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Syriens et Palestiniens face à la xénophobie

Chahinaz Gheith, Lundi, 05 août 2013

Soupçonnés de participer aux troubles sécuritaires actuels aux côtés des islamistes, les réfugiés syriens et palestiniens sont l'objet de menaces verbales, d’une surveillance renforcée et de mise en détention provisoire. Pourtant, quitter l'Egypte leur est inconcevable.

Syriens et Palestiniens face à la xénophobie

« Cette mesure rend un grand service au régime d’Assad en obligeant des milliers de Syriens à subir les bombes, sans aucune chance de fuir. Mais pour qui le régime militaire égyptien roule-t-il donc ? », se demande Ziad Gacem, furieux, après que les autorités égyptiennes eurent décidé de limiter l’arrivée de nouveaux réfugiés syriens en leur imposant un visa. Auparavant, un passeport syrien en cours de validité était suffisant pour entrer dans le pays. Et d’ajouter : « Nous n’avons pas d’autre choix. La guerre aux portes de nos maisons, les enlèvements, les tortures, les viols et la mort avaient déjà décidé pour nous ». A leur arrivée au Caire il y a deux mois, Ziad, sa mère et son jeune frère avaient dû laisser leur père à Lattaquié, en Syrie, car ils n’avaient pas suffisamment d’argent pour payer son billet d’avion. Il est finalement arrivé au Caire le 8 juillet après avoir collecté les 250 dollars nécessaires. Malheureusement, il n’a pas été autorisé à franchir le contrôle des passeports. « Le fait que certains Syriens ont commis des violations en s’impliquant dans des affaires politiques égyptiennes ne veut pas dire que l’Egypte doit punir tous les Syriens », s’indigne Ziad. Il craint que son père âgé de 70 ans ne soit torturé ou exécuté, une fois refoulé en Syrie.

Le père de Ziad fait partie de milliers de Syriens touchés par les nouvelles mesures de sécurité mises en place par les autorités égyptiennes après la destitution de l’ancien président Mohamad Morsi. Autrement dit, l’éviction de ce dernier a eu des répercussions tumultueuses non seulement sur le pays et les Egyptiens, mais touche aussi les réfugiés syriens et palestiniens qui y résident. Sous Morsi, l’Egypte a ouvert les portes aux Syriens, mais maintenant que la stabilité intérieure est encore plus menacée, des vols en provenance de Syrie ont été reconduits, des réfugiés syriens sont traités avec méfiance, faisant l’objet de menaces verbales, d’une surveillance renforcée et de mise en détention provisoire. Cela après une campagne de haine orchestrée par certaines chaînes de télévision affirmant que les Syriens étaient payés par les Frères musulmans pour attaquer les manifestants anti-Morsi lors des affrontements survenus au Caire. « Les traîtres, nous les tuons. Ils n’ont aucun honneur. Ils ne connaissent même pas ce mot. Il n’y a que l’argent qui les intéresse. Nous devons boycotter les magasins syriens, car ils utilisent notre argent pour nous terroriser », lit-on sur les réseaux sociaux. « De nombreux chômeurs syriens ont touché 300 L.E. (43 dollars) du bureau du guide des Frères musulmans pour participer aux manifestations pro-Morsi », prétend le texte.

Ton résolument agressif

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Une campagne de boycott des produits turcs a été lancée suite aux déclarations d'Erdogan soutenant Morsi.

Le texte va jusqu’à accuser des Syriens d’avoir utilisé des armes fournies par la rébellion combattant le régime de Damas lors des heurts entre pro et anti-Morsi. A la télévision, le ton est résolument agressif. « Si vous restez aux côtés des Frères, le peuple détruira vos maisons », a lancé le présentateur Tewfiq Okacha, sur la chaîne privée Al-Faraïn. « Le peuple n’est pas prêt à accepter que des agents ou des espions sapent sa victoire contre Morsi », ajoute ce présentateur. Le journaliste Youssef Al-Husseini a prévenu sur la chaîne ONTV : « Syrien ! si tu te mêles de nos affaires, nos bottes t’écraseront dans la rue ». La chaîne et Al-Husseini se sont ensuite excusés pour l’émoi suscité à la suite de cet acharnement. Un discours d’incitation à la haine qui a eu sans doute son impact sur les Syriens vivant en Egypte qui se sentent désormais indésirables. « Nous ne sommes plus les bienvenus en Egypte. Les gens maltraitent les Syriens. Ils ne disent rien, mais ils répondent à mon bonjour en grognant, leur visage se renferme quand je m’adresse à eux », explique Qutaiba Idlibi, réfugié syrien habitant la cité du 6 Octobre. Et d’ajouter : « Ces attitudes me font sentir que mon identité de Syrien est en soi une honte. Une personne m’a dit clairement, lors d’un entretien d’embauche, que même si j’avais toutes les qualifications nécessaires pour le poste, il s’excusait de ne pas pouvoir m’embaucher. Cela pourrait gêner ses clients et les autres employés. Les Egyptiens ayant des sentiments mitigés par rapport à la présence de réfugiés décidé, face à cette situation, de limiter autant que possible ses sorties de la maison. « Sans vouloir être parano, je sens leur rejet dans leurs regards même s’ils ne disent rien. J’ai mal de devoir tout le temps gérer l’agressivité non verbale des Egyptiens à mon égard, même s’il est vrai qu’il y a des personnes gentilles et que tous les Egyptiens ne sont pas pareils », affirme-t-il.

