévenir les problèmes de santé causés par l’arrêt d’hormones, comme les problèmes cardiaques, l’ostéoporose, le cancer du sein, etc. « Or, ces risques varient d’une femme à l’autre. Certaines ne subiront aucun changement et leur vie sera inchangée, d’autres verront se déclarer quelques risques en plus », explique la gynécologue Ghada Hazem, tout en assurant que la première cause de mortalité chez les femmes ménopausées n’est pas le cancer, mais les accidents cardiovasculaires, d’où l’importance de la prévention et du check-up à la ménopause pour avoir une vue d’ensemble des facteurs de risque et essayer de les minimiser.

Cependant, une initiative a été lancée pour tenter de changer le regard sur la ménopause, ainsi que sur l’âge des femmes et le sexisme qui l’entoure, afin de faire un pas de plus vers l’égalité femmes-hommes. Une ONG défendant les droits des femmes, la Fondation du Caire pour le développement et le droit, a organisé une campagne ayant pour slogans : « Sa santé est son droit » et « L’âge de la sécurité, non pas l’âge du désespoir ». La clé pour relativiser et « méno-positiver ». De quoi aider les femmes àvivre ce phénomène naturel en toute sérénité. A l’exemple de Leila, qui vit cette nouvelle étape de sa vie sans aucun problème, accueillant à bras ouverts la fin de ses règles et y voyant autant d’avantages que d’inconvénients. « La peur de tomber enceinte n’est plus là, pas besoin de contraceptifs, pas de douleurs menstruelles, la liberté quoi ! ».

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