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Numismates : A la recherche de la perle rare

Dina Bakr, Mardi, 05 juin 2018

Ils sont 10 000 numismates qui se consacrent corps et âme à leur passion : la collection des pièces et des billets de monnaie anciens. Reportage dans les cafés où se rencontrent ces collectionneurs.

Numismates : A la recherche de la perle rare
La signature et la rareté sont des facteurs importants qui précisent la valeur des pièces de monnaie et des billets anciens. (Photo : Amir Abdel-Zaher)

Dans l’une des ruelles du centre-ville, à la rue du 26 Juillet, se trouvent les cafés de Diana, Salsabil et Al-Omda. Une fois par semaine, les collectionneurs de monnaies et vieux billets de banque se donnent rendez-vous dans l’un de ces lieux. « Autrefois, on se rassemblait au café de l’Opéra, mais comme le nombre des collectionneurs a augmenté, on a changé d’endroit, il y a 5 ans, car l’ancien ne pouvait plus contenir tout ce monde », indique Omar Waël, élève dans une école religieuse.

En quête de la pièce rare, quelques collectionneurs vérifient minutieusement des billets de banque avant de décider de les acheter, d’autres discutent du prix d’une pièce de monnaie qui date de l’époque de la royauté. Cette scène se répète chaque samedi de 10h jusqu’à 18h. Les pièces de monnaie sont rangées dans de petites boîtes qui sont posées sur les tables, tandis que les billets sont classés dans des albums pour préserver leur état. Selon Magdi Hanafi, un connaisseur du cours légal des monnaies et billets de collection, un certain nombre de critères est nécessaire pour évaluer leur valeur. Le catalogue de Magdi Hanafi est devenu une référence pour les collectionneurs. Il a fallu à ce numismate une dizaine d’années de travail avant qu’il ne soit publié en 2005 par l’International Bank Note Society (IBNS), une organisation non lucrative qui a pour mission de promouvoir les recherches numismatiques et d’approfondir les connaissances des collectionneurs de monnaies anciennes.

Un catalogue qui les aide à connaître la valeur des vieux billets de banque suivant la signature qui y est apposée. « Par exemple, j’ai appris comment observer minutieusement certains détails sur les billets en suivant le catalogue. Aucun billet ne mentionne les lettres (O) ou (I) avec les numéros de série pour ne pas les confondre avec les chiffres un et zéro », explique Mohamad Abdel-Fattah, comptable.

Plusieurs critères

Numismates : A la recherche de la perle rare
Les catalogues de Magdi Hanafi sont devenus une référence pour les collectionneurs. (Photo : Amir Abdel-Zaher)

L’offre et la demande ainsi que l’état de préservation sont des critères essentiels qui déterminent la valeur d’une pièce de monnaie ancienne ou d’un vieux billet circulant sur le marché. Or, Magdi Hanafi a réussi à imposer un système, selon l’état de préservation des billets. « Il en existe 7, à commencer par celui qui n’a jamais circulé sur le marché jusqu’à celui qui est de moindre qualité. Par exemple, un ancien billet de 20 L.E. en excellent état se vend à 1 200 L.E., et celui qui est de moindre qualité à 100 L.E. et parfois moins », explique Hanafi.

En fait, beaucoup de personnes désirent investir dans la numismatique et n’hésitent pas à acheter des monnaies anciennes ou de vieux billets à n’importe quel prix. « Je consacre environ 6 000 L.E. par semaine pour acquérir des pièces de monnaie de collection. J’ai déjà dépensé 60 000 L.E. pour cela. Mais je dois encore débourser autant pour compléter ma collection », déclare Taher Al-Alfi, un passionné, tout en ajoutant : « En 2017, j’ai acheté un ensemble de billets (de 10 L.E., 50 L.E. et 100 L.E.) datant de l’époque du khédivat pour la somme de 1 800 L.E. Quand les prix sont abordables, j’en achète 2 pour en vendre un et conserver l’autre pour ma collection. J’ai fait cela lors du 50e anniversaire de la télé en 2010, j’ai vendu un ensemble de billets de 1 L.E. et 5 L.E. à 600 L.E., alors que je les avais achetés à 480 L.E. », poursuit-il.

Chaque collectionneur n’hésite pas à faire le tour des antiquaires du centre-ville ou chercher sur Internet la pièce de monnaie ou le billet rare pour l’ajouter à sa collection. Il y a ceux, par exemple, qui collectionnent des billets de 5 L.E. qui datent d’après la Révolution de 1952 et qui portent des filigranes, d’autres sont à la recherche de pièces de monnaie marquées de paraphes de grands artistes à l’exemple de Gamal Al-Seguini, Abbas Al-Cheikh et Abdel-Fattah Wahba. Une signature réduite aux initiales avec une calligraphie typique à chacun d’eux. « Je suis intéressé par le billet de 25 piastres. J’en ai rassemblé 56 au total, datant de 1940 à 1952. Cette période de 12 ans m’a permis d’apprendre que 5 gouverneurs de la Banque nationale égyptienne se sont succédé, dont 4 Britanniques et un Egyptien portant le nom d’Ahmad Zaki Saad, premier Egyptien nommé par le roi Farouq », raconte Ahmad Al-Maghrabi, pharmacien.

