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Le nouveau bac à l’épreuve

Marianne William, Dimanche, 19 mai 2019

Cette semaine, les élèves de première secondaire passent les examens de fin d'année selon le nouveau système du bac. Une année expérimentale qui fait encore polémique. Enquête.

Le nouveau bac à l’épreuve
L'information est à la disposition des élèves grâce aux tablettes.

Sortir de sa zone de confort n’est pas toujours facile, surtout quand il s’agit d’un changement survenu subitement dans un système d’éducation présent depuis de longues années. La réforme du système du bac provoque des débats très vifs dans presque toutes les maisons égyptiennes depuis sa mise en vigueur en septembre 2018. Les avis divergent. Certains jeunes sont pour le changement et espèrent en finir avec l’ancien système, sans toutefois cacher leur crainte face à la nouvelle réforme qui leur semble inconnue. Et d’autres se montrent hostiles aux transformations, car très attachés à leurs méthodes habituelles d’étude et de réflexion. La grogne monte parfois chez les parents, soutenus par les professeurs, qui s’expriment sur les réseaux sociaux en disant: « Nos enfants ne sont pas des cobayes ».

581355 élèves de première secondaire dans tous les gouvernorats d’Egypte, des écoles publiques, privées, ou de langues sont concernés par l’application du nouveau système instauré dans le cadre d’une réforme radicale de l’enseignement menée par le ministère de l’Education.

Il s’agit d’un système cumulatif qui s’appliquera sur les 3 années du lycée. Ceci signifie que désormais, les élèves doivent passer 12 épreuves durant 3 ans, et la note finale tiendra compte des 6 meilleurs résultats des 12 épreuves passées. Et ce, pour atténuer le stress provoqué par le système actuel, qui est de passer un seul examen en fin d’année, ce qui donne une seule chance à l’élève de réussir.

Les études secondaires et le bac ont subi plusieurs réformes depuis leur création en 1825, nommés à cette époque « le préparatoire », car le but était de préparer les élèves aux « écoles supérieures ». Entre le certificat général, le diplôme du baccalauréat et Al-Tawguihi, le nom du bac a changé plusieurs fois au fil du temps. Les lycéens pouvaient choisir entre 3 sections : lettres, sciences ou mathématiques. En 1994, un système cumulatif a déjà été instauré, et le bac était alors obtenu en fonction des notes des deuxième et troisième années secondaires. Les lycéens avaient alors le droit de choisir des matières dans lesquelles ils excellaient suivant leurs sections. Ce système a encore été modifié en 2011, de sorte que le lycéen ne pouvait choisir sa section qu’en terminale, et devait passer un examen final qui est le bac. Un schéma qui est encore en vigueur, mais qui va être bientôt remplacé par ce nouveau système cumulatif.

Un système révolu

L’année de terminale, la majorité des familles égyptiennes vivent cet « état d’alerte » imposé par le fait que l’un de leurs enfants doit passer le bac.

Quelques mois avant l’examen du bac, des mesures de restriction sont prises à la maison: visites et sorties limitées, télévision et console de jeux dans la chambre interdites, etc. Des sommes colossales peuvent aussi être déboursées par les parents en leçons particulières, dans des centres où l’on trouve parfois une centaine d’élèves dans une salle, face à un écran et à l’écoute d’un professeur que les élèves surnomment « l’empereur ». Le prix d’un cours varie entre 50 et 250 L.E. selon la matière, la notoriété du professeur, le quartier et la langue d’enseignement. Les places dans ces centres se réservent presque un an à l’avance.

En 2015, selon une étude menée par le CAPMAS (Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques) sur le revenu et les dépenses de la famille égyptienne, 39,4% du budget de la famille sont consacrés aux leçons particulières et aux cours extrascolaires.

Le bac absorbe une large part de ce budget, car la plupart des élèves désertent alors l’école au profit de ce « système éducatif parallèle », celui des leçons particulières qu’ils jugent plus efficace et de meilleure qualité. En effet, les professeurs, souvent mal payés dans les écoles, préfèrent s’investir davantage dans ces leçons particulières. Ces dépenses sont un lourd fardeau pour les familles, surtout pour la classe moyenne, qui considère l’éducation comme un moyen d’ascension sociale pouvant garantir à leurs enfants un accès à des postes supérieurs.