Cette vague de xénophobie alimentée notamment par les médias ne vise pas seulement les réfugiés syriens. Les Palestiniens sont eux aussi taxés d’ingérence dans les affaires égyptiennes. Des centaines de Palestiniens en séjour au Caire ont été refoulés par les militaires égyptiens près du terminal de Rafah fermé actuellement, en attendant de pouvoir rentrer chez eux. Le 5 juillet, l’Egypte avait fermé le terminal de Rafah, unique accès aux territoires palestiniens, à la suite de menaces de représailles émises par des groupuscules islamistes suite à la destitution du président Mohamad Morsi par l’armée, provoquant une pénurie de carburant et de ciment dans la bande de Gaza. « A quand la fin de cette gigantesque prise d’otages palestiniens ? Quand va-t-on mettre un terme à cette punition collective infligée à des gens qui sont interdits de sortir, étouffés, alimentés au compte-gouttes, sans eau potable, avec de l’électricité quand les gardiens du camp veulent bien leur en servir et la mort en perspective pour de nombreux malades souffrant de cancer ou nécessitant une dialyse non accessible à cause du blocus ? », s’indigne Ammar Mostafa, un Palestinien résident au Caire, en ajoutant que son cousin, un Gazaoui atteint de cancer, a été détenu pendant 5 jours à l’aéroport du Caire, sans pouvoir mettre les pieds en Egypte, tant que le passage de Rafah était fermé par les militaires, alors qu’il était venu pour poursuivre son traitement dans l’institut de cancer.

Fausses informations

Syriens et Palestiniens face à la xénophobie
Plusieurs vols transportant des Syriens ont été refoulés à l'aéroport du Caire à cause du visa instauré récemment.

L’incitation à la haine ne cesse de s’exacerber dans les médias. Ce qui a poussé une dizaine d’ONG égyptiennes à publier le 7 juillet 2013 une déclaration condamnant les fausses informations des journalistes égyptiens qui ont recours à un discours hostile contre les peuples syrien et palestinien. Les organisations signataires de la déclaration ont affirmé que cette haine était due à la passivité des gouvernements successifs après la révolution du 25 janvier. Ils n’ont pris aucune mesure pour arrêter ces discours racistes, qui ont été déversés à de nombreuses reprises. Par conséquent, les auteurs de ces propos ont intensifié leur haine envers ces réfugiés sans aucune retenue. « Il faut identifier clairement la fine ligne existant entre la liberté d’expression et les discours hostiles et incendiaires », a indiqué le communiqué.

L’écrivain Fahmi Howeidi estime toutefois qu’il ne faut pas généraliser et stigmatiser de centaines de milliers de réfugiés syriens en quête de sécurité. Selon lui, dans ce genre de situation, on cherche toujours des boucs émissaires. En Egypte, se mêlent l’amalgame et le chauvinisme primaire, et pour expliquer la grande mobilisation dans le camp Morsi, on accuse les étrangers. Pour de nombreux Egyptiens, tout Syrien est systématiquement Frère musulman. « Lorsque les choses vont mal dans un pays, les gens se mettent trop souvent à la recherche d’un bouc émissaire, de préférence faible », assure-t-il. Et ce bouc émissaire, d’après Ahmad Najjar, journaliste palestinien, s’avère souvent être les Palestiniens vivant dans le pays. D’après lui, les accusations et les rumeurs montées de toutes pièces peuvent facilement conduire à des campagnes haineuses qui parfois dégénèrent en massacres. Au Koweït, les Palestiniens ont payé un lourd tribut à l’occupation décidée par Saddam Hussein, alors que la majorité d’entre eux condamnaient l’occupation et appelaient au retrait de l’Iraq des territoires koweïtiens. En Iraq, les Palestiniens ont été massacrés par les milices des différentes sectes. Cette tragédie s’est répétée dans le camp de réfugiés de Nahr Al-Bared au nord du Liban et dans celui de Yarmouk en Syrie. Sans oublier que l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi avait chassé les Palestiniens de Libye en raison d’un conflit qui opposait Kadhafi à leurs dirigeants. « Nous devons refuser de faire des questions syrienne et palestinienne des victimes du conflit politique actuel en Egypte. L’arabité de l’Egypte est bien plus grande que les conflits partisans », réagit sur sa page Facebook Ziad Bahaeddine, vice-premier ministre.

