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Franchir les limites de l’invraisemblable

Hanaa Al-Mekkawi, Dimanche, 28 octobre 2018

De guide touristique à amateur de plongée, puis à un pro­fessionnel dans le domaine, Saddam Killany rêve de réali­ser un nouveau record mondial en passant plus de 150 heures sous l’eau. Pour atteindre son objectif, il doit suivre des entraînements spécifiques et mener un mode de vie rigoureux. Retour sur le parcours d'un homme qui veut sortir du lot.

Franchir  les limites  de l’invraisemblable
Manger et boire sont parmi les activités que Saddam pratique régulièrement sous l'eau.

Toute sa vie, Saddam n’a pas oublié le conseil de son père, celui de se dis­tinguer des autres, car on oublie vite les personnes ordinaires. « J’ai passé ma vie à chercher com­ment devenir une personne diffé­rente, spéciale », dit Saddam Killany, 30 ans. Après avoir pratiqué la plon­gée pendant quelques années, son activité préférée et dont il en a fait son métier, il a décidé de battre le record du monde mentionné dans l’encyclopédie Guinness, c’est-à-dire rester sous l’eau le plus longtemps possible. « J’ai choisi le domaine qui convient à mes aptitudes et compé­tences », précise-t-il. C’est en 2015 que Saddam a décidé de battre l’an­cien record qui était de 48 heures. Et pour s’habituer à rester sous l’eau le plus longtemps possible, il a com­mencé à suivre des entraînements pour développer son endurance. Il a commencé d’abord par passer trois heures au fond d’une piscine, puis à accroître cette durée jusqu’à atteindre les 18 heures. Il a continué ensuite à s’entraîner en mer et, graduellement, il est passé de 18 heures à 30 heures. « Pour un plongeur, la durée nor­male est de 45 minutes; au-delà, il y a des risques », explique Saddam. Et pour braver ce défi et atteindre son objectif, il a dû s’entraîner sans relâche et se soumettre à des prépara­tions physiques spécifiques. Après beaucoup d’efforts déployés, Saddam a réussi à rester sous l’eau 50 heures, c’est-à-dire deux heures de plus que l’ancien record. Or, mauvaise sur­prise, il a découvert qu’il n’était pas le seul plongeur qui voulait battre le record du monde. Un autre Egyptien avait réalisé 51 heures et 21 minutes et un Américain, 51 heures et 24 minutes. « Là, j’ai dû recommencer à m’entraîner en restant encore plus longtemps sous l’eau. Et lorsque j’ai atteint les 53 heures, un Anglais avait déjà réalisé 72 heures », poursuit Saddam. Sans se décourager, ce der­nier a passé un an à s’entraîner dure­ment pour améliorer ses aptitudes et à chaque fois qu’il dépassait l’ancien record, il découvrait qu’un autre plongeur l’avait devancé. Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il ait atteint les 100 heures et 20 minutes (son dernier record), alors que le record mondial atteint actuellement les 142 heures. « Encore un nouveau défi à relever bien que mon exploit de 100 heures sous l’eau m’a permis de devenir champion d’Egypte et du Moyen-Orient. Je suis le seul à avoir réalisé ce record au niveau régional », dit fièrement Saddam.

Un rêve, une obsession

Franchir les limites de l’invraisemblable

Originaire du gouvernorat d’Is­maïliya, il a travaillé comme guide touristique et n’avait jamais pratiqué la natation. C’est à Charm Al-Cheikh qu’il a appris à nager et ensuite à faire de la plongée sous-marine. En 2012, il est devenu professionnel. Saddam maîtrise plusieurs types de plongée: technique, libre, commer­cial, mais ce qu’il préfère surtout, c’est la plongée récréationnelle. En 2015, il choisit de s’installer à Dahab, l’endroit de prédilection de tous les plongeurs, et c’est là où il vit, tra­vaille et s’entraîne. Arrivé à un cer­tain niveau de performance, Saddam n’a jamais baissé les bras. En fait, ce dernier n’est pas seul, il a une équipe qui le soutient. Des personnes croyant fort en lui: des plongeurs, dont des médecins spécialisés en médecine de plongée et qui se sont portés volon­taires pour l’aider. A chaque étape, toute cette équipe l’accompagne, le suit durant des mois et partage son rêve. « Déception après l’autre, plu­sieurs membres ont quitté le groupe, perdant l’espoir de me voir un jour battre le record du monde », raconte Saddam. C’est un autre défi auquel il doit faire face. Car sans avoir autour de lui des gens qui le soutiennent, il pourrait ne pas continuer. « Au début, il y avait beaucoup de personnes autour de moi, des amateurs de plon­gée sous-marine, des sportifs, des propriétaires de centres de plongée, de cafés et restaurants, mais après chaque essai, le nombre de personnes diminuait », ajoute Saddam.