L’année dernière, 413079 lycéens ayant obtenu leur bac ont travaillé dur pour décrocher un haut pourcentage, sésame pour intégrer une bonne faculté publique, où le nombre des places est limité. Seules les universités privées acceptent les notes relativement inférieures. A titre d’exemple, un bachelier doit obtenir un pourcentage de 98,04% pour accéder à la faculté de médecine et 96,09% pour entrer en faculté d’économie et sciences politiques. Ce score, que le lycéen doit réaliser en une seule année, fait de la terminale une période cruciale, à tel point que certains jeunes quittent la maison familiale ou tentent de mettre fin à leurs jours de peur de ne pas atteindre leur objectif.

Mariam Walid, enseignante du secondaire, juge le système actuel trop coûteux et basé sur des pratiques dépassées. « Les méthodes d’apprentissage et les outils d’évaluation ne mesurent pas le potentiel des élèves, ni ne le mettent en valeur, ni ne le développent. A mon avis, ce système est basé sur le par coeur, et si l’élève n’a pas cette capacité, il est considéré comme un raté », explique-t-elle. Selon elle, à l’ère de la technologie, cette réforme était attendue par les élèves. Pour les parents aussi, elle peut être la fin des dépenses excessives.

Vers des méthodes innovantes

Doaa Al-Hadari, maman de Zeina, élève en première secondaire, compare les deux systèmes étant donné que son fils a passé son bac l’année dernière. « Le nouveau système stimule la réflexion et l’esprit critique chez nos enfants. C’est complètement différent de la manière dont l’ancienne génération a appris, où les élèves étaient obligés de retenir des piles de livres pour réussir. J’aurais vraiment préféré que ce système soit appliqué dès le primaire, parce que ce changement exige un effort mental de la part d’un élève qui a passé 11 ans à apprendre par coeur », s’exprime Al-Hadari.

Un grand nombre d’élèves voient en la tablette l’outil adéquat pour étudier, comme Martin Adel, actuellement en première secondaire. « Dès que l’on avait reçu les tablettes, nous avons été motivés pour accéder à l’explication des leçons. Ce qui nous plaît aussi, ce sont les manuels scolaires au format PDF, car la plupart d’entre nous préfèrent la lecture numérique ».

Selon une enquête menée par le ministère de l’Education sur 75499 élèves de première secondaire, 44% des élèves ont accédé à la plateforme du ministère de l’Education EKB-LMS, 35% d’entre eux étudient sur cette plateforme, 37% ont téléchargé des contenus éducatifs et 12% ont déclaré que leurs professeurs utilisent le contenu disponible sur la banque de connaissance.

Pour le Dr Khaled Hégazi, professeur adjoint à la faculté de pédagogie de l’Université de Hélouan, l’élève doit s’impliquer davantage lors de son apprentissage, et c’est ce que cette réforme permet. « Au début de l’année universitaire, je dis souvent aux étudiants qu’ils ne seront pas uniquement des profs, mais qu'ils ont aussi pour mission de former des citoyens responsables. Et pour que cette réforme apporte ses fruits, la formation des professeurs est essentielle », assure Dr Hégazi. Selon lui, n’importe quel changement est toujours confronté à de la réticence et de la résistance, mais il faut que la société soit consciente de l’importance de cette réforme et s’y engage.

D’ailleurs, un certain nombre de professeurs n’arrivent pas encore à s’adapter au nouveau système. « Nous n’avons eu que quelques jours de formation sur l’usage de la tablette, et nous n’avons pas pris le temps de découvrir les nouvelles méthodes d’évaluation », se plaint une professeure de biologie, qui a requis l’anonymat, tout en signalant que beaucoup d’élèves sont découragés et démotivés. Car l’examen à livre ouvert, durant lequel les élèves ont accès à leurs manuels scolaires, ne mesure pas leur capacité de mémorisation des connaissances comme les anciens examens le faisaient. Et d’ajouter: « Dans mes groupes de leçons particulières, j’ai toujours eu de très bons élèves, mais cette année, après avoir bien expliqué aux élèves les leçons et fait les modèles d’examens que le ministère a diffusés, ils ne veulent plus se donner la peine d’étudier. J’ai arrêté les cours un mois avant les examens de fin d’année, c’est une première pour moi ! ».

