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Ecole à la maison: Confusion, interrogations et casse-tête

Chahinaz Gheith, Mardi, 24 mars 2020

Annulation des examens, mais projets personnels à présenter, cours virtuels, e-learning, les mesures se multiplient pour que la fermeture des établissements scolaires et universitaires, destinée à contrer la propagation du Covid-19, ne se transforme en vacances. Une période plutôt chahutée qui s’annonce, à laquelle enseignants, élèves et étudiants mais aussi familles tentent de s’accommoder tant bien que mal.

Les cours à distance, une expérience nouvelle tant pour les professeurs que pour les étudiants.
Les cours à distance, une expérience nouvelle tant pour les professeurs que pour les étudiants.

Faire cours depuis sa cuisine, c’est une première pour Hala Adel, professeure universitaire. Mais après la décision du président Abdel-Fattah Al-Sissi de fermer les établissements scolaires et les universités du 15 au 29 mars, il a bien fallu s’adapter. Car la situation que traverse le monde suite à la propagation du Covid-19 a amené à introduire de nouvelles formes pédagogiques en vue d’assurer la continuité de l’enseignement. En effet, ces fermetures d’écoles et d’universités ne signifient pas pour autant que les élèves sont en vacances anticipées. 23 millions d’écoliers et 3 millions d’étudiants universitaires sont tenus de suivre les cours à distance, à domicile. Face à l’urgence et aux décisions successives, l’heure est surtout au branle-bas de combat, à la débrouille et à l’improvisation. Pour l’instant, Dr Hala prend avec philosophie cette situation originale : « C’est une autre façon d’enseigner. J’attends de voir le résultat, mais je pense que ça va être positif ». En tout cas, rester à la maison ne signifie pas, selon elle, un laisser-aller : « Il faut quand même avoir une tenue en face des étudiants. Donc pas de cours en pyjama et pantoufles ». En face d’elle, une trentaine d’étudiants vont suivre leur cours depuis leur domicile via l’application Zoom ou Skype, deux plateformes de visioconférence. Et pour cette première séance de cours qui va durer trois heures, Hala ne ressent pas spécialement de stress, du moins pas plus que d’habitude.

De l’autre côté de l’écran, Farida, une étudiante en 2e année à la faculté de langues, tente de suivre le cours à distance, chez elle. Comme ses soeurs en primaire, elle a sauté de joie à l’idée de ces vacances inopinées. L’euphorie retombée, elle réalise aujourd’hui que la mesure est un peu compliquée. Devant son écran, elle fait signe aux autres membres de la famille (eux aussi cloîtrés à la maison) de rester calmes. Tout compte fait, cette expérience de classe à domicile ne lui déplaît pas. Pas besoin de se rendre à l’université à 9h du matin, de passer de salle en salle, de s’habiller bien. Une tasse de café et un paquet de chocolat sur le bureau, le chien couché sur les pieds, tout cela s’annonce sympathique !

Système D et improvisation

L’ordinateur bipe à chaque nouvelle connexion et le téléphone posé à côté du clavier n’en finit pas de vibrer. Les messages de ses camarades affluent: « T’as fait comment ? », « C’est nul, ça marche pas », « Je clique sur le lien, mais y a rien ! ». A 14h, la professeure lance la connexion. Après quelques couacs, le cours débute, tant bien que mal, le temps que tout le monde se connecte. Elle prend les absences, même pour ce cours virtuel, et s’assure qu’elle est bien entendue par ses étudiants. De l’improvisation qui tient du système D, mais ça marche. La professeure ne voit pas ses étudiants, sauf ceux qui ont branché leur caméra. Il faut compter avec les bugs et autres coupures, la liaison est hachée. Un à un, les étudiants quittent le groupe faute de se faire entendre. Même la professeure finit par jeter l’éponge après un combat héroïque. Déconnexion totale, fin obligatoire du cours ! Pourtant, Dr Hala ne baisse pas les bras et déclare de retenter le coup demain matin à 9h et d’opter pour un « drive » (service de partage de fichiers sur le Web) ou même de préparer une vidéo ou un power-point accompagné d’un enregistrement audio.

Et bien que certaines universités tentent de faire leur mieux pour que cette situation exceptionnelle ne pénalise pas les étudiants, l’enseignement à distance n’est pas chose facile, surtout en ces temps d’improvisation. Aussi, les cours en ligne ne peuvent pas remplacer les travaux pratiques de certaines facultés. « Cela m’inquiète pour l’obtention de mon année. Chez nous, il y a beaucoup de pratique, et pas seulement des cours théoriques. Donc, je me demande comment nous allons faire pour rattraper le retard. Ça va être compliqué de faire un suivi par Skype, sachant que la plupart des projets ne sont pas numériques », se plaint Hicham, étudiant à la faculté de polytechnique.

Si ces jeunes étudiants appréhendent les cours à distance, c’est encore plus compliqué, parfois chaotique, pour les écoliers. Pour les mères, l’école à la maison est un grand défi. Une situation difficilement gérable pour les élèves : d’un côté, les plus petits sont parfois moins responsables, de l’autre, les pannes de sites des écoles sont fréquentes à cause du fort trafic. Et il a fallu quelques jours pour que les mamans instaurent une certaine discipline, surtout que les écoliers se comportaient comme s’ils étaient en vacances. « C’est compliqué de tout faire à distance, d’être enfermée. Cela donne moins envie de travailler. C’est la vie d’une classe qui fait qu’on apprenne et non pas les échanges avec les professeurs par mail », témoigne Radwa, une élève en troisième préparatoire qui s’est disputée avec sa mère et a décidé de mettre les livres de côté. Et ce, une fois qu’elle a appris la décision du ministre de l’Education concernant l’annulation de l’examen de sa soeur en quatrième primaire, alors qu’elle ne sait pas pour l’instant comment ses examens vont se dérouler.

