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Le café, petit plaisir quotidien

Chahinaz Gheith, Lundi, 15 octobre 2018

Les uns ont besoin du café pour se réveiller ou se concentrer, les autres aiment en boire une bonne tasse avec des amis. Son arôme et son effet stimulant expliquent sa consommation élevée. En Egypte aussi, le café compte de nombreux adeptes.

Le café, petit plaisir quotidien
(Photo:Moustapha Emeira)

« Dès que je me réveille, il me faut un café. Sa simple odeur me motive à commencer ma journée. C’est le stimulant qui met en marche mon cerveau, voire la seule boisson qui peut m’apporter du bien-être », lance Moustapha, un ingé­nieur à la quarantaine. Pour lui, boire son petit café serré, accompagné d’une ciga­rette, c’est comme recevoir une caresse dans un monde où il ne trouve plus de réconfort. Se priver du café durant les pre­miers jours du Ramadan, c’est pour lui se priver de sa drogue — une vraie torture.

Et le constat est alors visible: mauvaise mine, yeux rouges et maux de tête, il vit l’enfer du manque. Sans compter les vagues de colère qui l’envahissent. D’après ses collè­gues, Moustapha, qui est tou­jours souriant et aimable, se transforme en monstre pendant le Ramadan. Il s’énerve pour un rien. Et pour éviter les maux de tête ou d’autres conséquences liées à la caféine, il tente de prendre des mesures préventives d’adaptation. « Avant la prière de l’aube, je dois boire trois tasses de café pour tenir la jour­née de jeûne », confie-t-il.

Idem pour Essam, étudiant en faculté d’ingénierie. Sans café, son cerveau fonctionne au ralen­ti, ses paupières ont du mal à se décoller et sa capacité à se concentrer est réduite à néant. Cherchant quelque chose qui pourrait l’aider à tenir durant les révisions du bac, il a commencé à boire du café en petites quanti­tés. Puis, il est passé de deux cafés serrés à douze par jour et beaucoup plus à l’approche des examens.

Moustapha et Essam ne sont pas des cas uniques. Nombreuses sont les personnes qui éprouvent des difficultés à passer la jour­née sans boire un café, surtout quand il s’agit de grands consommateurs (de 7 à 12 tasses par jour). Et bien que le thé soit la boisson numéro un des Egyptiens, le café est lui aussi très apprécié pour commencer une journée ou encore pour « donner du goût » aux ren­contres entre proches et amis. On le voit partout, dans les foyers, les bureaux et les rues.

Du petit-déjeuner au souper, en passant par les pauses au travail, le café est très présent, notam­ment chez les jeunes, qui apprécient divers types de boissons à base de café — cap­puccino, latté, macchiato... Qu’ils l’ai­ment à la turque, comme expresso, déca­féiné, avec ou sans sucre, les passionnés du liquide noir sont nombreux. Selon les chiffres de la section du café au sein de la Chambre de commerce du Caire, les Egyptiens consomment en effet 45000 tonnes de café par an.

Le mot « café » est apparu dans la lan­gue française en 1610. Il est dérivé de l’italien caffè, qui l’a emprunté à l’arabe « qahwa », prononcé à la turque « kahvé ». Les Egyptiens, friands de sucre, le consom­ment souvent « ziyada » (très sucré). D’autres le prennent « sada » (sans sucre) ou « mazbout » (moyennement sucré). Antoine Barthélemy Clot Bey, dans son Aperçu général sur l’Egypte en 1840, a écrit: « Le café est la boisson de prédilec­tion des Egyptiens, elle leur est aussi nécessaire que le vin aux Européens. C’est avec un sentiment de délectation et de bon­heur qui ne s’émousse jamais qu’ils aspi­rent lentement cette liqueur favorite ».

L’origine du café

Le café, petit plaisir quotidien
Le café est cultivé dans 80 pays et peut avoir des arômes variés.