Pour certains élèves, le livre ouvert représente un avantage. Martin Adel dit arriver à mieux se concentrer sur les questions qui exigent plus de réflexion que de mémorisation des informations, des formules et des règles. Mais Maria Ihab, élève en première secondaire, confie qu’elle constate que cela a multiplié les possibilités du copiage. « Je voulais passer honnêtement les examens expérimentaux afin de m’autoévaluer, surtout que les notes ne seront pas comptées cette fois-ci. Mais je me suis sentie mal à l’aise quand je me suis retrouvée toute seule dans la salle d’examen après que toutes mes copines avaient quitté la salle », raconte Maria, qui estime qu’un an d’expérimentation est vraiment suffisant pour s’adapter à ce nouveau système.

D’après Lorance Réda, élève en première secondaire, les professeurs continuent à enseigner selon les anciennes méthodes et font peur aux élèves concernant le nouveau système. « J’ai tant rêvé d’un tel système, car j’ai compris que j’apprendrais avec des méthodes créatives et que je pourrais être plus impliquée dans les débats, recherches et activités, etc. Or, j’ai constaté que rien n’a changé ; pire encore, j’ai commencé pour la première fois de ma vie à prendre des leçons particulières pour pouvoir réussir aux examens », dit-elle, sans perdre l’espoir que l’année prochaine sera meilleure que cette année expérimentale.

Dans un soucis de transparence, Dr Tareq Chawqi, ministre de l’Education, continue de s’adresser aux élèves de première secondaire à travers son compte Facebook, pour les rassurer, diffuser des modèles d’examens et des supports pédagogiques, et notamment pour les encourager à chercher l’information à l’aide de la plateforme numérique du ministère, à analyser, à avoir l’esprit critique et à se concentrer sur ce que le processus de l’enseignement leur apporte plutôt que les notes qu’ils veulent décrocher et qui ne seront pas comptées. Dr Tareq Chawqi conseille aux élèves de se méfier des rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux et qui sont souvent non fondés et qui profitent à la « mafia » des leçons particulières. De son côté, le ministère de l’Education travaille assidûment pour assurer le bon déroulement de l’examen du mois de mai, et ce, en coopération avec le ministère des Télécommunications, pour renforcer le serveur Web, pour éviter toute défaillance technique. De plus, des examens sur papier sont disponibles en cas de déconnexion d’Internet.

Il est vrai que le changement est mal accueilli par les professeurs qui, durant leur long parcours, sont devenus de « grands noms ». Il n’en reste pas moins que certains d’entre eux ne sont pas réticents au nouveau système, car pour eux, l’enseignement c’est l’art d’accompagner l’élève dans son apprentissage et non pas un simple devoir de lui transmettre les connaissances pour passer un examen qui ne garantit pas forcément à l’élève de réussir sa vie. Michael Gamil, professeur de mathématiques, voit en ce nouveau système du bac une vraie révolution grâce à laquelle élèves et professeurs pourront découvrir leurs potentiels en s’adaptant à de nouvelles approches pour réussir ce système dans lequel le professeur ne sera plus « l’empereur » capable d’apporter la potion magique pour la réussite de ses élèves. « Cette réforme va mettre des bâtons dans les roues à ceux qui bénéficient de l’ancien système, comme les profs qui incitent leurs élèves à prendre des leçons particulières et retranchent des notes aux élèves qui n’en prennent pas. Ils privilégient les autres avec de bonnes notes ou en leur soufflant l’une des questions d’examen », explique Michael Gamil, tout en poursuivant que la réforme menée par le Dr Tareq Chawqi profite autant aux élèves qu’aux professeurs. Car ces derniers s’efforceraient à se former, à s’informer davantage et à enrichir leurs connaissances.

Malgré l’effervescence qui règne en ce moment, les élèves continuent à passer assidûment leurs examens, conscients que tout changement ne peut pas se faire du jour au lendemain et que pour atteindre ses propres objectifs, il faut passer par différentes phases.

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