A chaque pièce son histoire

Numismates : A la recherche de la perle rare
(Photo : Amir Abdel-Zaher)

Une calligraphie portée sur une pièce de monnaie ou un dessin affichant un site touristique peuvent raconter des histoires intéressantes. Un exemple : la monnaie datant de l’époque ottomane a été l’une des causes de l’invasion du sultan Sélim 1er en Egypte. « Le prétexte avancé était que les billets portaient des citations islamiques et qu’il trouvait inacceptable que des citoyens en dépensent dans des boîtes de nuit », relate Magdi Hanafi. De même, les dates inscrites sur les monnaies servent de documents authentiques concernant les dirigeants qui se sont succédé en Egypte.

La numismatique, capable également de dévoiler l’orientation politique des dirigeants des régimes monarques et républicains, attire particulièrement les médecins et les ingénieurs. « On peut découvrir l’Histoire grâce à une pièce de monnaie. Un passé que nous n’avons ni vécu ni étudié dans les livres scolaires ou universitaires », déclare Mohamad Chaker, ophtalmologue. En se rencontrant dans les cafés, au bureau de Magdi Hanafi ou en zappant sur les sites Internet, les collectionneurs profitent pour tisser des amitiés, surtout à travers la page Facebook qui rassemble les amis communs (au total 2 000 amis).

Mais il arrive aussi que des personnes se fassent escroquer, surtout celles qui ont conservé des pièces de collection sans en connaître la valeur. Ce sont, en général, des pièces de monnaie ou des billets anciens que leurs parents leur ont légués en souvenir. Ayman Abou-Warda, 40 ans, a gardé depuis son enfance des billets et des pièces de monnaie dont il n’a jamais connu la valeur. « J’ai vendu les 20 piastres portant l’effigie du roi Farouq à 100 L.E. alors que cela valait 600 L.E. Un billet d’une demi-livre, portant un scarabée, je l’ai vendu à 50 L.E., alors qu’il coûtait 1 000 L.E. », souligne-t-il.

En fait, quand un collectionneur hésite à s’offrir un billet ou n’est pas d’accord avec son prix, il demande conseil à Magdi Hanafi pour s’assurer de sa valeur. Hanafi travaillait comme ingénieur en télécommunication. Il a pris une préretraite il y a 9 ans. Depuis, il se consacre entièrement à sa passion et aide beaucoup les collectionneurs. Il les reçoit 2 fois par semaine dans son bureau situé au centre-ville pour faire des échanges de pièces de monnaie ou leur apprendre comment reconnaître le billet authentique du faux. Il organise tous les 2 mois une réunion pour parler de l’évolution historique de la numismatique. Une loupe portant un luminaire et une balance numérique sont disponibles sur son bureau pour vérifier l’authenticité des billets et fixer leur valeur. « En plus de l’état de préservation dont il faut tenir compte pour évaluer le prix d’un vieux billet et après avoir fait des recherches, j’ai découvert, par exemple, qu’il existe une impression rare du billet de 10 L.E. apposant la signature d’un gouverneur et dont le prix est bien plus élevé que les autres billets de la même catégorie et de la même année », dévoile Hanafi.

De l’amateurisme

Numismates : A la recherche de la perle rare
(Photo : Amir Abdel-Zaher)

Malgré les efforts déployés par les collectionneurs, il n’existe aucun organisme officiel parrainant ce hobby. Dans un pays comme l’Egypte qui est riche en événements, les collectionneurs souhaitent que le domaine de la numismatique ait plus d’importance. A travers des expositions et des ventes aux enchères, l’Etat devrait soutenir les collectionneurs, afin de promouvoir le tourisme et faire en sorte que l’Egypte, qui possède tout le potentiel nécessaire, reprenne sa plateforme d’antan dans la région et à travers le monde entier. « Je possède un billet d’une livre illustrant un paysan égyptien et datant de l’époque du roi Ahmad Fouad. Un billet estimé aujourd’hui à 25 000 L.E. », souligne Al-Alfi. Il est content d’avoir ce billet très rare. Il ajoute que s’il pouvait vendre à l’étranger par le biais d’Internet, il pourrait empocher 5 000 dollars, mais cela est interdit par l’Etat égyptien.

Les différentes activités des collectionneurs sont des efforts individuels et n’ont pas le soutien de l’Etat. « Dans certains pays, les galeries et le personnel de sécurité sont disponibles gratuitement en plus d’une couverture médiatique et des invitations dans les écoles pour inciter les élèves à venir découvrir l’histoire de leur pays. Ici, rien de cela », ajoute Magdi.

Selon lui, il faut modifier la loi 83 sur le patrimoine interdisant le commerce des biens datant de la période alaouite. Car la monnaie n’est pas un patrimoine, c’est un outil utilisé par les citoyens. Récemment, il a lancé plusieurs partenariats avec des collectionneurs pour créer la première société de valorisation d’anciennes pièces de monnaie et de billets. Baptisée Grading, cette société devrait fixer les prix, permettre aux collectionneurs égyptiens de découvrir d’anciens billets. Ce sera aussi un endroit où les amateurs de la numismatique pourront se réunir et garantir leurs droits.

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