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Quand il suffit d’y croire

Hanaa Al-Mekkawi, Mardi, 23 mars 2021

L’amour maternel fait-il des miracles ? Oui, c’est ce que prouve l’histoire d’Ibrahim qui, grâce au soutien de sa mère, a réalisé l’irréalisable en devenant le premier trisomique à être professeur d’université en Egypte. Retour sur ce double parcours hors pair à l'occasion de la Journée mondiale de la trisomie et de la Fête des mères, le 21 mars.

Quand il suffit d’y croire

« Votre fils ne sera pas comme ses frères, il ne pourra ni faire des études ni mener une vie normale ». Le verdict lui est tombé sur la tête quelque temps après son accouchement. Choquée par la nouvelle, Imane, la jeune maman, fond en larmes et sent que c’est la fin du monde. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le désespoir a fait place à la fierté : le fils d’Imane, Ibrahim Al-Khouli, a réussi à devenir le premier jeune trisomique à enseigner à l’université. 26 ans se sont écoulés durant lesquels la maman et son fils ont vécu des hauts et des bas.

Un mois à peine après la naissance de son fils, Imane commence à remarquer que ses réactions étaient différentes. Manifestant son inquiétude à son conjoint, pédiatre de profession, il n’a pas hésité à lui dire la vérité : « Notre enfant est différent, il ne sera jamais comme les autres ». Sans dire un mot, Imane s’est penchée sur Ibrahim et l’a embrassé très fort. Le choc passé, elle a accepté le destin que Dieu a tracé pour elle et son fils et a imploré le Tout-Puissant de l’aider pour faire face à cette situation difficile. Pour elle, il fallait tout faire pour rendre l’impossible possible. « On ne peut augurer de l’avenir, dire ce que quelqu’un est capable de faire ou ne pas faire. Mais, il fallait tout faire, tout essayer. Moi, j’étais convaincue que mon fils était capable de réussir », s’exprime Imane. Après avoir découvert le cas de son fils, elle n’a cherché à connaître ni les symptômes, ni les conséquences de la trisomie 21. Pour elle, son enfant était un enfant comme les autres. Il a simplement besoin d’un peu plus d’efforts et de méthodes non traditionnelles pour son éducation.

Une persévérance à toute épreuve

A l’âge d’un an, Ibrahim a commencé ses cours de communication et sa thérapie de développement. La maman a consacré tout son temps à son fils et n’a pas lésiné sur ses efforts, au contraire. Sachant par exemple le manque de tonus des muscles des bras et du cou de son fils qui gardait la tête penchée vers le bas, Imane ne cessait de lui répéter : « Haut, haut, lève la tête bien haut », en lui redressant la tête avec ses mains. Et, le petit garçon n’a pas déçu sa maman en apprenant à garder la tête droite. Même chose pour les couleurs qu’elle lui a enseignées grâce à des cubes. Elle lui posait des questions et y répondait en même temps, car Ibrahim la regardait dans les yeux tout en étant incapable de répliquer. Mais elle applaudissait bien fort, comme s’il avait répondu, et ce, pour l’encourager. « Lui répéter dix, vingt ou cent fois, peu importe son silence, il finira par répondre à la fin », ainsi se disait Imane. Elle lui répétait les noms des couleurs des dizaines de fois chaque jour. Enfin, un jour, elle l’a entendu dire « rouge », en lui demandant comme d’habitude la couleur d’un cube. « Et c’est comme cela qu’Ibrahim a appris plein de choses, grâce à des jeux, des chansons, des mouvements de danse et beaucoup d’autres méthodes que j’avais inventées. Je ne sais pas comment j’ai eu ces idées et d’où j’ai puisé cette énergie et cette volonté », poursuit Imane dont le sourire ne s’efface jamais de son beau visage.

Il fallait surtout de la patience. Ibrahim a commencé à marcher à l’âge de 4 ans. Et, quelque temps plus tard, à parler. Youssef, le frère aîné d’Ibrahim, un ingénieur de 33 ans, se rappelle encore la première phrase que son frère a prononcée. « On jouait comme d’habitude à cache-cache quand, soudain, Ibrahim s’est mis à me chercher en me disant : Pourquoi te caches-tu de moi ? Est-ce que je vais jouer seul ? », raconte Youssef.

Quand il suffit d’y croire
Ibrahim le jour de sa graduation.

