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Uniforme scolaire : La crise est passée par là

Chahinaz Gheith, Mardi, 18 septembre 2018

Comme tous les ans, la rentrée est synonyme de corvée et de grosses dépenses, notamment celles des uniformes scolaires. Certains magasins en font le monopole, au grand dam des parents qui se lamentent de la hausse des prix et du manque d’alternatives.

Uniforme scolaire : La crise est passée par là
Les parents disent ne plus acheter que le strict nécessaire, en raison des prix élevés de l’uniforme scolaire.

C’est l’un des ateliers et magasins spécialisés dans la vente d’uniformes scolaires. Il fait de l’uniforme scolaire l’un de ses points forts. Pionnier en la matière, il ne cesse de recevoir de nombreuses commandes en cette période où son activité augmente de façon exponentielle. Blazer bleu marine, chemise blanche, jupe plissée, polos, tee-shirts, pantalons et insignes soignés, rien n’est laissé au hasard chez ce commerçant qui a tout intérêt à soigner ce business, et qui avoue préférer la qualité au profit.

Et pourquoi pas, puisque pour lui la rentrée scolaire est toujours du pain béni, une période qui lui permet de faire de bonnes affaires. Ce magasin a d’ailleurs une copie des commandes émanant de certaines écoles religieuses et privées. Il dispose d’une gamme de vêtements diversifiés et tient à proposer des uniformes accessibles à toutes les bourses. Pour lui, l’affaire des tenues scolaires est devenue une bataille commerciale, point de vue qualité et prix. « Nous nous sommes positionnés sur la qualité, ce que beaucoup de concurrents ne font pas. Par exemple nos polos sont à 100 % en coton et pas en poly-coton qui est une matière inflammable », assure Youssef, l’un des gérants, qui a déposé un copyright sur ses « créations ».

Dans son magasin situé au quartier de Maadi, un véritable engouement s’observe. De quoi apporter le sourire à ce commerçant. La musique se joue à un volume élevé. Les gens entrent et ressortent de façon active, des sacs remplis plein les mains, et les poches vides : l’uniforme scolaire peut coûter plusieurs milliers de livres. Sur la liste des fournitures scolaires que brandit Sawsane, mère de trois enfants dans les différents cycles, sont inscrits les prix des tenues.

Elle affirme avoir déboursé 2 000 L.E. pour les deux tenues scolaires de son fils inscrit à l’école maternelle et 5 000 L.E. pour les uniformes de ses filles en cycles primaire et secondaire. Comme elle, de nombreux parents sont indignés car ce magasin se réserve l’exclusivité de la vente des uniformes de certaines écoles. « Nous avons fait le tour des magasins, sans en trouver. Ce magasin est le seul point de vente. Et c’est la même chose pour les badges ou logotypes. Le marché est confié à une seule personne qui nous les vend à 20 L.E. la pièce. Pourtant en regardant de près, ce badge ne coûte que la moitié de son prix », nous dit un parent.

La situation n’est pas différente dans plusieurs écoles où les tenues scolaires s’achètent même à l’établissement. Leurs prix sont même indiqués sur la liste des fournitures scolaires, donc impossible de les dissocier d’autres dépenses. Dans d’autres écoles, on indique aux parents sur la notice de renseignements que l’uniforme scolaire est exclusivement en vente chez un concessionnaire agréé. Et le mot « exclusivement » est bien souligné. « Ce concessionnaire agréé n’est rien d’autre qu’un atelier ou plutôt un couturier imposé par l’école. Il faut débourser au moins 1 000 L.E. pour chaque enfant. Un prix plus cher que celui que l’on peut trouver sur le marché : un tee-shirt est vendu ici à 180 L.E., alors que dans d’autres magasins il coûte 120 L.E. selon la taille de l’enfant, un pantalon est affiché à 220 L.E., alors qu’il se vend ailleurs à 150 L.E. seulement. Sans compter les prix des jackets en laine qui dépassent les 500 L.E., alors qu’on peut les trouver sur le marché à 350 L.E. », se plaint Haytham, père de deux enfants, tout en ajoutant qu’il ne sait plus à quel saint se vouer face à ce grand business géré par les écoles et leurs fournisseurs qui, selon lui, se font du beurre sur le dos des parents d’élèves.

Affairisme ?

Un vrai affairisme autour des uniformes scolaires. « Il est clair que c’est un marché juteux. Les écoles en profitent. Elles reçoivent soit des ristournes sur les uniformes, soit un pourcentage sur les ventes ou une somme fixe chaque année. Qu’elles fassent des profits, mais qu’elles aient aussi pitié des parents qui se font saigner aux quatre veines pour payer les études de leurs enfants », dénonce un autre père, tout en critiquant le gouvernement qui, d’après lui, ne fait rien pour protéger les parents de ce business qu’il considère déloyal. « C’est inacceptable.

Je ne pourrai pas assumer toutes ces dépenses. Pour un seul enfant, il faut débourser au moins une somme de 500 L.E. pour un seul polo et un seul pantalon, c’est trop cher, il faut plusieurs tenues, et quand on a plusieurs enfants, ça finit par chiffrer », renchérit une maman qui a trois enfants en primaire. Elle n’a pu acheter qu’un seul uniforme pour chaque enfant et compte recycler les tenues de la grande soeur pour la benjamine afin d’économiser de l’argent.

« Il y a encore les frais du bus qui ont augmenté », peste une autre mère en colère. « Cette période de rentrée, c’est le cauchemar. Je me coupe en quatre pour y faire face », reconnaît un père qui se mêle au débat. Il confie avoir sacrifié le mouton et les vêtements de l’Aïd pour pouvoir acheter le strict nécessaire concernant l’uniforme scolaire.