Le délicieux breuvage est parfois quali­fié de « turc ». Selon le site egyptophile.blogspot.com, quelle que soit l’origine du café (éthiopien, yéménite…), on admet qu’il a été introduit en Egypte au temps des Mamelouks (XVe ou début du XVIe siècle) en provenance du Yémen, où il était cultivé en terrasses. Les cargaisons de café transitaient alors par Suez, avant d’être ache­minées par caravanes vers Le Caire. Selon le site, quelque 500 commerçants s’y partageaient le marché pour approvisionner la consommation locale ou pour l’exportation vers les pays euro­péens et les provinces de l’Em­pire ottoman.

C’est sous les Mamelouks que le café est deve­nu très populaire en Egypte. « Au Caire et à Alexandrie, les pre­mières maisons de café ont ouvert leurs portes. On pouvait y boire du café à prix modique, tout en jouant aux échecs, en écoutant de la poésie et, surtout, en parlant. Le café a donc permis un impor­tant brassage d’idées, qui allait de pair avec l’émergence d’une bourgeoisie urbaine relativement aisée », écrit Florian Besson, dans son article sur le café publié sur le site Les Clés du Moyen-Orient.

Deux espèces de café sont culti­vées à grande échelle, l’arabica et le robusta. Et bien que l’on cultive aujourd’hui le caféier dans plus de 100 pays, 80% de la production globale sont assurés par 13 pays, soit le Brésil — le plus grand producteur mon­dial—, la Colombie, l’Indonésie, le Mexique, l’Inde, l’Ethiopie, le Guatemala, l’Ouganda, la Côte d’Ivoire, le Costa Rica, le Vietnam, le Salvador et le Kenya.

En fait, servir du café est un symbole d’hospitalité et de géné­rosité dans les sociétés arabes. Selon la sociologue Nadia Radwane, la consommation du café est un moment social important pour les Egyptiens. Il est aussi lié à la culture des pays.

En Egypte, il est servi non seulement lors des funé­railles, mais aussi lors des demandes en mariage. Autrefois, la jeune fille dont on venait de demander la main devait préparer un café pour montrer ses talents culinaires à son futur mari. En Turquie, la jeune fille est autorisée à mettre du sel à la place du sucre dans la tasse du prétendant si elle ne le trouvait pas à son goût. Ainsi, ce dernier connaîtra en premier la réponse de la concernée.

Et ce n’est pas tout: café rime avec plai­sir et détente. Tel est par exemple le rituel de Dalia, secrétaire, et de ses deux amies qui se donnent rendez-vous une fois par semaine autour d’un café. Un agréable moment pour échanger les nouvelles tout en buvant à petites gorgées leur boisson préférée. Ce cérémonial peut durer une heure et chacune doit faire attention à ne pas atteindre le marc (tefl) qui se dépose au fond de la tasse et qu’elles vont renverser dans la sous-tasse pour essayer de lire leur avenir. Un moment d’échanges joyeux.

Le nouvel art du café

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Une tasse ou deux de café est un rituel matinal que beaucoup apprécient pour commencer la journée. (Photo:Moustapha Emeira)

Depuis la découverte du café, en Orient, ces graines remplies de mystère sont fort estimées. Même si les techniques de pré­paration et de torréfaction ont changé au cours des siècles, la passion des Egyptiens pour le café n’en est pas moins restée intacte. Tous les jours, de nouvelles marques voient le jour. Du coup, les consommateurs sont devenus plus exi­geants et les investisseurs dans l’importa­tion ou encore les spécialistes de torréfac­tion l’ont bien compris.

Autre lieu, autre scène. Une salle spa­cieuse renfermant une gamme de théières, de tasses, mais aussi de machines à expres­so. Une vingtaine d’étudiants sont assis devant leurs écrans et manuels et suivent avec attention l’explication de leur profes­seur, qui détaille point par point les diffé­rents processus. « La réussite passe par la formule des 4 M: mélange, moulure, machine et main de maître.

