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2013, un Ramadan bien triste …

Dina Darwich, Mardi, 30 juillet 2013

Cette année, les festivités du mois du Ramadan sont rares. Les Egyptiens ont-ils perdu leur joie de vivre à cause des troubles politiques et de la crise économique ? Tournée dans les quartiers du Caire.

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Le marché des lanternes en pleine récession.

Ramadan n’est plus le même chez Oum Attiya. Mère de 9 garçons et filles, et grand-mère d’une quarantaine de petits-fils, elle avait l’habitude d’organiser un grand festin le premier jour du Ramadan et tous les vendredis pour recevoir toute sa smala formée de plus de 100 personnes. Sa maison située au quartier de Héliopolis ressemblait à une ruche, chaque mère de famille déployait des efforts colossaux pour préparer le meilleur plat. Une compétition culinaire ? Peut-être, mais il s’agissait aussi d’une occasion pour rassembler les générations de cette grande famille.

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Plusieurs familles passent leur temps dispersées entre Rabea et Tahrir.

Cette année, la politique semble troubler les relations familiales. La divergence des avis politiques a dispersé les frères et les cousins. Howaïda, 45 ans, la benjamine d’Oum Attiya, s’est précipitée pour prendre son iftar à la place Rabea Al-Adawiya dans le quartier de Madinet Nasr en solidarité avec les islamistes. Alors que son fils Ahmad, âgé de 60 ans, est allé à la place Tahrir pour célébrer la victoire de la révolution. Quant à Chérif, 23 ans, petit-fils d’Oum Attiya, a préféré prendre son iftar à Abdine, avec des jeunes de son âge, à la mémoire de Jika, un martyr de la révolution, membre du mouvement du 6 Avril, qui a trouvé la mort à 17 ans. « Jika est l’icône de la révolution », poursuit Chérif.

Chez Oum Attiya, seulement 3 de ces enfants avec leur famille n’ont pas raté le festin. « Nous appartenons au hezb al-canaba (parti du canapé). C’est-à-dire qu’on n’a pas de position précise vis-à-vis des événements politiques actuels. On veut à tout prix éviter les disputes politiques qui ne cessent de provoquer des remous au sein de chaque foyer, notamment en ce premier jour du Ramadan qui a toujours été une occasion de rencontres familiales », avoue Karima, 66 ans, fille cadette d’Oum Attiya.

Le mois du Ramadan s’installe alors que l’Egypte traverse un moment critique. Un mois qui a toujours eu son charme et sa particularité depuis plus de 1 000 ans. Cette année, c’est la déception qui règne. Plus de 2 ans après la révolution du 25 janvier, le peuple égyptien tente encore de trouver une issue à l’impasse. Il est vrai que le 30 juin a ouvert un nouvel horizon, mais la division qui domine la rue égyptienne reste encore un dilemme. Depuis le début de ce mois, des campagnes sont lancées pour arrêter l’effusion de sang et respecter ce mois sacré.

Entre alerte, colère et espoir, le citoyen égyptien mène un train de vie triste. « Les matinées du Ramadan sont difficiles à cause des embouteillages dus aux manifestations. Les soirées sont angoissantes, puisque la mobilisation a eu lieu après l’iftar. Il s’agit d’un Ramadan particulier qui va marquer l’Histoire. Un mois qui restera gravé dans la mémoire des Egyptiens », assure Nadia Radwane, sociologue.

Dès le premier jour du mois, l’Egypte ne s’est pas revêtue de sa robe de fête comme d’habitude. L’apparition du croissant lunaire annonçant le mois sacré était célébrée par une cérémonie religieuse glorieuse remplaçant le cortège organisé par les Fatimides dès leur arrivée en Egypte. Il parcourait tous les quartiers du Caire pour annoncer l’arrivée du mois sacré. Cette cérémonie a été annulée cette année. Dar Al-Iftaa a annoncé le mois du Ramadan en diffusant un simple communiqué.

Selon la chaîne CNN, il s’agit d’une rue qui a perdu sa particularité durant ce Ramadan, alors que les festivités ont disparu. Les lanternes du Ramadan, qui s’allumaient partout dans les rues et devant les magasins, sont plus modestes, alors que des marches de manifestants parcourent les différentes artères de la capitale.

Les tables de charité, dressées depuis l’arrivée des Tulunides en Egypte, dont le nombre a atteint 13 500 tables en 2009, offraient environ 1,9 million de plats aux plus démunis (selon les chiffres du Conseil des ministres). Cette année, seules quelques dizaines de tables sont dressées à cause de la crise économique. Et au lieu de trôner dans les grandes artères, les organisateurs les ont installées dans les petites ruelles. S’agit-il d’un Ramadan triste ?

D’autres exemptions

Selon l’historien Abdel-Rahman Moustapha, l’Egypte a vécu des « Ramadans similaires » durant son histoire contemporaine qui ont eu leur impact sur l’Egyptien. En 1948, le premier jour du mois sacré avait coïncidé avec le déclenchement de la bataille menée par les armées arabes contre l’entité sioniste suite à une courte trêve. « C’était vraiment un moment décisif dans l’histoire d’une nation qui a lutté pour assurer l’arabité de Jérusalem », poursuit l’historien.

