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Le dangereux culte de la minceur

Dina Bakr, Mardi, 11 décembre 2018

A l’heure où le paraître l’emporte et que médias et réseaux sociaux érigent la minceur en véritable dogme, nombre de jeunes filles succombent à l’obsession minceur. Avec tous les risques que cela entraîne sur la santé physique et morale.

Le dangereux culte de la minceur

« Que l’on soit en train de regarder la télévision ou de lire un magazine, les mêmes sujets apparaissent inlassablement : la minceur et la beauté. On ne cesse de nous proposer des tests pour évaluer notre sveltesse, tout en nous assaillant de publicités qui vantent les mérites d’un produit miracle amincissant pour maigrir », s’exprime Nadine, âgée de 19 ans.

Mesurant 1,65 m et pesant 60 kg, soit dans la norme, elle s’est mise en tête qu’elle est grosse. Un souci qui vire à l’obsession. Nadine enchaîne les régimes, en particulier les mono diètes à base de fruits, légumes ou même yaourts. Il lui est arrivé d’avaler une pomme par jour durant trois mois, croyant que pour maigrir, il fallait arrêter de manger. Et à chaque fois qu’elle perdait quelques kilos, Nadine les reprenait systématiquement, parfois en double. « L’effet yoyo n’est pas un mythe. Je perds cinq kilos, j’en reprends dix », lâche-t-elle. « Je me suis privée de tellement de choses, sur de si longues périodes. Du coup, dès que j’ai atteint mon objectif sur la balance, je me jette à nouveau sur la nourriture sans prendre aucun plaisir. J’avale, c’est tout jusqu’à dérégler mon métabolisme. C’est comme des vannes qui s’ouvrent. J’achète des gâteaux que je mange dans la rue, sans attendre de rentrer à la maison », ajoute-t-elle.

La jeune fille est ainsi entrée dans le cercle vicieux de l’anorexieboulimie, présentant de vrais troubles de l’alimentation. Obsédée par ses variations de poids au gramme près, Nadine, qui se pèse jusqu’à cinq fois par jour, même la nuit, tente de contrôler tout ce qu’elle mange. Toujours complexée par ses rondeurs, elle a décidé d’entamer un régime ultrarapide en utilisant des laxatifs que les médecins conseillent en cas de forte constipation, à raison de 2 sachets seulement par jour. Or, cette jeune fille en prenait 150 par jour. Résultat, de 80 kilos, elle est passée à 40 kilos en un temps record, mais sans arrêter la prise de laxatif dont elle est devenue dépendante. « J’étais stupéfait en voyant cette jeune fille maigre comme un clou, dont les pieds ressemblaient à deux baguettes de tambour. Elle était cadavérique et j’avais l’impression que ses yeux allaient sortir de leurs orbites. Elle souffrait de dénutrition grave qui a causé un dérèglement hormonal caractérisé par une aménorrhée et une pilosité excessive », relate Gamal Freuz, un psychiatre. Il ajoute que cette jeune fille a dû être hospitalisée, son obsession de maigrir a tourné au vinaigre : problèmes de santé et troubles psychiques.

Troubles psychiques

En effet, ce genre de personnes, dont l’obsession du poids et le désir de ressembler aux stars se sont transformés en trouble psychique, finissent souvent par nécessiter un suivi psychologique, voire une hospitalisation. « Ces dernières années, et parmi les 400 malades que j’accueille par mois, je reçois un ou deux cas de personnes obsédées par le poids, alors qu’elles ne présentent aucun signe d’obésité », poursuit Freuz, qui ajoute que cette obsession peut se transformer chez la personne en un TOC (Trouble Obsessionnel Compulsif) pur et dur. « La lutte pour l’ultra minceur peut aussi mener à l’anorexie, un trouble du comportement alimentaire qui peut avoir des conséquences très graves sur la santé : souvent d’une maigreur extrême, obsédées par leur poids et les calculs de calories, les anorexiques ont une perception déformée de leur corps et de leur poids », explique le psychiatre, tout en ajoutant qu’il faut faire la différence entre les termes « anorexie mentale », qui décrit une pathologie, et celui d’anorexie tout court, qui se définit par un manque d’appétit.

Jihane Kamal, 35 ans, a toujours rêvé d’avoir la taille 34 des mannequins européens. Et pourquoi pas puisque ces femmes filiformes sont présentées par les médias comme l’exemple à suivre, le modèle de la perfection ?