Des commerçants qui se plaignent aussi

Autre scène. Les rayons des magasins sont bien achalandés, espérant séduire les parents d’élèves. Les premières rangées de chaque boutique sont garnies d’uniformes scolaires. Postés devant les portes de leurs magasins, des vendeurs s’activent à apostropher leurs potentiels acheteurs. En plus de la qualité vantée, ces vendeurs vont jusqu’à proposer des réductions sur les prix affichés, allant jusqu’à 50 %.

La concurrence est à son comble pour aguicher un client d’ici ou de là. Tous espèrent happer une partie du budget d’un père ou d’une mère pressée d’en finir. Peine perdue. Pas d’effervescence. Les clients se font tout de même rares. Il semble que le climat qui règne amène à s’interroger sur l’effectivité de la rentrée scolaire ou alors sur une annulation du port des tenues à l’école. Magasiniers et boutiquiers se lamentent. En fin de journée, leurs recettes sont bien maigres. « Il nous est de plus en plus difficile d’écouler notre marchandise à tel point que nos ventes ont diminué nos commandes de plus de 50 %. Les parents semblent avoir oublié les uniformes », lance Moustapha, propriétaire d’un magasin. Et d’ajouter : « Plusieurs commandes passées, l’année dernière, par des établissements, remplissent mon dépôt sans pouvoir être revendues ».

Des astuces pour dépenser moins

En fait, le marché de la tenue scolaire souffre aujourd’hui de récession. Et cette année, les Egyptiens ont du mal à assumer certaines dépenses, et ce, dans le cadre d’un marché où les prix ne cessent de grimper alors que les revenus des familles sont les mêmes. L’effet de la crise est assez évident. Dans les rues, les gens contemplent les articles, demandent parfois les prix, marchandent avec les vendeurs et partent sans rien acheter. Chaque famille essaie de revoir ses priorités pour faire face à la cherté des prix.

Beaucoup de parents affirment que leurs enfants vont devoir réutiliser certains articles scolaires de l’année dernière, quant à la tenue de l’école, ils pensent n’acheter que l’essentiel. Pour Nadia et d’autres mamans, acheter du tissu et confectionner les uniformes scolaires par un couturier de leur choix puis y coller le logo de l’école (acheté également) semble être la meilleure astuce. « Au moins, on est sûre de la qualité du tissu et le coût sera moindre », nous révèle-t-elle. Mais elle ajoute : « Pour les chaussures, on n’a pas vraiment le choix. Je leur achète aussi des gadgets sympas, histoire de les motiver ».

Heureusement, les salaires du mois de septembre sont versés plus tôt que d’habitude, c’est-à-dire le 16 au lieu du 26. Une solution qui ne semble pas arranger les choses comme l’explique Nora, fonctionnaire, et qui a quatre filles dans différents cycles scolaires. « J’ai déjà emprunté de l’argent, bien plus que mon salaire, et donc, nous allons dépenser davantage. Comment allons-nous tenir jusqu’au mois prochain ? », s’interroge-t-elle, essayant de faire l’impossible pour couvrir les besoins de ses enfants. Des gamëyate (un système de coopérative), se serrer la ceinture, mais aussi des emprunts. Cependant, elle ne tient pas à priver ses enfants de nouveaux uniformes scolaires.

60 % de hausse

« Il faut fouiner pour trouver les moins chers », dit la mère, accablée de dettes. Cette dernière continue d’acheter chez les grossistes ou dans les friperies, car l’important pour elle est de voir ses enfants correctement habillés. Ce qui n’est pas le cas de Dalia, veuve et mère de quatre enfants en cycles primaire et préparatoire. Elle explique sa situation. « Comment deviner que les prix des uniformes scolaires allaient connaître cette année une hausse vertigineuse de 60 % ?

Je ne vais pas me casser la tête cette année. J’ai demandé à mes enfants de remettre les anciennes tenues et laver leurs sac à dos ou leurs cartables. Je ne peux pas assumer de grosses dépenses. Je suis seule, j’ai perdu mon mari il y a quatre ans. Et je ne veux pas m’endetter, et par la suite, me retrouver en prison pour n’avoir pas remboursé mes dettes », dit-elle, en criant son ras-le-bol face à la cherté de la vie. Quant à la famille de Magdi, comptable dans une société publique, le mot recyclage est de rigueur pour la rentrée scolaire. Et pour préparer l’événement sans se ruiner, Farida, une maman, a ses astuces. « Dès que l’année scolaire s’achève, on fait le tri de tout et on regarde ce qui est réutilisable, on jette le moins possible. Je nettoie tout. On garde les cartables et les trousses des grands pour les plus petits », confie-t-elle.

A la caisse, la dame lui a ironiquement demandé si elle faisait des courses pour une colonie ! Avec sept enfants scolarisés, il faut dire que ça chiffre ! Uniformes, fournitures, livres, la facture n’en finit pas de s’allonger. Pour y faire face, la mère flaire les bonnes affaires tout au long de l’année, lors des promotions ou des soldes, et achète aussi en occasion. Elle ajuste les tenues des plus grands pour qu’elles servent aux plus petits. Et ne prend jamais ses enfants pour faire les courses. « Pour la tenue scolaire, comme tout maintenant, on fait preuve d’ingéniosité et on a recours à différentes astuces pour dépenser moins. Ou plutôt pour ne pas dépenser plus chaque année pour les mêmes choses basiques et nécessaires », conclut-elle, non sans amertume.

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