Une vraie fourmilière. Dans cette cuisine de charité, des chefs préparent des repas tout au long du mois du Ramadan. Les bénévoles s’organisent pour concocter des plats pour l’iftar (repas de rupture du jeûne). D’autres préparent ceux du sohour (repas pris juste avant l’aube). Des plats à emporter pour venir en aide aux plus pauvres et aux plus vulnérables. De jeunes bénévoles sont en train de finaliser les repas : des assiettes pour la salade, d’autres pour les pommes de terre et la viande, d’autres pour le riz. Deux heures avant la rupture du jeûne, les files d’attente commencent à apparaître. Au bout d’une heure, les files s’allongent. Tous essaient de maintenir une certaine distance entre eux, une mesure de protection contre le coronavirus.
Depuis que la pandémie avait commencé à se propager l’année dernière, les tables de charité, très répandues en Egypte pendant le mois du Ramadan en guise d’aumône envers les plus démunis, ont été interdites pour éviter les contaminations. Avant la crise de coronavirus, 40 000 tables étaient organisées au Caire et servaient plus de 3 millions de citoyens, selon une étude publiée par l’Université d’Al-Azhar. De même, plus d’un milliard de L.E. étaient dépensées chaque année pour ces tables de charité, et quelque 10 000 volontaires étaient chargés d’organiser ces tables au Caire seulement. Il fallait donc tout faire pour trouver une alternative. D’où l’idée de distribuer des repas aux personnes en difficulté.
Une aide précieuse
Ici, tout le monde attend patiemment pour bénéficier d’un repas chaud. Ici, les habitués aux tables se font nombreux. A eux s’ajoute une nouvelle catégorie : ceux dont les activités professionnelles ont été lourdement affectées par la crise due au coronavirus. Les distributions se multiplient et les files d’attente aussi. Les camions se garent et les bénévoles commencent à répartir les repas pour les habitants des quartiers populaires du Grand Caire : Al-Tabba, Manchiyet Nasser, Al-Hay Al-Tamen, Al-Hay Al-Acher, Al-Sayéda Zeinab, Al-Ghouriya, Al-Warraq, Moqattam, Guesr Al-Suez, Al-Asmarate et bien d’autres. Fatma, 50 ans, veuve et femme de ménage qui habite à Manchiyet Nasser, a souvent des problèmes financiers. La crise sanitaire du Covid-19 a aggravé sa situation, car certaines familles se sont passées de ses services. Aujourd’hui, elle est obligée de recourir aux initiatives de charité pour nourrir ses enfants pendant le mois du jeûne. Abou-Mohamad, ouvrier à temps partiel, explique lui aussi à quel point ces repas distribués sont d’un grand secours pour lui et sa famille durant le Ramadan. « C’est tellement important pour nous d’avoir ces repas chauds, surtout durant le mois sacré, car nous n’avons pas les moyens d’acheter ce qu’il faut pour préparer des plats », témoigne cet homme de 40 ans, père de 4 enfants.

Les cuisines de charité offrent une ration alimentaire complète.
Ces repas chauds et gratuits sont servis durant le mois sacré par le biais de plusieurs initiatives lancées par un grand nombre d’ONG, d’hommes d’affaires, mais aussi des particuliers qui redoublent d’ingéniosité pour assurer et fournir aux plus démunis une ration alimentaire complète : un repas chaud à base de viande ou de poulet accompagné de légumes, de riz ou de pâtes, de la salade, ainsi que du lait caillé, de fruits, des dattes et du jus. Certains offrent deux repas en même temps, celui de l’iftar et du sohour, à l’exemple du bénévole Mohamad Baddar, propriétaire d’une société de commercialisation. « Nous avons l’intention d’offrir les deux repas pour aider les nouveaux pauvres, les personnes qui se sont retrouvées au chômage et les familles gravement touchées par la crise financière », lance cet homme d’affaires. « Un iftar nous coûte 200 L.E., un sohour entre 50 et 60 L.E. Cette ration suffit pour nourrir une famille de 4 personnes pendant 3 jours », explique Mohamad Baddar, qui a lancé cette initiative à Al-Asmarate. « Pour les gens qui sont dans le besoin, c’est une aide précieuse », dit-il avec modestie.
