« Rien n’est définitivement acquis », avait dit Simone De Beauvoir. La régression en matière de droits des femmes égyptiennes est-elle en marche ? Ces dernières se sont battues pour leurs acquis et sont toujours bien décidées à poursuivre la lutte pour défendre leurs droits. Des rassemblements séparés ont eu lieu ces dernières semaines. Des milliers de femmes se sont réunies en face du club Ahli à Zamalek, pour contrer toute velléité de régression qui peut porter atteinte à leurs acquis. « Le projet de loi d’Al-Azhar est en deçà des espérances. C’est un retour en arrière de plus de 50 ans. Il semble même être un point de divergence entre les tenants d’une vision moderniste de la société et ceux qui se drapent d’une vision conservatrice », lance Nihad Aboul-Qomsane, présidente du Centre égyptien des droits de la femme, tout en ajoutant qu’elle aurait aimé que ce projet de loi aboutisse à un code de la famille complémentaire et plus équitable. Selon elle, ce projet comporte des articles qui s’opposent aux libertés et aux droits individuels. Aboul-Qomsane critique par exemple l’article 6, autorisant le père de faire divorcer sa fille adulte de son mari en cas d’incompatibilité tant que le mariage n’a pas été consommé. « En atteignant l’âge de 21 ans, une jeune femme peut devenir entrepreneure ou femme d’affaires, gérer une entreprise d’un capital de plus de centaines de milliers de L.E., voire des millions, alors que le projet d’Al-Azhar ne lui donne pas le droit de choisir son partenaire », lâche-t-elle. Celle-ci affiche également des réserves concernant l’article 15 qui donne le droit aux parents et au mäzouns de faire marier un couple qui n’a pas atteint l’âge minimum actuel (18 ans) s’ils présentent des arguments raisonnables. « Un article qui ouvre grand la porte au mariage précoce, et risque de légaliser la prostitution des mineures, cédées au plus offrant, sous couvert de mariage », fustige Aboul-Qomsane. Car d’après un rapport publié par le Centre des causes de la femme égyptienne, le nombre de filles mariées entre 11 et 18 ans à des Arabes du Golfe atteint quelque 40000 par an, dont 15% considérés comme des mariages « à durée déterminée ».
Et ce n’est pas tout. Selon Nihad Aboul-Qomsane, bien que ce projet de loi ait reconnu l’importance du rôle de la femme dans le couple l’impliquant dans les dépenses de la maison lorsque son mari est incapable de subvenir aux besoins des enfants, il ne met pas la femme sur un pied d’égalité avec l’homme en ce qui concerne la tutelle des biens de ses enfants mineurs plaçant le père, ensuite le grand-père paternel. « Le nouveau projet n’a pas non plus abordé la question de l’avenir de la femme qui doit quitter le foyer conjugal une fois qu’elle n’a plus la garde légale des enfants (une fois que l’enfant atteint l’âge de 15 ans), oubliant d’aborder le calvaire subi par les femmes divorcées, quand l’ex-époux reprend le logement », dit Aboul-Qomsane.
Souvent, sans revenus propres, elles se retrouvent du jour au lendemain dans la précarité. Tel est le cas de Karima, ainsi que de milliers de femmes, qui voient que le projet d’Al-Azhar ne les a pas soutenues. « Je vais devoir quitter le logement familial. Dans six mois, mon ex-mari aura légalement le droit d’occuper l’appartement et je crains de me retrouver dans la rue », se plaint Karima, âgée de 52 ans et mère de trois fils dont le benjamin aura bientôt 15 ans.
Une réforme de façade
« Ce projet me déçoit énormément. Il renferme des choses positives, c’est vrai; mais ce n’est pas une révolution, mais plutôt un progrès de façade. Nous avons besoin d’une législation et des mécanismes aptes à s’attaquer au fond des problèmes, et surtout remédier aux failles », dit Magda Rachwan, avocate de l’Association des procès de la femme égyptienne. Elle cite l’article 54 du projet de loi qui exige que l’homme ayant répudié sa femme enregistre le divorce auprès de la justice dans un délai maximum de 30 jours. « Le divorce verbal (sans document officiel) est une mauvaise exploitation de la religion. La femme se trouve bloquée et sans statut social alors que l’islam l’interdit. Il arrive souvent que le mari nie avoir prononcé la phrase de divorce. Dans ce cas, la femme se retrouve obligée de le prouver au tribunal. Ce périple peut durer plus de six mois même avec des témoins. Et il y a pire encore, quand elle est répudiée verbalement sans témoins en face pour le prouver. Elle va entamer un parcours judiciaire qui pourrait durer plus de deux ans », souligne-t-elle. Un point positif de ce projet de loi, quand même, mais il aurait pu exiger que le divorce ne soit effectif que par la remise d’un document comme le mariage.
De surcroît, le législateur n’a pas banni l’injonction de soumission (Beit Al-Taa), cette procédure judiciaire qui ne se conforme pas à la charia et qui oblige pourtant l’épouse à regagner le domicile conjugal contre son gré. Au cas où elle refuserait, elle est considérée comme « nachez » (réfractaire à la loi). Cela veut dire qu’elle risque de perdre son droit au divorce et à la pension que lui garantit la justice. « C’est une atteinte flagrante aux droits de la femme. Bien que l’injonction de soumission soit invalide après le kholea, il faut toutefois l’éliminer des moeurs. Il faut substituer l’entente du couple à la supériorité masculine. L’homme en islam est responsable du bien-être de sa femme », assure-t-elle.
