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Les photos ont la parole

Dina Bakr, Mardi, 05 mars 2019

Derrière une photo, il y a souvent une histoire. L’Hebdo a sélectionné cinq images qui ont immortalisé, chacune, un instant exceptionnel. Trois ont été primées à l’occasion d'Egypt Press Photo 2018, organisé par le département des photographes de presse du syndicat des Journalistes.

Paroles des photos

Courage et détermination

Courage et détermination

« Il a fallu trente prises pour obtenir la photo qui a remporté le premier prix au concours organisé en 2018 par le département des photographes de presse du syndicat des Journalistes », raconte Moustapha Emeira, photojournaliste à Al-Ahram. Il raconte qu’il a dû tisser des liens amicaux avec Nour, 16 ans, pour y parvenir. Ce dernier, amputé d’une jambe suite à un accident, a décroché une vingtaine de médailles en natation lors de divers championnats au Caire et à travers le pays. Emeira confie que cela n’a pas été facile d’approcher l’athlète, qui n’aime pas les photos et déteste que les journalistes se mêlent de sa vie privée. Emeira a tout de même réussi à le convaincre, lui expliquant que le fait de le prendre en photo peut mettre en relief ses compétences en tant que sportif paralympique. « Pour prendre cette photo gagnante, il a fallu accompagner Nour chez lui, à l’école et au club durant 2 jours », indique-t-il.

Le photographe a voulu montrer la corrélation entre l’athlète paralympique et sa vie quotidienne parmi des gens sans handicap, en prenant beaucoup de photos pour compléter son dossier. Alors qu’il était au club pour assister à une séance d’entraînement de Nour, il a remarqué la présence d’un jeune sportif qui nageait en style dauphin et dont les 2 jambes apparaissaient à travers l’eau, alors que Nour, appuyé sur ses 2 cannes, marchait lentement au bord de la piscine et s’apprêtait à quitter le club. « La chance était avec moi ce jour-là. Le nageur était au milieu de la piscine et Nour marchait lentement au bord du bassin. J’ai pris une trentaine de photos. Je voulais montrer ce contraste entre la jambe amputée de Nour et les 2 jambes en bonne santé de ce nageur, qui apparaissaient à travers l’eau », explique-t-il. Emeira pense qu’une photo peut se suffire à elle-même et véhiculer un message ou des informations sans avoir besoin de légende. Dans le cadre d’un reportage, elle peut dégager une émotion forte. Selon lui, il ne faut pas se contenter de photos ordinaires ou sans intérêt l

La joie de la victoire

La joie de la victoire

« Je ne pensais pas qu’après une carrière de 28 ans dans le photojournalisme, je serais décoré grâce à une photo prise lors d’un match de football », déclare Ezzat Al-Sémari, photojournaliste au quotidien Al-Gomhouriya. Il a pris la photo en question à Alexandrie, lors de la rencontre Egypte-Congo en 2017, au stade de Borg Al-Arab. Il s’agissait du match final de qualification pour la Coupe du monde 2018, que l’Egypte a remporté 2 buts à 1. Mahmoud Abdou, un fan de football unijambiste, a assisté à l’événement. Une fois le match terminé, le public a laissé éclater sa joie en courant dans le stade derrière Mohamad Salah. Etant donné son âge, Al-Sémari ne pouvait faire comme les jeunes photojournalistes qui bougeaient dans tous les sens pour prendre des photos. Il a donc pris place dans un coin du stade, tout en continuant à prendre ses photos. Il a alors aperçu Mahmoud Abdou en train d’accomplir une figure acrobatique, appuyé sur ses béquilles. « Cette photo n’a pas été publiée le lendemain du match. Elle est sortie bien plus tard dans le journal par rapport aux autres photos prises lors de ce match. Le jour même, je l’ai postée sur ma page Facebook et je suis rentré à la maison pour dormir. Le jour suivant, un de mes amis m’a téléphoné pour me dire que la photo avait enregistré un grand nombre de likes », raconte Al-Sémari.

En 2017, la photo d’Al-Sémari avait obtenu le prix de la meilleure photo de l’année, décerné par le syndicat des Journalistes, ainsi que le 3e prix du concours Egypt Press Photo. La même année, lors d’un sondage effectué par le programme Maakom (avec vous) de la présentatrice Mona Al-Chazli sur la chaîne privée CBC, cette même photo avait été désignée meilleure photo de l’année 2017. L’histoire ne s’est pas arrêtée là, puisqu’elle a permis à Mahmoud Abdou de tisser des liens avec des footballeurs tels que Mahmoud Trézéguet, qui joue au club turc Kassem Pacha. Ce dernier a entrepris des démarches pour que Mahmoud Abdou puisse adhérer à l’équipe turque Barcha des joueurs unijambistes, dont il est devenu l’un des éléments-clés. A l’occasion de la sélection des meilleures photos 2018 et pour rendre hommage à l’écho de sa photo, le département des photographes de presse a décerné à Al-Sémari un prix d’encouragement

Il était une fois, un bidonville

Il était une fois, un bidonville

« Cette photo a été le fruit de 6 mois de travail. J’ai bénéficié d’une bourse que le World Press Photo a attribué à 10 photojournalistes de plusieurs pays africains, soit l’Egypte, la Tunisie, la Libye, l’Algérie et le Maroc », raconte Mahmoud Khaled, photojournaliste freelance qui vit actuellement à Dubaï.