Mettre le prix

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Saddam dort sur un lit fait exprès pour lui.

Aucun plongeur égyptien n’a réa­lisé les exploits de Saddam sauf Walaä Hafez qui est restée 54 heures sous l’eau, dépassant le record mon­dial en 2015. Or, Saddam est le seul Egyptien à pouvoir rester 100 heures sous l’eau. « Lorsque je vois Saddam obsédé par son rêve et luttant de toutes ses forces pour le réaliser, je sens qu’il est de mon devoir de l’ai­der, car sa réussite serait une source de fierté pour tous les plongeurs. Les exploits qu’il a déjà réalisés méritent qu’on l’encourage malgré tout. De plus, cette aventure est un moyen de faire parler des plongeurs égyptiens et tout ce qui concerne le domaine de la plongéeen Egypte», indique l’en­traîneur de Saddam, Samir Darwich, qui confirme la raison pour laquelle il apporte son soutien à ce plongeur.

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Saddam s'entraîne très fort pour réaliser son rêve.

Saddam doit mener un mode de vie strict et suit minutieusement des directives qui le privent de beaucoup de choses, et ce, pour préserver sa santé physique et mentale. « Ma santé c’est mon capital, alors je dois être toujours en bonne condition physique ». Son poids, son état phy­sique et moral, tout est pris en considération et calculé selon certains critères. Et donc, il est obligé de suivre un régime alimentaire spéci­fique, passer des heures à faire des exercices physiques et du yoga. Saddam dit que cette aven­ture lui coûte de l’argent, du temps et de l’effort. Il dépense beaucoup d’argent pour la mainte­nance de son matériel sans compter d’autres équipements dont il a besoin lors de ses plongées expérimentales. « Prendre soin de ma combinai­son me coûte plus de 20000 L.E. par an», dit-il en ajoutant qu’il a besoin d’environ 22000 L.E. supplémentaires à chaque plongée expérimentale

En effet, Saddam utilise une combinaison spé­ciale qui convient à ce type de mission. Elle est fabriquée en néoprène, véritable isolant ther­mique, car elle doit complètement le protéger du froid au fond de l’eau. Ajoutés à la combinaison, la bouteille avec détendeur, l’embout, les mano­mètres, la ceinture de plomb, les gants, les palmes, le masque et le tuba. Tout cet équipe­ment permet au plongeur de rester en vie au fond de l’eau. Pour pouvoir assumer tous ces frais, Saddam est obligé de consacrer tout son temps libre à travailler pour couvrir toutes ces dépenses.

Prévoir la moindre contrariété

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Des plongeurs membres de l'équipe vérifient si Saddam va bien.