« Pas d’examens de fin d’année pour les élèves des classes de 3e primaire jusqu’à 2e préparatoire, ces derniers présenteront une recherche sur la tribune électronique, et ce, pour chaque matière, avec l’aide du professeur, dans un délai de deux mois. Quant à ceux de la 1re et de la 2e année secondaire, ils vont passer l’examen sur leur tablette chez eux. Et pour la Sanaweya amma (bac national), il n’y a ni annulation ni report des examens », a déclaré Dr Tareq Chawqi, ministre de l’Education, tout en ajoutant qu’il n’y a aucune intention de supprimer des parties des programmes scolaires, malgré l’annulation des examens, et que les élèves et les parents sont priés de poursuivre la vie pédagogique en ligne en suivant toujours les cours diffusés sur la tribune numérique et la librairie électronique, afin de réaliser une performance scolaire.

Prendre son mal en patience

Voilà donc toute la difficulté pour les mères : convaincre les enfants qu’il faut faire l’école à la maison alors qu’il n’y aura pas d’examens. Sans compter le défi même de remplacer le professeur. « Ce n’est pas évident. Comment peut-on organiser tout cela à la maison ? », se demande Naglaa, mère de trois filles, deux au primaire et la troisième à la 1re année secondaire. « Je vais m’arracher les cheveux. Je n’arrive pas à me connecter sur le site Web de l’école pour avoir plus d’infos sur les recherches que mes enfants doivent présenter. Ça fait une heure et demie que j’essaie, mais ça ne fonctionne ni depuis mon portable, ni depuis l’ordinateur. Ma fille aînée s’est levée à 8h30 pour être prête à 9h pour entendre les explications via la plateforme d’e-learning. Toute la classe doit être connectée au même moment », se plaint-elle, en espérant que les gens seront plus raisonnables et se connecteront de manière plus espacée. Un seul ordinateur à la maison pour trois enfants chez cette maman qui, comme beaucoup de familles, essaie de se débrouiller tant bien que mal avec la mise en place de l’enseignement à distance. D’ailleurs, les familles sont inquiètes pour leurs enfants, elles cherchent donc à les faire travailler le plus vite possible. Du coup, tout le monde s’est connecté en même temps et les serveurs ont du mal. Raison pour laquelle le ministère des Télécommunications tente de son côté de régler le problème en augmentant les capacités d’accueil et en améliorant les connexions aux espaces numériques de travail pour les élèves. « On a eu quelques mails de certains professeurs, pas tous, nous envoyant des explications de leçons, des exercices à faire pour avancer. Un seul professeur, celui de physique, a tenté de faire une classe virtuelle. Un échec. Il a ouvert un espace chat pour permettre les interactions. C’était une bonne idée, mais ça ne marchait pas du tout. Alors, on a basculé sur Whatsapp. C’était fou », raconte une autre mère d’un fils au secondaire et qui soulève par ailleurs la problématique de l’exposition aux écrans posée par l’enseignement à distance. « On passe notre temps à sensibiliser nos élèves aux risques des écrans et aujourd’hui, tout d’un coup, on ne cesse de leur demander de travailler sur des ordinateurs toute la journée ! », ironise-t-elle.

Et en attendant que les serveurs et les professeurs répondent, Chérine Fathi, professeur de français dans une école, préfère relativiser. « L’important, c’est la santé, se rassurer les uns les autres, les recherches et les exercices en ligne, ça passe après. Oui, on va envoyer du travail aux élèves, mais tant pis si ça ne marche pas rapidement. Entre une recherche à présenter et la santé, il n’y a pas photo. Il faut aussi que les gens se recentrent sur l’important », estime-t-elle. Celle-ci a créé un groupe Whatsapp pour s’entraider et donner ses disponibilités en cas de besoin.

Le mot d’ordre est solidarité. On dirait que c’est un tissu associatif dense entre les mamans perdues dans les méandres de la technologie et qui ont toutes intérêt à être soudées. Quant aux professeurs, ils déplorent un problème d’impréparation. « Tout arrive trop vite, les décisions tombent les unes après les autres. Nous n’avons pas eu le temps de mettre des choses en oeuvre. Nous avons seulement reçu, le samedi 14 mars, la veille de la fermeture des écoles, un message sur la continuité pédagogique venant du ministère qui nous dit de faire des classes virtuelles et d’e-learning, alors que plusieurs professeurs n’ont pas reçu de formation sur l’enseignement à distance et ne connaissent pas les plateformes d’enseignement en ligne. De plus, beaucoup de nos élèves n’ont pas d’ordinateur chez eux et de connexion Internet, en dehors de leur téléphone portable. Ces derniers n’ont donc qu’à regarder les cours spécialisés diffusés sur la télévision par le ministère de l’Education. Chose qui va renforcer encore plus les inégalités sociales. Pourtant, nous n’avons d’autre choix que de s’adapter face à une situation qui évolue d’un jour à l’autre », conclut Moustapha Emad, professeur dans une école publique .

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