A l’époque, plus précisément en 2013, Khaled travaillait au quotidien Al-Shorouk. Il indique que sa photo a été publiée par l’association World Press Photo avant la destruction des maisonnettes de Ramlet Boulaq, au Caire. « J’ai beaucoup lu sur l’histoire de ce quartier, j’ai rendu visite à ses habitants pour me familiariser avec le lieu et éviter de prendre des photos qui peuvent froisser les gens du quartier. Il était important de leur faire comprendre la nature de mon travail pour prendre des photos qui couvrent toutes les facettes de leur vie », souligne Khaled, qui ajoute que des histoires sont racontées au sujet de ce quartier, où le roi Farouq possédait une résidence. « La photo montre le grand contraste entre une maison transformée en logement de bidonville et les magnifiques tours de Sawirès qui surplombent le Nil — et ce n’était pas la seule. J’avais trouvé d’anciennes photos montrant la vie quotidienne des gens. J’ai même assisté aux audiences du tribunal pour soutenir les gens de ce quartier qui détenaient des documents prouvant qu’ils sont les propriétaires des maisonnettes de Ramlet Boulaq », mentionne Mahmoud. Quelque temps plus tard, il apprend que ce quartier va être complètement rasé. Sa photo raconte l’histoire de ce quartier. Les jeunes générations apprendront qu’à cet endroit, il existait bel et bien un quartier où vivaient des gens.

Une photo qui a tout changé

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Le 25 janvier 2015, des affrontements ont eu lieu entre la police et les habitants du quartier de Matariya. « Ce jour-là, mes amis et moi avons vu de la fumée monter au ciel. On s’est dirigé vers l’endroit. Un taxi avait pris feu. Un homme est apparu. On pouvait voir son désarroi. Il ne cessait de hurler, puis s’est mis à pleurer. J’ai compris qu’il était le propriétaire de la voiture. Pour moi, il était important de capter ce moment dramatique, car cet homme venait de perdre son gagne-pain », raconte Moetaz Zaki. Le quotidien Al-Watan a publié cette photo parmi d’autres pour couvrir les événements de la journée. Puis, Zaki l’a publiée sur sa page Facebook, où elle a été largement partagée. D’autres journaux l’ont ensuite publiée eux aussi. « Des appels de mobilisation et de soutien ont été lancés sur Facebook pour récolter de l’argent pour cet homme et tout le monde voulait connaître son adresse. Le lendemain, le premier ministre a annoncé à la radio que le propriétaire du taxi devait se présenter au siège du Conseil des ministres, car une bonne nouvelle l’y attendait », poursuit Zaki avec fierté. 5 jours après l’annonce du premier ministre, une nouvelle photo a été publiée, montrant le chauffeur de taxi debout à côté de sa nouvelle voiture. Bien que l’évènement date de plusieurs années, le département des photographes de presse a remis à Zaki un prix d’encouragement pour cette photo en 2018 l

Zoom sur un profond chagrin

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« Nous étions chargés par le quotidien Al-Masri Al-Youm de rapporter les réactions des camarades d’école de Mariam, décédée des suites d’un attentat devant une église à Al-Warraq, au Caire, en 2013. Au lendemain de la catastrophe, j’ai accompagné la journaliste et pensais que cela n’allait pas me prendre de temps », explique Basma Fathi, avant de poursuivre : « J’avais l’intention de ne prendre qu’une seule photo, celle du banc de Mariam resté vide ». Elle raconte que c’est elle et la journaliste qui ont appris la mauvaise nouvelle au directeur de l’école et aux élèves. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. « Nous avons été profondément affligés par la réaction des élèves. Une profonde tristesse se lisait sur les visages des camarades de Mariam, dont l’âge ne dépassait pas 8 ans », raconte Basma Fathi, ajoutant qu’elle a eu du mal à prendre des photos de ces enfants très affectés par la mort de leur camarade. Elle s’est alors souvenue d’une phrase prononcée par son professeur de photojournalisme, Hossam Diab, ex-chef de service des photographes à Al-Masri Al-Youm, qui lui avait dit un jour : « Si l’un de vous est accablé par un évènement, alors il vaut mieux qu’il cesse de travailler dans le journalisme. Cette personne ferait mieux de participer à des actions caritatives ou de travailler dans une association telle que le Croissant-Rouge ». Basma Fathi s’est alors ressaisie et mise au travail en prenant des photos pour montrer la réaction des enfants. Elle a notamment fait un zoom sur le visage de la meilleure amie de Mariam pour montrer son profond chagrin.

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