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Orphelins: La réussite malgré les entraves

Chahinaz Gheith, Dimanche, 28 mars 2021

Leur statut d’orphelin et tout ce qui en découle ne les a pas empêchés de se battre pour s›intégrer dans la société et réussir dans leur vie profession­nelle. L’aboutissement d’une difficile lutte contre les clichés et les stéréo­types. Portraits à l›occasion de la Journée de l›orphelin, célébrée le premier vendredi d›avril.

Orphelins: La réussite malgré les entraves

« L’espoir fait vivre ». Un adage banal, presque simpliste? Pas pour Abdallah Choukri, 23 ans, premier professeur d’université sorti d’un orphelinat à Charqiya. « Quand on est orphelin, le chemin pour devenir un adulte libre et heureux est semé d’embûches. La solution? Ni résignation, ni déni, mais la foi que la traversée de l’épreuve est possible ». Déterminé, ambitieux et passionné, ce jeune homme a su faire fructifier son talent et gravir les échelons. Et le voilà propulsé sous les feux des projecteurs, devenu le point de mire des journalistes, des chaînes satellites et des respon­sables de son gouvernorat. Derrière un sourire timide un jeune homme à l’histoire boulever­sante. Abandonné à la naissance, il est d’abord placé dans un établissement destiné aux nou­veau-nés abandonnés, puis à l’âge de 2 ans dans un orphelinat appelé Al-Madina Al-Ménawara où il a passé 16 ans et a trouvé une nouvelle famille avec qui il a partagé des joies et des souf­frances. « Le sentiment d’être sans famille, sans attache, est quelque chose de très douloureux, qui s’insinue très profondément jusqu’aux racines de l’existence humaine. On se demande d’où l’on vient, qui l’on est, qui il faut aimer ? Cela donne une tonalité étrange à l’existence. Le chagrin de la vie exerce une pression et déforme la conscience. Mais il faut quand même s’obliger à être heureux », s’exprime Abdallah qui a déci­dé de ne plus vivre dans le passé, mais dans l’avenir.

La réussite scolaire, principal salut

Orphelins: La réussite malgré les entraves
Névine Al-Qabbag, la ministre de la Solidarité Sociale avec Abdallah Choukri, premier professeur d’université sorti d’un orphelinat à Charqiya. (Photo:Al-Ahram)

Passionné de football dès son enfance, Abdallah a d’abord caressé le rêve de devenir footballeur. Première grosse déception. Son dos­sier d’inscription à l’équipe du club d’Ismaïli a été refusé, faute d’informations familiales. « Pour moi, le monde s’était arrêté ce jour-là, j’avais le sentiment d’être un pestiféré, qu’une malédiction s’abattait sur moi », se souvient-il. Mais Abdallah ne baisse pas les bras, repoussant toujours plus loin ses limites. « Avec la rage de réussir et une passion inébranlable, Abdallah a pu terminer ses études à la faculté d’éducation sportive avec excellence. Aujourd’hui, rien ne freine pour autant ses projets. Nommé assistant, il compte continuer pour obtenir le master et ensuite le doctorat », dit avec fierté Sayed Osmane, directeur de l’orphelinat où le jeune homme a grandi.

Un jeune homme qui a refusé de voir en son statut une fatalité, comme tant d’autres. Décrochage scolaire, instabilité, précarité... Nombre d’orphelins se sentent mal dans leur peau, ont un grave problème d’identité et d’ap­partenance et sont incapables de se projeter, comme s’il n’existait que le poids lourd de leur passé inconnu, mais aussi souvent synonyme de honte. Autrement dit, un enfant ayant grandi dans un orphelinat est souvent taxé d’illégitime. Les questions sans réponses, les origines à jamais inconnues et la honte le poursuivront toute sa vie. Un parcours que l’orphelin n’a pas choisi, mais qu’il subit. Une vie dictée par le hasard. Au départ, ces enfants logés dans les centres d’accueil sont perturbés et n’arrivent pas à comprendre comment ils sont frères et soeurs alors qu’ils ne portent pas le même nom. Plus tard, la colère s’empare d’eux, notamment avec les doutes qui s’installent sur leur intégration dans la société.

Cependant, certains restent majoritairement convaincus que bien réussir à l’école est un moyen efficace de s’en sortir. Tel est le cas de Faten Walid. Investir dès les études pour mieux préparer l’avenir professionnel est le but que s’est fixé cette étudiante en 3e année à la faculté de Dar Al-Oloum. Refusant le rôle de la victime, Faten dénonce les stéréotypes véhiculés dans le cinéma présentant les orphelins comme des voyous et des délinquants. Un cliché qu’elle souhaite ne plus voir. Faten travaille actuelle­ment dans un centre éducatif qui apprend aux enfants la religion et les moeurs et veut devenir un jour écrivaine et peintre renommée.