« C’est à l’âge de 22 ans que j’ai commencé à faire mon premier régime. Je mesurais 1,7 m et pesais 70 kg. J’étais dans la norme sans avoir une taille mannequin, donc, je me trouvais grosse et j’étais constamment à la recherche de tout ce qui est nouveau pour maigrir. J’ai tout essayé, toutes sortes de régimes, de produits amaigrissants, de pilules miracles. Cela marchait, mais je n’arrivais pas à maintenir le cap. Maigrir, c’est difficile, rester mince c’est encore plus dur », affirme Jihane, qui ajoute qu’elle a non seulement déboursé d’énormes sommes, mais qu’elle a aussi mis en péril sa santé. « Si j’avais mis de côté tout cet argent, j’aurais pu m’offrir plein de choses », regrettet- elle. Et l’obsession n’est pas finie : aujourd’hui, Jihane pense recourir à la chirurgie ...

Business fructueux

Entre toutes ces jeunes femmes, un point commun : le culte de la minceur. A tout prix. Et pour cause, dit la sociologue Nadia Radwane, le diktat de l’image, du paraître est aujourd’hui très fort, particulièrement parmi les jeunes. « La perception de la beauté féminine relève de la culture. Or, avec la mondialisation, elle est aujourd’hui devenue standartisée, et le fait de correspondre à ce prototype de beauté est ainsi devenu une preuve de réussite sociale. Les femmes qui souhaitent maigrir toujours plus pensent que leur vie, dans tous les domaines, y compris les relations sociales, professionnelles et affectives, sera meilleure en étant minces. En plus, aujourd’hui, le corps valide la personnalité. Plus que jamais, l’habit, la mode, et surtout la silhouette », ajoute la sociologue.

Quant à la nutritionniste Chahinaz El Tarouty , elle affirme : « Les médias véhiculent des images attrayantes, créant un vrai marché de la beauté qui convainc les femmes à tester toutes les nouvelles formules pour accélérer leur perte de poids. A chaque femme de choisir la formule qui lui convient le mieux ». Or, ditelle, « l’abondance d’informations véhiculées par les médias ouvre la porte à des essais sans connaissance médicale qui peuvent être nuisibles. Par exemple, je viens d’apprendre que deux femmes sont mortes après avoir consommé des diurétiques et d’autres produits qui font fondre la graisse sans être suivies par un médecin, alors qu’elles n’étaient pas obèses ».

Cette obsession minceur a donc donné naissance à un marché fructueux. Aux nouveaux produits minceur, qui voient le jour constamment, est venue s’ajouter la chirurgie qui, elle aussi, offre de plus en plus de solutions « faciles » pour perdre du poids. Initialement destinées aux obèses — Oussama Fouad, professeur en chirurgie à l’Université de Aïn-Chams, estime que pour subir un tel acte chirurgical, il faut avoir un surpoids d’au moins 40 kg —, ces chirurgies sont de plus en plus prisées par ceux qui sont en surpoids, sans plus. Pourtant, dit le chirurgien, même les opérations les plus anodines peuvent entraîner des complications. « J’étais constamment à la recherche de tout ce qui est nouveau, et j’ai placé un anneau gastrique, une chirurgie pas du tout anodine, puisque j’en subis les conséquences », confie Mirna, 32 ans, au corps chétif. Elle a perdu plus de 20 kg, mais elle paye le prix. « Je peux mettre 3 heures pour avaler un verre de jus de fruit. Je ressens des douleurs à l’estomac, je dois subir une autre opération pour desserrer l’anneau gastrique », ajoute-t-elle.

« Mon corps, mon capital »

Heureusement que tous les cas ne sont pas si graves. Certains ont su trouver un certain équilibre, non sans difficulté tout de même. C’est le cas de Marwa Talaat, mannequin, (1,70 m pour 52 kg). « Mon corps est mon capital. J’investis une grande partie de mon salaire pour en prendre soin. J’ai un abonnement annuel dans une salle de fitness, je consulte régulièrement mon nutritionniste et j’évite évidemment de consommer le sucré et le gras. Je suis bien entraînée. Quand je me permets de manger des frites ou du chocolat, par exemple, je fais attention dès le lendemain en faisant une demi-heure de plus de marche. Le tout est de trouver le bon équilibre et de garder les bonnes habitudes », dit-elle fièrement. Pas si facile, répondront toutes celles qui rêvent encore et toujours de perdre quelques kilos ... .

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