« Racisme et sadisme »

Syriens et Palestiniens face à la xénophobie

Selon les observateurs, ces déclarations de haine et d’incitation diffusées par les médias égyptiens ne sont pas seulement portées contre les Palestiniens et les Syriens, elles le sont aussi contre tous ceux qui soutiennent l’islamisme, à tel point que l’humoriste Bassem Youssef a qualifié le langage utilisé par des médias égyptiens après le 30 juin de « fasciste », notant que « la victoire a été transformée en racisme et sadisme ». Quant au chercheur Ahmad Abdallah, il pense qu’il faut traquer les rumeurs, sources de tous les maux. Selon lui, en 2009, suite aux incidents liés à la défaite de l’Egypte face à l’Algérie en match qualificatif pour la Coupe du monde, les rumeurs incitaient à considérer les supporters de football algériens comme des sanguinaires. Il y a quelques mois, de nombreuses rumeurs sur les Palestiniens circulaient au Caire. L’une d’elles suggérait l’intention palestinienne d’envahir le Sinaï pour y fonder un futur Etat … Comme si les Palestiniens allaient renoncer à Jérusalem pour prendre Charm Al-Cheikh comme capitale ! La chute de Mohamad Morsi a récemment alimenté certains assentiments à l’égard des Syriens et des Palestiniens vivant en Egypte, pour dire enfin qu’ils sont pro-Frères et qu’ils sont payés pour accomplir leur basse besogne. « Il est vrai que le Hamas est une émanation des Frères musulmans et que les Frères syriens ont une connivence idéologique avec leurs Frères égyptiens. Il n’en reste pas moins que les réfugiés sont souvent victimes de cette politique », explique Abdallah.

A présent, les médias égyptiens n’hésitent pas à souffler sur la braise en incitant l’opinion publique contre la Turquie, suite aux déclarations du premier ministre turc Tayyip Erdogan soutenant le président déchu Morsi, victime, selon lui, d’un « coup d’Etat ». Les Egyptiens ont, pour leur part, décidé de boycotter tous les produits turcs, y compris les feuilletons télé, les magasins, les produits de consommation et autres. « Occupez-vous de ce qui vous regarde », c’est le message que des Egyptiens, de plus en plus irrités par les critiques sur la destitution de Morsi, adressent aux Turcs. Et ce, à travers le mouvement intitulé Bent Masr (la fille de l’Egypte) qui a soutenu la campagne de boycott des produits turcs.

Syriens et Palestiniens face à la xénophobie
Des réfugiés syriens manifestant contre la xénophobie alimentée par les médias.

Pris entre le marteau et l’enclume, les réfugiés syriens livrés à leur triste sort continuent d’être à la merci des tensions politiques. Wissam Abdallah, un réfugié syrien d’une quarantaine d’années, s’est rendu dans une école située dans le quartier du 6 Octobre au Caire, afin d’inscrire ses trois enfants pour la prochaine rentrée qui devrait débuter en septembre. Le directeur de l’école lui a carrément dit que les Syriens n’étaient plus acceptés dans les écoles publiques. Il est à noter que le président déchu Morsi avait déclaré que les réfugiés syriens étaient autorisés à inscrire leurs enfants dans les écoles et les universités publiques, et bénéficieraient d’un traitement identique aux Egyptiens en termes de frais de scolarité. Mais tout a changé après l’éviction de ce dernier. « Pour inscrire mes enfants dans une école privée, je dois payer des frais de scolarité d’un montant minimum de 7 000 L.E. (958 dollars) pour chacun d’eux. Je ne peux pas me permettre de telles sommes alors que je suis au chômage et que je survis grâce aux aides », conclut Wissam Abdallah, qui craint aujourd’hui d’être forcé de quitter l’Egypte. Mais pour aller où ? « Il n’y a rien de pire que d’être un réfugié en errance permanente », conclut-il.

Syriens et Palestiniens face à la xénophobie
Autorisés à inscrire leurs enfants dans les écoles publiques sous Morsi, les Syriens ont désormais perdu ce droit.

La situation des réfugiés en Egypte prend des proportions inédites. En janvier 2013, le nombre de réfugiés africains officiellement enregistrés en Egypte s’élevait à 35 180, selon le Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés. Le HCR indique que le nombre de demandes d’aides financières déposées par les réfugiés a sensiblement augmenté après la révolution. L’organisation apporte une aide financière à seulement 25 % des 35 180 réfugiés africains, représentant ainsi la plus grande tranche. En ce qui concerne les réfugiés syriens, les autorités égyptiennes évaluent à plus de 300 000 le nombre de ressortissants syriens présents sur ses territoires. Quant aux réfugiés palestiniens, selon des statistiques approximatives, le nombre de Palestiniens de la diaspora se chiffre à près de 6 millions de personnes, dont cinq millions dans les pays arabes et un million en Europe, au Canada et aux Etats-Unis. De nombreux réfugiés vivent dans les pays limitrophes, c’est-à-dire dans des pays qui ont une frontière directe avec la Palestine : environ 3 millions en Jordanie, 500 000 au Liban et 500 000 en Syrie. Le nombre de réfugiés palestiniens vivant en Egypte est estimé à 70 000.

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