« Je ne suis pas seulement un orphelin »

Orphelins: La réussite malgré les entraves
Faten Walid, étudiante à la faculté de Dar Al-Oloum, rêve de devenir un jour écrivaine et peintre célèbre.

Avec une énergie à faire bouger les montagnes, elle invente mille et une façons de porter secours aux plus fragiles de ses soeurs, qui trouvent des difficultés à parler de leur situation ou qui peu­vent se sentir humiliées, stigmatisées, regardées avec pitié. Sa voix tremble rien qu’en se rappe­lant la célébration de la Journée de l’orphelin lorsqu’elle était à l’école. Lorsque le professeur dit à haute voix en classe: « Où sont les filles de l’orphelinat pour prendre leurs cadeaux ? ». Ce jour-là, elle se cache sous le bureau et refuse de participer à l’événement ou prendre les cadeaux et les jouets à l’encontre de ses « soeurs ». « Une façon de nous stigmatiser de plus, de nous poin­ter du doigt et de nous rappeler que nous sommes une catégorie à part », se plaint-elle, tout en se déclarant contre cette journée qui ne fait qu’augmenter sa peine et raviver ses bles­sures. Faten garde encore en mémoire l’image des visiteurs qui caressent ses cheveux, s’impo­sent pour prendre une photo avec elle, ou bien ouvrent son armoire pour vérifier qu’un don ou un cadeau est bien arrivé, sans lui demander la permission.

Une situation qui a attiré l’attention des membres de l’association Wataniya qui ont déci­dé d’agir et ont lancé une initiative intitulée « Connais-moi, je ne suis pas seulement un orphelin ». « Cette campagne tente de sensibili­ser la société aux besoins pédagogiques, psy­chiques et sociaux de l’orphelin. Il ne s’agit pas d’un enfant en besoin de quelques vêtements ou de cadeaux. Mais d’un enfant qui souffre de soli­tude et d’insécurité. Il s’agit plutôt de faire attention à lui, de suivre son évolution psy­chique, sociale et son éducation », affirme Azza Abdel-Hamid, PDG et fondatrice de l’ONG Wataniya, qui vient de lancer une autre initiative intitulée « La sécurité aux orphelins », ayant pour objectif d’organiser un stage de formation pour le personnel exerçant dans les orphelinats.

A 18 ans, l’heure décisive

Orphelins: La réussite malgré les entraves
Mener sa vie ailleurs, tel est le moyen de Samir Ossama pour faire face à la violence du monde, mais en pleine liberté.

Selon les chiffres du ministère de la Solidarité sociale, 12000 enfants vivent dans 550 orpheli­nats en Egypte dépendant du ministère. D’après les lois qui gèrent les orphelinats, ils ont le droit de se loger dans les locaux de ces foyers d’accueil jusqu’à l’âge de 18 ans. Au-delà, ils peuvent louer de petites pièces dans ces orphelinats s’il y a de la place, ou choisir de quitter définitivement le lieu. Les orphelins se trouvent souvent face à un choix difficile: celui de suivre le parcours de ceux qui les ont précédés, à savoir tourner dans le cercle vicieux de la vie active tout en demeurant à l’or­phelinat ou bien opter pour un choix plus diffi­cile, celui de faire face au monde et de tenter leur chance dans la vie, et ce, malgré les risques que cela pose, car d’habitude, les orphelins éprou­vent une grande crainte face au monde extérieur.

Des choix qui n’ont pas plu à Samir Ossama, 21 ans. Malgré les difficultés économiques et les pressions sociales, il a décidé de quitter ces foyers à jamais, fermant cette page de sa vie. « Je me suis révolté contre mon orphelinat pour mener ma vie ailleurs. C’est plutôt ma façon de faire face à la violence du monde, mais en pleine liberté », dit-il. Le choix du logement n’a pas été laissé au hasard. Il optait pour des banlieues où les curieux ne le pourchasseraient pas. « Dans les quartiers populaires, les loyers des apparte­ments sont modérés, mais je les ai évités à cause de la proximité entre les habitants qui peuvent me causer des problèmes. Je préfère les com­plexes résidentiels parce que chacun y mène sa vie tranquillement. Il y existe une marge de liberté qui me permet de vivre paisiblement. Je veux à tout prix être à l’abri des interrogations sur mon statut social », confie Samir qui tra­vaille comme un agent de marketing et de publi­cité. « Lorsque j’habitais avec mes frères, j’ai beaucoup souffert à cause de ma présence dans un immeuble habité par des familles. Tout le monde voulait mettre son nez dans notre vie. Les regards et la curiosité du portier et des habitants nous blessaient », avance ce jeune qui a décidé de quitter l’appartement loué par l’orphelinat et d’habiter seul. Une manière de lutter contre les stéréotypes classiques de la société égyptienne qui a du mal à accepter un orphelin ayant grandi dans une association de charité. « Je ne veux plus de ce casse-tête qui ravage mon quotidien », lance Samir qui, depuis avoir décroché un diplôme en business et management, a cherché tout de suite à travailler et a ouvert un petit club pour les jeux vidéo et le Play Station à côté de son travail dans le marketing. C’est une sorte de défouloir pour lui. Il veut en effet gagner de l’argent afin d’avoir une vie paisible. Et puis, pourquoi pas, trouver l’âme soeur apte à l’accep­ter tel qu’il est et former avec elle une petite famille.