Mais il fallait faire face à d’autres obstacles. D’abord, le regard des autres. C’est ce qui dérangeait le plus la maman. Le problème n’était pas avec les gamins qui découvraient un autre enfant à l’allure différente, mais avec les adultes. Ces derniers avaient des réactions souvent cruelles. Imane ne peut pas oublier le jour où sa famille a rendu visite à un couple d’amis qui avait un petit garçon. Quelques minutes après leur arrivée, la hôtesse a pris son fils et s’est retirée dans sa chambre jusqu’à la fin de la visite. Autre obstacle, la scolarité, l’étape la plus difficile, dit Imane. « Toutes les écoles avaient refusé d’inscrire mon fils. Il ne pouvait être accepté que dans des écoles spéciales pour handicapés, ce que j’ai refusé. J’étais convaincue que la présence de mon fils parmi des enfants normaux en classe pouvait l’aider à se développer », poursuit Imane, qui a réussi à faire ce qu’elle voulait : donner à Ibrahim l’occasion de passer des tests pour voir si son niveau lui permet de joindre une école normale ou pas. Enfin, la directrice d’une école maternelle privée, une ancienne camarade de classe d’Imane, a accepté de donner cette chance à Ibrahim. « J’ai fini par accepter en voyant cette maman déprimée qui voulait donner une chance à son enfant, mais je ne m’attendais pas à grand-chose. J’ai été très surprise car Ibrahim avait résolu quelques exercices ; j’ai donc fini par l’inscrire dans mon établissement scolaire », relate Naïma Moustapha, la directrice. Etre admis à l’école et devenir un élève comme les autres est le résultat d’un dur labeur. « Je n’arrêtais pas de lui apprendre des choses. Même en marchant dans la rue, on lisait ensemble les noms des magasins », dit Imane. Une année après l’autre, Ibrahim a pu achever les cycles primaire, préparatoire et secondaire.

Croire en l’impossible

Personne ne s’y attendait excepté Imane, qui retrouvait son énergie grâce à l’amour d’une mère pour son enfant et sa foi. En fait, Ibrahim partageait avec sa maman cette notion de défi, il luttait lui aussi pour avancer et faire du progrès. Il répétait tout le temps qu’il était capable de faire ce qu’il veut comme les autres et mieux encore. Cette confiance en lui-même, Ibrahim l’a acquise grâce à son entourage, surtout sa maman. « Vouloir c’est pouvoir ». Ainsi, Ibrahim a pu terminer ses années scolaires et devenir un champion en natation. Une activité sportive pour fortifier ses muscles et avoir un corps bien dessiné. A l’âge de 11 ans, Ibrahim a gagné plusieurs médailles en natation. Il a joué au tennis, au karaté, au basket et a fait du kung-fu et du tennis de table. « Nous passions la journée dans la rue et nous n’avions pas un jour de congé. Tout notre temps était consacré aux activités et entraînements sportifs », raconte Imane. En 2008, Ibrahim est élu champion du monde de tennis masculin et il avait terminé son cycle primaire. Le cycle préparatoire serait plus difficile pour Ibrahim qui a échoué plusieurs fois. La maman a décidé alors de l’inscrire à des cours d’informatique car, au cas où il quitterait l’école, il pourrait trouver des perspectives d’avenir. Arrivé au cycle secondaire, Ibrahim a réussi à dépasser ce cap avec persévérance et a obtenu son bac. Cette année, une nouvelle loi avait vu le jour permettant aux personnes atteintes de trisomie 21 et à d’autres cas de handicap de passer l’examen du bac. Ce fut un moment grandiose, un jour inoubliable. Mais, comme un cheveu sur la soupe, le mot « handicap mental » était inscrit sur son diplôme de baccalauréat. « Pourquoi ? », s’est demandé Imane. Pourquoi oublie-t-on les efforts consentis pour se concentrer seulement sur l’état de handicap ?, continue-t-elle, en disant qu’elle avait plié le bas du certificat pour dissimuler ces deux mots et ne pas décevoir son fils.

A l’université, Imane et Ibrahim ont été bien reçus. « Ibrahim est un jeune homme très intelligent, poli et sérieux qui s’intéresse à beaucoup d’activités », dit Magui El-Halawani, doyenne de la faculté de mass media à l’Université canadienne au Caire. Tous les professeurs partagent son avis. Ils ont été surpris par la détermination et le courage de cet étudiant à tel point que certains le considèrent comme étant la meilleure expérience dont l’université a témoigné. « Plusieurs étapes, des hauts et des bas, l’espoir, la réussite et parfois le désespoir. Pour faire plus connaissance, écoutez-moi ; je m’appelle Ibrahim Al-Khouli », ainsi présente Ibrahim son programme à la radio de l’université, « Le chemin du défi ». Il a terminé ses études universitaires avec mention excellent et, contrairement à toutes les prédictions, il s’est présenté pour devenir enseignant à l’université. « C’était mon rêve et personne ne s’attendait à ce que je le réalise, car me voilà aujourd’hui en train d’enseigner à d’autres étudiants », dit Ibrahim. Ce dernier a commencé cette année à enseigner aux étudiants de quatrième année durant les cours d’été. Actuellement, il se prépare pour le doctorat. Des rêves sans limites. Pour le moment, il n’est pas sûr qu’il puisse le faire. Si rien n’interdit à des cas identiques à son fils de faire un doctorat, la démarche risque d’être complexe vu que c’est la première fois en Egypte qu’une personne atteinte de trisomie atteint ce niveau. Mais peu importe, Imane et Ibrahim ne baisseront jamais les bras. « Après ce que j’ai enduré avec mon fils et les choses qu’il avait réalisées alors que cela paraissait impossible selon les théories scientifiques et les études, je pense qu’il est capable d’atteindre le firmament. Quant à moi, je vais continuer à jouer mon rôle de mère que j’ai commencé depuis 26 ans en le soutenant par tous les moyens possibles dans son parcours avec les gens qui l’aiment », dit Imane ou la maman d’Ibrahim comme elle préfère être appelée.

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