Les « pour » se défendent
Divorce, pension alimentaire, garde de l’enfant, droit de visite et injonction de soumission, etc. des situations auxquelles sont confrontées les Egyptiennes depuis bien longtemps. A rappeler qu’en 1920, la pionnière Hoda Chaarawi a été la première à protester devant le Parquet avec le slogan « doléances d’une femme » en réclamant la modification des lois relatives au statut personnel pour freiner l’excès de zèle des hommes qui exploitent à tort et à travers le droit au divorce. Depuis cette date et jusqu’à 2000, la loi a connu de nombreuses modifications pour que la femme puisse acquérir plus de droits, jugés toujours insuffisants par certains.
De son côté, Al-Azhar estime que le texte va « défendre les droits des femmes et réglementer les relations familiales et conjugales conformément à la charia sur la base de tolérance et du respect des droits et des devoirs », a expliqué le grand imam, cheikh Ahmad Al-Tayeb, tout en ajoutant qu’en élaborant le texte, Al-Azhar a eu recours non seulement à des oulémas en matière de sciences religieuses, mais aussi à des juristes et des experts spécialisés dans les affaires du statut personnel.
Dr Mohamad Naguib, professeur de la charia islamique, reste optimiste et confiant sur le fait que le statut de la femme est à l’abri d’un retour en arrière. « Les principes de la charia permettent de réglementer la vie courante en fonction des circonstances de la vie », constate-t-il, tout en se référant à l’article 86 du projet de loi qui confirme le lien de parenté en ayant recours à l’ADN, un moyen rejeté autrefois par Al-Azhar.
Les enfants, éternelles victimes des divorces

Après 100 ans de changements
dans la loi, les femmes ont toujours du mal à obtenir leurs droits.
Ce projet de loi n’a donc pas que des ennemis. Fahmi Ahmad, père d’un fils de 5 ans et d’une fille de 8 ans, et membre dans une campagne intitulée « Révolution contre le code de la famille », s’attaque aux deux articles, de la loi actuelle, 102 concernant le droit de visite (röya) et 100 relative au droit de garde accordé à la maman jusqu’à l’âge de 15 ans pour le garçon et la fille jusqu’au mariage. Le nouveau est que le projet de loi d’Al-Azhar modifie la garde de l’enfant en avançant le père au 6e rang (au lieu de 16e de ceux qui sont en droit d’exercer la garde). « Etre séparé de ma femme ne signifie pas être privé de mes enfants. Comment une relation peut-elle se tisser entre un père et ses enfants en 3 heures par semaine, ce qui signifie 6 jours par an », s’indigne ce père. Un autre père ajoute que beaucoup de femmes utilisent les enfants comme moyen de vengeance ou de pression.
Selon la CAPMAS, il y a 15 millions d’enfants dont les parents ont divorcé par les tribunaux, soit 15 millions de victimes à cause des litiges entre les parents. Résultat: certains grandissent sans connaître leur père ou refusent même de le voir les jours de visite. « Qu’attendez-vous d’un enfant qui ne voit son père que quelques heures par semaine dans une salle pleine de monde et qui entend souvent que son père ne l’aime pas ou refuse de subvenir à ses besoins ? Comment un tel enfant peut-il choisir d’aller habiter avec son père à l’âge de 15 ans comme le dicte la loi, un âge où la présence de son père est importante? Et pour la fille, elle doit rester avec sa mère jusqu’au mariage. Que vais-je faire avec ma fille dont un autre homme prend soin ? », s’interroge Samir, un autre père, tout en lançant un appel à réduire l’âge de hadana (garde) à 9 ans. Il dénonce le fait que même sa propre mère, à savoir la grand-mère de l’enfant, ne connaît pas le visage de son petit-fils de 3 ans.
Autre camp, autre avis. Les femmes, qui ont la garde des enfants, refusent que les chérubins voient leur père. « Il veut voir sa fille alors qu’il ne subvient pas à ses besoins. Qu’il paye d’abord, ensuite, il aura un droit de visite », assure une mère. « Qui peut me garantir, en cas d’enlèvement, que je serai capable de le récupérer ? », réplique une autre.
La sociologue Soraya Abdel-Gawad insiste sur le fait d’appliquer le principe de la garde partagée, ce qui signifie une participation de la part du parent qui n’a pas le droit de garde de l’enfant. « Il suffit de jeter un coup d’oeil sur le regard apeuré de l’enfant qui attend de voir son père ou sa mère pendant quelques heures, pour comprendre qu’on est en train de le traumatiser pour la vie », explique Abdel-Gawad, qui réclame la création de comités spécialisés au sein des tribunaux du statut personnel pour faire des études au cas par cas. « Il faut changer nos traditions qui dictent que le divorce est une guerre sans trêve où chaque conjoint porte une arme contre l’autre et cherche à sa façon de sortir gagnant de ce commerce », conclut Abdel-Gawad .
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