Tout d’abord se procurer un excellent café et la moulure doit être suffisamment fine. Il faut aussi très bien entretenir les machines. Quant à la main de maître, c’est ce qui fait toute la différence », explique l’ingénieur Ahmad Youssef, directeur de l’Université Du Café (UDC EGITTO) à ses étudiants durant le cours d’initiation. Etant l'une des antennes de l’Université de Trieste en Italie, patrie indétrônable du café, cette université située au quartier de Madinet Nasr est la première du genre en Egypte ainsi qu’au Moyen-Orient. Un centre de formation qui a pour vocation de mettre à la portée des professionnels et du grand public tout le savoir-faire autour de la préparation du café et d’aider les cafés et les restaurants désirant proposer à leurs clients de bons cafés.

« Aujourd’hui, le café est devenu un menu à part entière et les clients ne se contentent plus d’une simple tasse, mais s’offrent le luxe d’un expresso, d’un cap­puccino, d’un latté macchiato et beaucoup d’autres variations. Un café de qualité est synonyme de clients satisfaits, et des clients satisfaits augmentent à leur tour le chiffre d’affaires de l’établissement », explique Amr Salmane, directeur d’une chaîne de grands cafés dans les quartiers de Madinet Nasr et de Héliopolis. Un avis que partage Fathi Saïd, spécialiste dans la préparation du café. « Un bon café est un équilibre: une juste proportion entre aci­dité et amertume, il doit entièrement tapis­ser la bouche. Certains croient que plus une graine torréfiée est sombre, meilleur sera l’expresso. Faux, lorsqu’une graine est presque noire, c’est-à-dire trop torré­fiée, elle perd ses arômes complexes », lance-t-il.

Son collègue Sayed Khamis explique qu’un bon barista peut de plus épater un client en faisant des dessins flyés sur son café latté. Mais l’essentiel pour un barista, selon lui, c’est d’avoir une approche méthodologique.

« Si préparer un café est un art, savoir le déguster l’est aussi. Lorsque les clients goûtent à notre café, ils voient la différence par rapport aux autres endroits. Aujourd’hui, les amateurs de café ressemblent aux amateurs de vin de la génération précédente », souligne Khamis, tout en ajoutant que l’industrie du café, aujourd’hui à la mode, ne cesse d’encoura­ger l’entrée en lice de spécialistes et de professionnels.

Par ailleurs, l’International Coffee Organisation (ICO) a, en 2015, décidé de faire du 1er octobre de chaque année la Journée internationale du café. Une occa­sion pour les amateurs de café de partager leur amour pour cette boisson et de soute­nir les millions de caféiculteurs.

Ami ou ennemi

Le café, petit plaisir quotidien
Un bon barista sait épater ses clients en faisant des dessins flyés sur un café latté. (Photo:Bassam Al-Zoghbi)

Mais comment expliquer cette appétence vive pour café, sous-tendue par une dépen­dance psychique? Dr Ahmad Aboul-Nasr, nutritionniste, explique les effets béné­fiques du café, dont sa haute teneur en antioxydants. Il aide à maintenir la santé cérébrale et diminue le risque de contrac­ter des maladies dégénératives comme Alzheimer. Sans oublier son effet stimu­lant qui aide à la concentration. Selon une étude de l’Institut national de la santé des Etats-Unis, les personnes qui consomment du café de manière modérée réduisent de 10% le risque de souffrir de dépression.

Or, malgré ses vertus, Dr Aboul-Nasr affirme que le café peut être nocif pour la santé s’il est consommé avec excès. « A dose trop importante ou à des moments non propices, les bénéfices du café s’in­versent. Il abîme le tube digestif et peut provoquer des ulcères et d’autres irrita­tions dans l’intestin ou dans l’estomac. Son effet hyper stimulant excite l’orga­nisme et peut causer des insomnies et augmenter le rythme cardiaque et la ten­sion artérielle », conclut-il.

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