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Dans la peau d’une institutrice

Dina Darwich, Mardi, 16 mars 2021

A l'occasion de la Journée de la femme égyptienne, le 16 mars, Al-Ahram Hebdo vous accompagne au fin fond de la province pour découvrir ses trésors : une fillette de 12 ans qui a créé une école de fortune pour aider ses cadets à éviter le décrochage sco­laire pendant la fermeture des établissements.

Dans la peau d’une institutrice
(Photo : Mohamad Adel)

Dans la peau d’une institutrice

C’est parmi les champs de blé que Reem Khaïri, 12 ans, avait choisi d’établir « son » école. Ici, dans le village Atmida (30 000 habitants selon les chiffres de 2006), situé au gouvernorat de Daqahliya, au nord-est du Caire, une petite rose semble s’épanouir. Une jeune villageoise incarnant une figure prometteuse de l’Egypte a décidé d’aider les enfants de son village après la fermeture des écoles. Elève en première prépa­ratoire, elle a décidé, à sa manière, de faire face à cette fermeture pour cause de pandémie, depuis le 2 janvier. Le faible débit de connexion Internet dans les villages égyptiens ayant entra­vé le processus éducatif qui se déroule à dis­tance depuis que le coronavirus a frappé le pays l’an dernier, Reem a eu l’idée de rassembler les enfants de son village pour leur donner des cours.

Sa classe en plein air est devenue une destination pour tous les élèves de son village. Un tableau sous le bras, un sens de la responsa­bilité, mais aussi des exigences strictes. Il est interdit d’assister aux cours sans masque et gel hydroalcoolique. Reem a entamé son périple avec cinq enfants. Aujourd’hui, sa classe accueille une quarantaine d’élèves, de la pre­mière à la quatrième primaire. « Au début, j’ai pris cela comme un jeu. Je rassemblais mes voisins pour leur donner des cours de maths. Au fil du temps, j’ai découvert que je pouvais expli­quer à mes cadets le raisonnement nécessaire pour résoudre un problème de maths. Et, au lieu de passer leur temps à jouer et se bagarrer dans la rue, ils sont là pour apprendre et faire quelque chose d’utile. Les parents ont com­mencé à me faire confiance. Chaque jour, ils me ramènent leurs enfants suivant les horaires que je fixe chaque semaine, en tenant compte de mon emploi du temps et mes propres études », explique Reem sur un ton sérieux, tout en ajou­tant qu’elle est fascinée par sa professeure de maths et rêve de devenir enseignante comme elle.

Dans la peau d’une institutrice
(Photo : Mohamad Adel)

Les horaires de classe et les lieux où donner les cours changent. Cela dépend des conditions climatiques et du nombre d’élèves. « Quand il fait beau, je fais les cours en plein air, dans les champs, mais quand il fait froid ou qu’il pleut, je leur donne rendez-vous sur la terrasse de ma maison dont une petite partie est recouverte. J’aimerais recouvrir le reste de plastique pour mieux les protéger de la pluie et du froid », ajoute-t-elle d’un ton innocent.

Une activité prise au sérieux

Reem est arrivée à se glisser dans la peau d’une enseignante malgré son jeune âge et elle a compris comment gérer sa classe. Youssef, 8 ans, un enfant turbulent mais brillant, déclare : « Miss Reem sait expliquer les maths et l’an­glais mieux que mon professeur à l’école ! ». Ce dernier obéit à la jeune « enseignante », mais use de subterfuges pour éviter les punitions. Reem gronde ou donne une petite tape sur la main à un enfant turbulent et elle encourage celui qui a écrit une dictée sans faute sur le tableau en lui offrant un bonbon et en incitant les élèves à l’applaudir. Malak, une fille de 9 ans, assure que la jeune Miss rend la classe plus vivante.

Dans la peau d’une institutrice
(Photo : Mohamad Adel)

Car Reem ne se contente pas d’expli­quer une seule matière, son cours porte sur dif­férents thèmes. « Chaque jour, ma mère m’ac­compagne chez Miss Reem alors que nous habitons loin d’ici et faisons le parcours à pied. Mais cela vaut la peine, car j’apprends plein de choses ! », dit-elle, enthousiaste. Et il y a même des examens ! Les épreuves préparées par Reem comprennent des questions sur toutes les matières, comme l’a fait le ministère de l’Edu­cation. « Vu mon jeune âge, j’arrive à com­prendre la mentalité des enfants en me mettant à leur place. Je sais quelles sont les lacunes dans chaque matière enseignée et les pièges dans lesquels risquent de tomber les élèves. Une chose que je maîtrise bien mieux que les enseignants adultes », dit-elle avec assurance. « Je tiens compte de l’âge et des compétences de chaque enfant. Si un élève a des difficultés en classe, je lui donne un cours de soutien après avoir terminé mes leçons et mes devoirs », explique la fillette dont les cours débutent à 10h et prennent fin à 15h, et ce, pour pouvoir se consacrer par la suite à ses propres études.

Fille d’une ouvrière, cette fille issue d’une famille modeste donne bénévolement ces cours. Elle explique que les enfants dans les villages ont assez de temps libre pour s’investir et rendre service à leur entourage, ce qui n’est pas le cas des Cairotes. « Je ne possède pas de téléphone portable », dit-elle. Une chose qui, pour elle, pourrait lui faire perdre son temps inutilement.

Dans la peau d’une institutrice
(Photo : Mohamad Adel)

Aujourd’hui, son expérience encourageante et prometteuse a eu beaucoup d’écho sur les réseaux sociaux. Nombreux sont ceux qui se sont dirigés vers son village pour présenter le profil de cette jeune Egyptienne. Plusieurs hommes d’affaires, le propriétaire d’une école privée et même des libraires ont offert à Reem et à ses élèves des cahiers de dessin, un tableau et une éponge pour l’effacer, sans compter les masques et les flacons de gel hydroalcoolique pour soutenir cette fille qui s’apprête à entamer le second semestre, à la fois en élève et en instit !

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