Solidarité et cohésion sociale
En fait, ce genre d’action de bienfaisance s’est répandu ces dernières années pour éviter les conséquences de l’absence de tables de charité sur ceux qui comptaient dessus. Au coeur de la chaîne de solidarité, l’initiative Matbakh Al-Kheir (cuisine de charité), située à Khanka au gouvernorat de Qalioubiya, est lancée par un groupe de femmes bénévoles soucieuses d’aider les familles les plus vulnérables durant le mois du Ramadan. Cette initiative porte assistance à quelque 500 familles touchées par la crise économique et le chômage lié au coronavirus. Pour ces bénévoles, le Ramadan est l’occasion d’aider les oubliés et d’offrir à ces familles démunies des friandises supplémentaires. Parmi les bénévoles, Hussein, très convaincu de la responsabilité de chaque citoyen envers ces personnes qui souffrent et qui sont dans le besoin, mais aussi Hamada, chef cuisinier, qui consacre une partie de son temps à préparer des repas, avant de rejoindre sa famille au moment de la rupture du jeûne.

Certaines ONG offrent deux repas : l’iftar et le sohour.
Chaque initiative utilise une ou deux cuisines pour préparer les repas de charité. Durant le mois du Ramadan, l’ONG Haya Karima (vie décente) sert chaque jour 150 repas, destinés aux familles démunies du quartier d’Al-Sayéda Zeinab, et prévoit 100 autres pour les habitants défavorisés de Boulaq Al-Dakrour. Ces plats chauds sont préparés au sein de deux cuisines, la première est située au quartier d’Al-Sayéda Zeinab et la seconde à Boulaq Al Dakrour. Les chefs commencent à cuisiner dès 11h pour pouvoir terminer avant l’heure de la rupture du jeûne. « Ce mois de jeûne est un stage annuel d’approfondissement de la charité qui nous encourage, nous donne des pistes et nous guide pour toute l’année », explique Essam Abdel-Fattah, directeur de l’ONG Haya Karima, qui confie en quelques mots sa propre définition du Ramadan. Avec un grand sourire, ce fidèle, qui se prépare physiquement au jeûne, ajoute : « C’est un mois de partage durant lequel nous devons décupler nos bonnes actions de l’année ». Il parle de partage car avec ses deux amis intimes, ils se partagent à part égale tous les frais du projet Cuisine de charité. « Heureusement, dit-il, pendant le Ramadan, les dons sont plus importants, bien plus que les autres mois de l’année. De nombreux pratiquants décident d’accomplir leurs devoirs de charité, l’un des piliers de l’islam, durant cette période particulière. L’aumône (zakat) est déjà l’un des cinq piliers de l’islam, mais les fidèles insistent sur le fait de respecter cette exigence avec plaisir et dévouement durant le mois sacré ».
L’effet positif du coronavirus
Ces deux dernières années, les actions se sont multipliées. La crise de coronavirus a créé une sorte de solidarité entre les citoyens, toutes classes sociales confondues. Mais si les initiatives sont nombreuses, les moyens demeurent limités. Et les bénévoles, qui craignent « un essoufflement de la dynamique de solidarité », lancent des appels pressants aux âmes de bonne volonté et aux associations caritatives. Car les besoins restent pressants. Et nombreux sont ceux qui estiment que le soutien aux familles nécessiteuses doit se poursuivre après le Ramadan. Un exemple, celui de l’initiative d’Asmaa, Table de bienfaisance, qui offre des repas à moindre coût durant le Ramadan. Elle prépare chaque jour 200 repas chauds aux familles touchées par la crise. Des repas concoctés chez elle dans sa cuisine et celle de sa soeur dans la région de Hadaëq Al-Maadi. « Notre manière de procéder est différente : les familles doivent verser le coût de chaque plat à bas prix et sans profit. Nous préparons trois menus : Le premier, composé de riz ou de pâtes avec de la viande, coûte 15 L.E., le deuxième d’un demi-poulet, accompagné de riz blanc ou de pâtes, s’élève à 25 L.E., et le troisième, dont le prix est 30 L.E., est préparé avec des légumes, un demi-poulet et du riz », précise Asmaa. « C’est ainsi que je peux aider les gens sans chercher le profit. Mais les besoins sont si importants qu’il va falloir poursuivre nos efforts après le Ramadan. Nous préparons déjà les cartons pour les autres mois de l’année », conclut-elle.
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