Venir en aide à ses pairs

Orphelins: La réussite malgré les entraves
Nahla El-Nemr a été nommée ambassadrice auprès du ministère de la Solidarité sociale chargée de suivi communautaire des orphelins. (Photo:Al-Ahram)

Même constat pour d’autres orphelins qui avouent évoluer dans une atmosphère difficile et qui ont mérité le respect et le soutien de leur entourage. Tel est le cas de Nahla El-Nemr, 36 ans, qui a voulu se distinguer des autres. Refusant d’adopter la politique de l’autruche, en enfon­çant sa tête dans le sable, elle a décidé un jour de prendre discrètement son dossier et de s’inscrire dans une école secondaire avant d’entrer dans des négociations difficiles et d’imposer sa volon­té et son désir de passer le bac. Depuis, elle est considérée comme rebelle au sein de l’orpheli­nat. « J’ai refusé de suivre le parcours qui m’était imposé. Toutes mes soeurs à l’orphelinat devaient accomplir les mêmes objectifs en matière d’enseignement. Car, une fois arrivées au cycle secondaire, elles devaient suivre la même formation pour devenir infirmières, sous prétexte que les écoles secondaires sont diffi­ciles, que les montants relatifs aux frais du bac sont importants et que le trajet pour se rendre au lycée est trop long. Moi, j’avais de plus grandes ambitions », déclare Nahla, nommée récemment ambassadrice auprès du ministère de la Solidarité sociale chargée de suivi communautaire des orphelins. Cependant, le grand tournant de sa vie a lieu en 2012 lorsqu’elle rejoint l’ONG Wataniya qui collabore avec le ministère de la Solidarité sociale pour porter soutien aux orphe­lins et mettre en oeuvre des normes et standards de qualité au sein des centres d’accueil. Depuis, la vie de Nahla, qui a terminé ses études à l’Ins­titut du service social, a complètement changé. Elle est devenue spécialiste en évaluation d’en­treprise, chef d’équipe d’évaluation institution­nelle d’entreprise à l’ONG Wataniya et forma­trice au centre Aman pour l’apprentissage et le développement. Et ce n’est pas tout. Elle détient aussi un diplôme professionnel accrédité par l’organisme Pearson, en Angleterre, dans les domaines de développement et de soutien de l’enfant, sans compter les stages de formation, les conférences et les ateliers auxquels elle a participé.

Orphelins: La réussite malgré les entraves
Réda Ali aspire à devenir un jour un des meilleurs chefs du monde.

« Nahla El-Nemr est une source d’inspiration pour nous tous », lance Réda Ali, 28 ans, diplô­mé en ingénierie du contrôle de la qualité, qui a rejoint l’école technique pendant cinq ans, pour passer directement à la troisième année de l’Uni­versité ouvrière. Depuis, le monde du volontariat l’a attiré. Au cours de ses études universitaires, il a rejoint l’association Wataniya, où il a rencontré Nahla lors d’un atelier de travail intitulé Forsa (une chance). « Sa présence s’est révélée très influente. Elle a parlé des conditions de vie des enfants placés dans des orphelinats, ainsi que de l’importance de changer les mentalités », explique Réda. Et d’ajouter: « Moi aussi je vais me battre pour aider mes frères et soeurs qui ont des histoires difficiles et qui, comme moi, n’ont pas la chance de grandir dans leur famille ». N’ayant pas honte de parler de son propre his­toire à l’orphelinat, il essaie de donner aux orphelins une lueur d’espoir, surtout que la plu­part d’entre eux non seulement préfèrent taire ce secret, mais aussi éprouvent de l’angoisse et des doutes à propos de leur avenir. Raison pour laquelle il a été honoré par les Nations-Unies pour ses travaux dans le domaine du service social et du bénévolat. Amateur de cuisine, il vient d’ouvrir son projet pour fournir des repas et des plats préparés sous le nom de Kéda Réda. Il aspire à devenir un jour un des meilleurs chefs du monde. Un rêve qu’il réalisera peut-être un jour à force de travail, d’efforts et de persévé­rance. Aujourd’hui, Réda, qui vit en harmonie dans son propre monde, partage son conseil pour une vie équilibrée au niveau personnel, social et professionnel. « Etre orphe­lin ne doit pas être une barrière à la réussite. Si le monde te met sur un chemin que tu n’aimes pas, construis-toi un nouveau chemin ! », conclut-il .

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