Après une longue période d’entraînement pour augmenter sa capacité de résistance sous l’eau, Saddam consulte son équipe pour fixer le moment favorable pour faire une plongée expé­rimentale. Tout le monde est en état d’alerte. Les amateurs de plongée et les habitants assistent à l’événement. Les drapeaux de l’Egypte et les fanions des centres de plongée sont hissés dans les cafés ainsi que les photos de Saddam. « Saddam plonge à une profondeur de 6 mètres dans un endroit qui n’est pas loin du rivage, avec une allée pour faciliter l’accès à certains services comme l’ambulance en cas d’urgence », dit Samir Chawqi. D’après lui, pour que Saddam soit capable de rester 154 heures sous l’eau, il faut prendre d’énormes précautions pour ne pas mettre sa vie en danger. D’abord, un plongeur descend avant Saddam pour étaler un tapis au fond de l’eau afin d’éviter que les grains de sable ne s’infiltrent à travers son cou par la partie qui relie le masque à la combinaison. Puis, Saddam plonge dans le monde du silence; espérant pou­voir rester le plus longtemps possible. « C’est bien grâce à ma combinaison que j’ai réussi à faire certains exploits. Ces plongées expérimen­tales me permettent non seulement de m’adapter, mais aussi de voir ce qui ne va pas avec le maté­riel que j’utilise », dit Saddam, en racontant aussi qu’une fois, ses gants se sont déchirés et une autre fois, l’eau a pénétré à travers la combi­naison, une chose qui n’est pas du tout acceptée. Et dans ce cas, il faut trouver d’autres équipe­ments avec un matériel plus résistant.

Au fond de l’eau, Saddam est capable de pas­ser environ une semaine tout en menant un train de vie normal grâce à certains instruments qui lui permettent de manger, faire sa prière, dormir et passer aux toilettes. D’après Chawqi, le plongeur reste sous surveillance continue dès la première minute de sa descente dans l’eau et jusqu’à ce qu’il remonte. « Deux plongeurs descendent avec lui ; une heure après, deux autres prennent la relève pour enregistrer sur une ardoise de plongée toutes les informations concernant la santé et l’état général de Saddam. Puis, ils remontent et deux autres les remplacent et ainsi de suite ». Ce rapport comporte des observations sur les activités vitales et essentielles du corps comme la quantité d’urine dégagée, pour la com­parer à la quantité d’eau ingurgitée, la nourriture consommée, sa tension, sa température, ses réac­tions et d’autres constatations. En haut, sur le bateau, qui ne quitte pas le site de plongée, un médecin reçoit les rapports et donne ses instruc­tions aux plongeurs chargés de prendre la relève. Quant à Saddam lui-même, il va passer ses pre­mières heures sous l’eau à dormir, car il est fatigué après des jours d’entraînements rigou­reux. Il porte un masque spécial qui recouvre sa tête et lui permet de respirer par le nez. Il est allongé sur un lit fabriqué exprès pour lui per­mettre de prendre la position normale du som­meil. Le temps passe. Le plongeur n’entend que le bruit de la mer et d’autres sons émanant des bateaux qui passent tout près du site de plongée. « Ce n’est pas facile, mais je me suis habitué et je dois tout supporter si je veux atteindre mon objectif », indique Saddam. Il tente parfois de casser la monotonie en enflammant l’enthou­siasme de ses fans qui attendent à la surface de l’eau. Alors il peut leur écrire un mot sur son ardoise, par exemple, en les priant de lui envoyer quelque chose à boire ou en leur demandant un message d’encouragement. Les heures et les jours passent et voilà que Saddam sort de l’eau après avoir enregistré quelques heures supplé­mentaires.

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Saddam entouré de son équipe.

Après cette longue durée au fond de la mer, il ressort en titubant, perdant le sens de la gravité et ayant du mal à réagir normalement. C’est ce qui arrive aussi aux astronautes. Par ailleurs, l’immunité du corps est mise à épreuve. « Une fois, j’ai été obligé de sortir de la maison après une telle plongée, ce qui m’a coûté 8 mois cloué au lit pour guérir d’un coup de froid », dit Saddam. Son problème actuellement c’est le manque de soutien et l’absence d’un sponsor qui pourrait l’aider à couvrir ses dépenses. « Autrement, je continuerai à m’entraîner sans pouvoir entreprendre cette grande plongée qui me permettra de battre le record du monde », dit Saddam. Il ne faut pas oublier non plus que l’ins­titut Guinness réclame 130000 livres égyp­tiennes, deux semaines avant le jour J, pour envoyer ses arbitres. Pourtant, Saddam ne regrette rien et jure de ne pas perdre espoir, celui de devenir différent .

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