En 1967, face à la déception générale après la défaite de l’Egypte, le premier jour du Ramadan, l’Egypte a ouvert la porte à l’immigration à l’étranger. « C’était un Ramadan triste, surtout suite à la défaite de 5 juin », ajoute l’historien. En 1973, les unes des journaux ont publié, le premier jour du Ramadan, une nouvelle concernant le départ des officiers vers La Mecque pour faire le petit pèlerinage, afin de camoufler la préparation de la grande bataille. Pourtant, durant les 9 jours qui ont précédé la victoire du 6 Octobre (le 10 du Ramadan), la déception avait atteint son apogée. Les gens avaient presque perdu tout espoir après 6 ans d’attente, durant lesquels on hissait le slogan « Ni guerre, ni paix ».

« Cette année, on a perdu l’esprit de fête et le sens de l’humour. Il est vrai qu’on continue à préparer les plats du Ramadan, à regarder les feuilletons et à échanger les félicitations avec les amis et la famille, mais sans le moindre enthousiasme », résume Héba Samir, 42 ans, professeur qui partage les mêmes sentiments d’une grande majorité d’Egyptiens. Celle-ci fait la queue devant un pâtissier qui vend de la konafa (célèbre dessert spécifique au Ramadan), où le débat politique s’acharne. « Il s’agit d’une autre défaite », ajoute une femme, sur un ton plein de chagrin.

« J’ai vécu la défaite de 1967, mais ces jours-ci semblent plus difficiles. Au moins, après la défaite, on connaissait notre ennemi, on était tous dans le même camp et on arrivait à soigner nos blessures. Mais aujourd’hui, la situation est différente, on ne sait plus d’où on peut recevoir le coup », dit-elle. Un partisan au président Morsi entre en jeu. « Ce qui aggrave la situation dans une rue en ébullition c’est ce sang qui coule, ce qui accentue le fossé qui ne cesse de s’élargir dans la société égyptienne. Comment fêter le Ramadan alors que des victimes tombent et des familles voisines vivent en deuil ? », s’interroge-t-il.

Le coût de la récession

Au souk du yamich (dattes et noix), c’est la même ambiance de déception qui règne. Au premier regard, on ressent la récession. Pour attirer les clients, les vendeurs ont eu recours à la politique pour commercialiser les denrées du Ramadan : dattes de Morsi, dattes de Sissi, dattes de Tamarrod (mouvement qui a guidé la révolution du 30 juin), dattes du 30 juin, dattes du 25 janvier, etc. Le prix de cette variété varie selon la popularité de chaque personne ou mouvement dans la rue égyptienne. Alors que le prix du kilo de dattes de Morsi ne dépasse pas les 6,5 L.E., le prix du kilo de dattes de meilleure qualité et qui ont pour nom Tamarrod, s’élève à 8,5 L.E.

Malgré ces efforts, les ventes, lors de cette saison généralement connue par une forte consommation, semblent très faibles cette année. Selon Mohsen Zaher, PDG de l’association Al-Nil pour la protection des consommateurs, le prix du yamich importé (noix, pistaches, noisettes, etc.) a connu une hausse de 25 % par rapport à l’année dernière, en contrepartie d’une hausse entre 10 à 15 % pour le yamich local (dattes et raisins secs). « Le taux d’inflation a atteint cette année un chiffre record d’environ 10,9 %. Non seulement on a perdu l’esprit de fête, mais aussi les moyens financiers de célébrer le mois du Ramadan », lance Abir, femme au foyer, qui a réduit les quantités de yamich cette année de moitié.

Au marché des lanternes, les vendeurs qui faisaient fortune durant ce mois se rebiffent. Les commerçants font tout ce qu’ils peuvent pour attirer l’attention des clients, en mettant une touche d’humour dans son quotidien triste. Une variété de lanternes originales est offerte aux clients, comme cette miniature du président déchu, Moubarak, qui conduit un tok-tok et répète : « Ramadan Karim ». Un moyen par lequel, Amr, vendeur de lanternes qui appartient au groupe « Pardon M. le président », tente d’attirer des clients feloul.

Avec ce même esprit d’humour, Hagg Gaber offre aux islamistes une lanterne sous forme d’une miniature du président déposé, Morsi, installé devant une mosquée. Sur la lanterne est inscrit un verset coranique qui lui promet la victoire. Cependant, Mohamad, un autre commerçant de lanternes, assure qu’il n’arrive même pas à vendre la moitié de la quantité qu’il a importée à cause de la hausse du prix du dollar (7,1 L.E. contre 5,5 L.E. avant la révolution). Le prix de la lanterne a subi aussi une hausse. Il varie entre 16 et 100 L.E.

Une question s’impose donc : un peuple récemment politisé doit-il payer le prix de cet éveil ? « Les Egyptiens tentent de plus en plus de s’habituer à une telle situation. On va être comme les Libanais et acquérir la capacité de s’adapter aux conditions de sécurité difficiles. Un peuple qui a mené un train de vie avec 2 dollars par jour est capable de vaincre tous les défis. Quand la tempête sera passée, il en sortira plus fort, apte à rire de ses malheurs et à fêter ses cérémonies à sa manière typiquement égyptienne », conclut Radwane.

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